À l’occasion de la sortie DVD du Voyage vers Agartha, nous revenons sur l’œuvre, courte mais déjà passionnante de Makoto Shinkai, avec ce superbe premier long métrage. Par Justin Kwedi.
Révélé par son magnifique court-métrage Voices of a Distant Star qu’il réalisa entièrement seul, Makoto Shinkai dirigeait sa première production d’envergure avec La Tour au-delà des nuages. Un scénario ambitieux sert ici ce qui semble être le leitmotiv récurrent de ce grand romantique qu’est Shinkai, l’amour absolu et indéfectible, capable de surmonter la distance du temps, de l’espace ou ici carrément des rêves. L’action se situe ici dans un monde alternatif où, après la Seconde Guerre mondiale, le Japon fut coupé en deux entre une partie désormais gouvernée par les Etats-Unis et une autre, dénommée l’Union, dont l’autorité reste dévolue aux Japonais. Alors que la souveraineté américaine s’étend sur Honshu et les îles du sud, l’Union annexe Hokkaido qui retrouve son appellation d’Ezo. La tension entre les deux Etats est palpable, notamment par le défi aux voisins que constitue cette tour monumentale qui semble s’élever jusqu’aux cieux. Symbole de cette animosité dans un pays déchiré, la Tour sera également un objet de fascination pour un trio adolescent.
Les deux garçons Takuya et Hiroki emmagasinent des pièces afin de construire un avion qui leur permettra d’approcher la mystérieuse tour et ils ont promis à leur amie Sayuri de l’emmener dans leur périple. La narration en flashback nous révèle que ce beau rêve ne fut jamais atteint, figeant ces moments d’innocence juvénile et de premiers émois amoureux dans de sublimes séquences solaires et nostalgiques. Quelques années plus tard, alors qu’une nouvelle guerre entre les nations voisines s’apprête à éclater, l’accomplissement de ce rêve inachevé va devenir pourtant la seule chose qui compte malgré tous les obstacles. Les chemins des amis se sont séparés après la mystérieuse disparition de Sayuri et, tandis que Takuya se réfugie dans son travail de chercheur, Hiroki traîne son spleen à Tokyo, hanté par le souvenir de son premier amour volatilisé. Makoto Shinkai avait délivré quelques indices dans la première partie avec les rêves éveillés et les visions de Sayuri qui trouvent tout leur sens par la suite.
Au milieu du ton belliqueux et du tout technologique que dessine la guerre imminente, Shinkai place son enjeu dans les retrouvailles d’Hiroki et Sayuri par une tonalité poétique et métaphysique où se croisent récit de mondes parallèles, conte de la belle au bois dormant et onirisme lorgnant sur Peter Ibbetson*. Le lien avec l’amour perdu se fait ainsi à travers le rêve où Shinkai nous fait perdre pied entre souvenirs, pures envolées picturales (les visions hallucinées de Sayuri) et surtout une profonde réflexion sur la solitude, urbaine, amoureuse, spirituelle… La richesse des thèmes est réellement bluffante, ce monde alternatif offrant un miroir déformé du Japon d’hier et d’aujourd’hui, tandis que l’amitié perdue puis retrouvée entre Hiroki et Takuya parlera à tous ceux n’ayant jamais oublié les liens intenses se nouant à l’adolescence. Le final est sublime dans son emphase tout en délicatesse. Alors que l’apocalypse guerrière se déchaîne au loin, on reste suspendus aux paupières de Sayuri, prêtes à s’ouvrir et paradoxalement, si le chaos fait désormais rage chez les hommes, pour nos héros la vie peut commencer.
*Classique hollywoodien réalisé par Henry Hathaway où dans la dernière partie, les amants séparés, Gary Cooper et Ann Harding, communiquaient par le monde des rêves.
Justin Kwedi.
Verdict :
La Tour au-delà des nuages de Makoto Shinkai, disponible en vidéo, éditée par Pathé.
Voyage vers Agartha de Makoto Shinkai, disponible en vidéo (DVD et Blu-Ray), édité par Kazé depuis le 04/07/2012.