Disparu des écrans français depuis Vengeance sorti chez nous en mai 2009, Johnnie To revient enfin avec La Vie sans principe (zappant au passage Don’t Go Breaking My Heart… on a l’habitude avec les romances du réalisateur), dans lequel il s’attaque à la crise. Par Anel Dragic.
Virages cinématographiques
Un sombre développement entoure la production de Life Without Principle. D’abord titré Death of a Hostage, le film s’est vu devenir Punished, mis en scène par Law Wing Cheong. Pourtant, des photos de tournage de Death of a Hostage datant de début 2008 nous montraient Lau Ching Wan sur un vélo. Le projet est par la suite repris en main, sans l’acteur, cédant sa place à Anthony Wong. Début 2010, le tournage repart à zéro, le film est retitré Life Without Principle, apparemment un tout nouveau métrage, le polar laissant place à une sorte de thriller sur fond de crise économique. Depuis, le film a été présenté à la 68e Mostra de Venise en septembre 2011, avant de sortir à Hong Kong le 20 octobre de la même année et enfin chez nous cet été.
Il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, Johnnie To s’est démarqué du paysage hongkongais. Un premier élément marquant était le vent de fraîcheur qu’il a su apporter en tant que producteur avec sa société de production, la Milky Way, fondée en 1996. Mais il a également su, à partir de Loving You (1995), redonner un souffle au polar local, trop enfermé dans des codes qui n’ont su se renouveler, utilisant la même recette à outrance dans des films d’exploitation atteignant parfois les niveaux qualitatifs les plus bas. De la même manière, ces dernières années, le public et les amateurs semblaient reprocher au réalisateur une certaine difficulté à se réinventer, le summum étant atteint avec Vengeance, pot pourri d’idées de ses anciens films, avec Johnny Hallyday dans le rôle principal.
Qu’à cela ne tienne, le réalisateur s’essaie alors à un genre plus ambitieux : le drame social. Rassurez-vous un instant, nous ne sommes pas chez Ken Loach, Johnnie To gardera donc son univers intact, avec ses crapules et ses acteurs maison. Une démarche intéressante, étant donné la qualité de ses œuvres les plus politiquement engagées (le diptyque Election étant, pour l’auteur de ces lignes, les meilleurs films du réalisateur).
Chaos. Confusion. Pognon.
Le récit s’intéresse aux trajectoires de trois personnages. Teresa (Denise Ho), une employée de banque sur la sellette, incitant ses clients à placer dans des investissements à risques. Panther (Lau Ching Wan), un gangster de bas étage en difficulté, qui se retrouve poussé à jouer à la roulette russe des investissements. Et puis l’inspecteur Cheung (Richie Jen), flic sans histoire dont la femme cherche désespérément un appartement afin d’avoir une précieuse propriété immobilière.
Dans cette jungle économique, tout le monde en a après l’argent. Alors que la crise des subprimes touche Hong Kong (qui a fait chuter l’indice Hang Seng de quasiment 60% en un an), l’hystérie prend la population et la ruine guette chacun d’entre eux. Le spectacle est alors assez stupéfiant. Qu’est-on prêt à faire pour de l’argent ? La cupidité semble ronger la société hongkongaise. Un récent sondage nous apprend que pour la jeunesse locale, Li Ka-Shing (la plus grosse fortune d’Asie et 9e homme le plus riche au monde) serait le père idéal. Voilà qui laisse songeur quant aux dérives de la société capitaliste !
Johnnie To dépeint un Hong Kong abondant, pris de panique (la banque du film ressemble beaucoup plus à la Sécurité Sociale qu’à la BNP du coin). Les investissements, le logement (en crise à Hong Kong, revoyez des films comme Cageman de Jacob Cheung ou Dream Home), sont autant de manières de faire fructifier l’argent. Sans en dévoiler trop, la société est montrée comme un tout, ou chaque élément, chaque personne, est lié à un autre. Évidemment, vouloir toujours plus amène un déséquilibre flagrant. Construit un peu à la manière des films d’Iñarritu, les personnages suivent chacun leur propre parcours, avec certaines intéractions qui se terminent comme un jeu de roulette et où l’ironie du sort a encore droit de cité. On passe alors d’un premier acte centré sur Teresa à une deuxième partie sur Panther. Dommage cependant que le personnage de Richie Jen soit sous-développé. Au milieu de tout ça, le récit est assez imprévisible. Après une première partie ultra didactique et bavarde expliquant la Bourse, on se retrouvera alors dans un semi-film de triades ! Une rupture de ton certes, mais qui montre à quel point tous les microcosmes s’imbriquent dans un même tout.
Verdict :
Johnnie To signe un film ambitieux qui n’est pas exempt de défauts mais reste assez intéressant pour interpeller le spectateur. Et comme d’habitude avec le réalisateur, tout cela est emballé avec une mise en scène élégante, alors pourquoi s’en priver ?
Anel Dragic.
La Vie sans principe de Johnnie To est présenté le vendredi 29 juin 2012, au Forum des Images à 21h30, en présence de Johnnie To dans le cadre de Paris Cinéma.
En salles le 18/07/2012.