Pour compléter son voyage dans le cinéma kazakh, Yannik Vanesse est allé à la rencontre d’Eugénie Zvonkine, spécialiste du cinéma d’Asie centrale, qui proposait cette année au FICA de Vesoul le « Regard sur cinéma du Kazakhstan : 1938 – 2011″.
La sélection
« Nous avons en Occident une vision particulière du cinéma kazakh, à travers les films qui parcourent les festivals, où l’on montre un certain type de cinéma, mais il s’agit là d’une d’une certaine réalité, d’un regard non pas faux, mais orienté et biaisé. Avec cette rétrospective Regard sur cinéma du Kazakhstan : 1938 – 2011 que j’ai organisée au FICA de Vesoul, j’ai aussi voulu montrer d’autres choses en sélectionnant 20 films. »
« Lors d’une interview, quelqu’un m’a demandé si cette poignée de films était l’intégralité de la cinématographie du pays (rires) ! C’est dire à quel point elle est méconnue. Pour les choix de films, j’ai puisé dans les choses que je connaissais ou au sujet desquelles j’ai lu des articles. Il y a aussi un point de vue historique que j’ai essayé de mettre en avant, en choisissant par exemple Amangeldy. Il s’agit du premier film kazakh, daté de 1938. Même s’il ne s’agit pas vraiment d’un film kazakh, puisque la production est russe, il y a des acteurs et des scénaristes kazakhs. En fait, il faudra attendre 1945 pour voir le premier vrai film complétement kazakh. »
« 1945 est vraiment une date clef pour la naissance du cinéma kazakh. Pendant la guerre, il a fallu déplacer les studios de cinéma russes loin de la guerre et donc, entre autres, au Kazakhstan. Cette délocalisation est ensuite ce qui a permis la création des infrastructures nécessaires. Eisenstein, par exemple, va filmer Ivan le Terrible, au Kazakhstan. Ce genre d’expérience va donner les cadres, former les gens du futur cinéma kazakh. »
« Avec cette rétrospective, l’idée était de donner un panorama, de ne pas montrer, par exemple, que du grand cinéma d’auteur. Il y a bien sûr du cinéma d’auteur, comme Chouga, le dernier film en date de Darezhan Omirbayev. Ce dernier est considéré comme LE grand « auteur » du Kazakhstan. Godard a même jadis dit qu’il était « le Bresson kazakh » ! Mais il n’y a pas que cela. Par exemple, dans les films très récents, il y a un métrage comme Shizo, de Guka Omarova, qui est une jeune réalisatrice, et qui est un film qui a tourné avec un énorme succès populaire, d’abord au Kazakhstan mais aussi en Russie. »
L’importance de la poésie et des chants
« La poésie et les chants sont des éléments centraux de la culture kazakh. Le hakun est un type de poème chanté qui s’accompagne de la dombra, qui est l’instrument le plus connu dans ce pays. La poésie et les chants sont ancrés dans l’esthétique cinématographique. Dans plusieurs films, quel que soit le genre, la narration est parfois abandonnée pour une parenthèse poétique, ce qui est une vraie signature du cinéma kazakh. Ainsi, dans La Jeune fille de soie, ça part parfois dans tous les sens, il y a des envolées cinématographiques à tel point qu’au début, on ne sait pas encore de quoi cela parle, alors que le réalisateur dépeint en fait les ravages de la guerre. »
Faire un film pendant le Stalinisme
« Faire un film durant le stalinisme était très compliqué. Dans Amangeldy (1938) et ensuite Les Chants d’Abai (1945), nous sommes dans le stalinisme pur et dur. Débute ensuite la période dite de peu de films. Tout le monde pensait, vu que la guerre avait été gagnée, que Staline allait lâcher un peu la bride. Mais il a fait l’inverse, déclarant qu’il n’etait pas nécessaire de produire beaucoup de films. Il réduisit progressivement leur nombre, d’année en année, pour parvenir vers 1949 à 9 films en un an sur toute l’URSS, avec un contrôle permanent. Chaque ligne de dialogue était contrôlée et, quand on voit une tout petite dérive dans un film, on devine ce que cela a dû couter au réalisateur et au scénariste pour faire cet écart. »
D’après les poèmes d’Oljas Suleimanov
« Oljas Suleimenov a participé à l’écriture du scénario du Balcon. D’ailleurs, à plusieurs moments, dans le film, on entend quelqu’un qui lit ses poèmes. Il n’a peut-être pas écrit le scénario, mais il l’a supervisé. »
Au sujet de l’acteur Asanali Ashimov
« Dans Matinée agitée, il joue l’officiel un peu désagréable qui va arrêter le héros. Dans La Jeune fille de soie, c’est le méchant. Très talentueux et charismatique, il est capable d’interpréter des méchants magnifiques, et il les incarne souvent. C’est un acteur qui est toujours vivant à l’heure actuelle et tourne encore beaucoup. Les méchants sont importants pour le cinéma kazakh, car l’ennemi du héros y est souvent tout aussi charismatique que lui. »
L’inspiration que représentent Terminus et Le Balcon
Terminus est un film précurseur. C’est un cri d’une génération à travers lequel tout le monde s’est reconnu. Il a montré qu’on pouvait faire un film librement, et qu’il était enfin possible de dire du mal de son pays. La violence du film a été très libératrice. Le constat de Terminus, c’est « je ne suis plus chez moi chez moi », ce qui est insupportable pour les Kazakhs. C’est aussi ce que raconte d’une autre manière Le Balcon, et c’est ce qui a donné l’impulsion. Le Balcon est incontournable, il passe souvent à la télé, et tous les jeunes réalisateurs ont envie de faire une scène de bagarre citadine. Salykov a apporté le fait de pouvoir filmer la ville.
La place de la femme au Kazakhstan
« Quand on regarde La Jeune fille de soie on a un personnage féminin fort. Le cinéma russe, y compris stalinien, n’est pas du tout machiste, au contraire, il y a des personnages féminins mis en avant. Mais si on regarde le pays, il est vrai que le féminisme n’a pas fini de travailler là-bas. Bien sûr, cela se ressent dans le cinéma. Mais dans Lettres à un ange, une phrase m’a frappée : « la vraie force d’une femme c’est sa faiblesse », ce qui prouve que les mœurs sont encore ancrés dans cela. Shizo est aussi une histoire de femme forte, mais les choses n’ont pas vraiment évolué sinon, et, si Terminus exagère un peu, ce n’est pas si éloigné de la réalité. »
Le cinéma au Kazakhstan depuis 1991
« Les année 90 ont été très dures. Sensible au niveau de la distribution des films, la production se débrouillait, entre autres, avec des fonds étrangers, mais certains facteurs compliquaient les choses, comme la quasi-absence de salles de cinéma. Il a fallu attendre fin 90 début 2000, mais aujourd’hui les choses vont beaucoup mieux, même si la majorité des films en salles sont des films américains (comme partout). Mais par exemple, depuis deux ou trois ans, au festival Eurasia, où sont diffusés des films kazakhs, les salles sont combles, le public retrouvant un véritable intérêt pour le cinéma de son pays. »
L’éventuelle expansion du cinéma kazakh
« Plusieurs films ont été vus à Cannes ou dans d’autres festivals dans les années 90. Aujourd’hui c’est plus difficile car il faudrait que le gouvernement fasse de nouveau confiance au cinéma d’auteur. Aujourd’hui, j’en doute. Il y a une volonté de faire connaître le Kazakhstan mais pas par la bonne méthode. Ils veulent faire des films historiques, épiques, mais devraient laisser de bons cinéastes faire ce qu’ils veulent. L’état de la production n’est pas génial, mais de grands films se font tout de même. Aujourd’hui, il est préférable d’avoir déjà un nom pour faire du cinéma. »
Propos recueillis à Vesoul (FICA) le 17/02/2012 par Yannik Vanesse.
À lire :
Voyage à Vesoul, escale au Kazakhstan, partie 1
Voyage à Vesoul : escale au Kazakhstan, partie 2
Voyage à Vesoul : escale au Kazakhstan, partie 3