Comme on triche un peu en ratant le dernier jour de Vesoul, et en s’éclipsant avant la clôture officielle du festival, ce lundi 20 février et septième jour de festival sera le dernier pour l’équipe d’East Asia. Soit l’occasion idéale pour dresser le bilan d’une semaine de projection.
The Days After Vesoul. Par Victor Lopez.
On termine la programmation « Visages des cinémas d’Asie contemporain », aka la sélection officielle de longs métrages de fiction, avec Le Temps dure longtemps. Mes collègues m’avaient prévenu que le film portait bien son titre, et conseillé de les suivre au Kazakhstan pour La Biographie d’un jeune accordéoniste de Satybaldy Narymbetov. Mais, attiré pas les promesses contemplatives du jeune cinéma turc, je n’écoute que mon instinct et vais voir le film en compétition.
Le film d’Özcan Alper commence bien, avec un magnifique plan métaphorique sur un cheval au galop, bien achevé dans sa course au ralenti par des balles venant d’on ne sait où. L’envoûtante beauté du cadre et le travail sur la bande-son sont confirmés par un intriguant début, suivant une silhouette antonionienne à la recherche d’élégies anatoliennes dans le sud-est de la Turquie. Suivent alors de puissants témoignages de survivants kurdes. Cependant, à mesure que le film se déroule, son fil se fait plus tenu. La faiblesse de la fiction, malgré la présence d’un personnage cinéphile, entame l’argument documentaire, et l’ennui, pire, l’indifférence, finit par s’installer.
On retrouve là un des écueils de la compétition de films de l’année : leur faiblesse formelle annihile l’intérêt de leur thématique. Ici la « question kurde » en Turquie, là la religion en Indonésie (Khalifah), ailleurs la difficulté des femmes chinoises vivant loin de chez elles (Return Ticket)… Tout cela est à priori intéressant, mais le spectateur d’un festival de cinéma n’est pas là pour disserter sur des sujets, aussi passionnants soient-ils, mais découvrir de bons films. Et ceux-ci s’avèrent au final, à l’exception du remarquable Dance Town, d’une esthétique tellement médiocre qu’il devient impossible de se passionner pour leur thème. À trop vouloir privilégier le fond sur la forme, on finit par séparer les deux et ne plus rien avoir au final…
Les deux films que j’ai ratés ont par ailleurs peut-être inversé cette tendance : l’iranien Final Whistle de Niki Karimi, et surtout le kazakh Sunny Days de Nariman Turebayev. Surtout parce que le regard sur le cinéma kazakh était d’une richesse et d’une diversité régénératrice. Si l’on arrivait avec quelques images figées de longs plan-séquences arides sur des enfants jetant des pierres sur un train dans des steppes désertes et, il faut bien l’avouer, l’accent de Borat en tête, ce regard nous a ouvert les yeux. Même le film de propagande ultra-stalinien du jour Amangueldy (1938) de Moisy Levin, premier film de l’histoire du cinéma kazakh, donnait des raisons de se réjouir. Outre la satisfaction de voir les prémices d’un cinéma en construction et de découvrir l’enthousiasme naïf d’un cinéma de propagande simpliste, Amangueldy offre à son spectateur un récit d’aventures, certes sans génie, mais bien ficelé, et porté par un charismatique premier rôle au regard décidé et fier du bon bolchevique kazakh : Yeleubai Umurzakov.
Les 20 films de la sélection kazakh, retraçant 80 ans d’une cinématographie méconnue et géniale, les rétros Kore-eda et Trần Anh Hùng et les Brûlures de l’Histoire, dont on a peu parlé mais qui ne présentaient que des bons films, étaient donc les points forts d’un festival enthousiasmant, convivial, et où l’on se sent bien au milieu des films, des intervenants et invités. On a hâte d’y revenir l’an prochain, d’autant que le focus va se concentrer sur une cinématographie qui nous est chère. On n’a pas le droit d’en dire plus, mais c’est une région dont on risque d’entendre beaucoup parler d’ici là…
See you, space Vesoul !
Victor Lopez.
Goodbye F1 Inn. Par Jérémy Coifman
Un jour avant la remise des prix, l’équipe doit hélas retourner sur ses terres parisiennes. Pourtant, le FICA n’est pas tout à fait fini. Aujourd’hui, c’est journée kazakh. Il fallait bien terminer sur cette cinématographie qui nous aura enchantés tout au long du festival. Explosant les préjugés, les films présentés font état d’une belle diversité et d’une maîtrise incroyable. Les trois derniers films seront La Biographie d’un jeune accordéoniste, L’effleurement et Amangueldy. Le jeune accordéoniste, petit garnement futé est un peu le On m’appelle Koja de la nouvelle vague kazakh. Il y a cette tendresse permanente, cet humour et une gravité qui remet les pieds sur terre, rappelant un contexte difficile et un avenir incertain. L’effleurement est une petite perle d’onirisme, entre fantasy et drame social. Enfin, Amangueldy, malgré son aspect propagandiste et ses ficelles désuètes, demeure un objet cinématographique important (le film étant reconnu comme le premier film kazakh) et on se sent véritablement chanceux de découvrir un tel trésor.
Il est temps de faire le bilan de ce FICA et bien que la sélection officielle soit quelque peu tiède (notamment, comme le dit mon cher collègue Victor, à cause d’un fond qui prime sur la forme), le plaisir de découvrir des petites pépites est toujours présent. Dance Town apparaît comme le film le plus maîtrisé de la sélection, tandis que la thématique Les Brûlures de l’Histoire nous réserve des moments chargés en émotion (11 Flowers, City Of Life And Death entre autres). Les rétrospectives Kore-Eda et Trần Anh Hùng sont précieuses, surtout celle de Kore-Eda avec bon nombre de documentaires inédits. Mais le véritable tour de force de ce FICA, c’est évidemment cette superbe sélection de films kazakhs. On est tombé dedans et on n’a pas envie d’en sortir. Le cinéma kazakh tient maintenant une place de choix dans le cœur de toute la rédaction et L’Aiguille, La Chute d’Otrar ou Le Balcon resteront des films cultissimes.
Maintenant, on attend l’année prochaine pour retrouver cette équipe chaleureuse (Big Up à Bastian Meiresonne, Wafa Ghermani, Eugénie Zvonkine, Cho Myoung-jin, Kuo Li-chen et tous les autres), l’hôtel et son confort légendaire, le McDonald’s comme salle de réunion et ce cinéma asiatique qui nous fait tant vibrer. le FICA fait preuve d’une belle vitalité.
Jérémy Coifman.
On fait le bilan, calmement… Par Anel Dragic.
Le séjour touche à sa fin, et déjà une pointe de tristesse se joint aux dernières projections. Il n’y a qu’à voir la séance de The Days After de Kore-eda, d’abord projeté sans son, puis lumière allumée pendant un long instant, avant que le film ne se déroule avec un son beaucoup trop fort. À n’en point douter, le projectionniste était lui aussi déboussolé par la fatigue et la tristesse de fin de festival. Pour revenir au film en lui-même, il s’agit d’un épisode d’une anthologie télévisée sur les récits de fantômes où le réalisateur traite une fois de plus de ses thèmes habituels (mémoire, famille, perte…). Une œuvre somme toute mineure mais réussie.
Juste avant, j’étais à la projection de Distance (toujours de Kore-eda san), le chef-d’œuvre du réalisateur, qui aborde le sujet des sectes au travers des proches des membres. Ceux-ci se retrouvent sur les lieux où habitait le groupe pour commémorer ceux qui mirent fin à leurs jours au cours d’un suicide collectif. Beau et troublant, le réalisateur signe là un de ses films les plus obsédants.
Après-midi kazakh ensuite en enchaînant La biographie d’un jeune accordéoniste (1994) puis Amangueldy (1938). Le premier, réalisé par Satybaldy Narymbetov, est un film curieux sur un village post Seconde Guerre Mondiale vu au travers des yeux d’un enfant. Quant au second, de Moisei Levin, considéré comme le premier film kazakh, il s’agit ni plus ni moins d’un film de propagande aux relents easterniens s’inspirant du véritable personnage Amangueldy. À voir par curiosité, et parce qu’il s’agit d’un film historiquement important.
Revenons maintenant sur cette semaine riche en films. Je n’aurais pas pu voir autant de films que j’aurai voulus, mais il en ressort quelques impressions. Commençons par le point faible : la sélection en compétition, qui, à part Dance Town, était relativement peu glorieuse. Mettons cependant une réserve sur Sunny Days de Nuriman Turebaev et Final Whistle de Niki Karimi que je n’aurais pas eu le temps de voir. Pour le reste, on peut dire que le spectateur a été gâté par une profusion de bons films. Par la rétrospective Kore-eda déjà, qui m’aura permis de découvrir la quasi intégralité de son œuvre (il me reste ses docus However et August Without Him à voir, mais je ne doute pas qu’ils aient leurs qualités) et ainsi remettre en perspective les thématiques travaillant le réalisateur. Je n’ai pas eu l’occasion de revoir les œuvres de l’autre metteur en scène à l’honneur, Trần Anh Hùng, mais ses quatre films sélectionnés auront à n’en pas douter l’occasion d’une ressortie un jour ou l’autre. Enfin, la grande surprise était la rétrospective du cinéma kazakh, dont je ne pense pas avoir vu un seul film de ma vie avant de venir à Vesoul. Pratiquement aucune déception de ce côté là et j’irais même jusqu’à dire pratiquement que des films allant du très bon au chef d’œuvre.
Encore merci à toute l’équipe du festival pour leur disponibilité, leur caractère chaleureux et leur sympathie : Bastian Meiresonne, Wafa Ghermani, Eugénie Zvonkine, Cho Myoung-jin, Kuo Li-chen, ainsi que tous ceux que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer. Vivement l’année prochaine !
Anel Dragic.
Le Phoenix d’or East Asia du 18e FICA est attribué à
L’aiguille de Rachid Nougmanov (Kazakhstan)
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