Ces éditions françaises des bandes originales du Château dans le ciel, Nausicaa et Mon voisin Totoro viennent combler un vide puisque, jusqu’ici, seuls les scores des Miyazaki récents (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Ponyo…) au succès mondial y avaient eu droit. Par Justin Kwedi.
Dans ses premières heures de sa collaboration avec Miyazaki, Joe Hisaishi montre un talent mélodique déjà étincelant. Nausicaa déploie un souffle épique grandiose avec des sonorités d’un Hisaishi à la croisée des chemins. Le compositeur navigue ainsi entre envolées symphoniques et tonalités plus modernes où on distingue des synthétiseurs, boîtes à rythme et boucles électroniques qui soulignent l’étrangeté de l’univers et des créatures rencontrées. Dans une parfaite cohérence thématique, les cordes servent l’action pure et l’émotion immédiate quand les instruments modernes expriment l’onirisme, l’étrangeté et l’hypnose contemplative du cadre du récit (où s’ajoutent également des éléments orientaux et arabisants). On sait que Hisaishi fut auparavant très influencé par la vague new wave électro à succès de l’époque (et plus particulièrement Yellow Magic Orchestra le groupe de Sakamoto Ryûichi) et cette première composition majeure montre donc la transition qu’il effectue, passant de la modernité à un classicisme (la reprise du Haendel popularisé par le Barry Lyndon de Kubrick) plus prononcé et maîtrisé.
Le Château dans le ciel est dans cette lignée mais avec un Hisaishi y affirmant un style bien plus personnel. À l’époque, il n’a pas les moyens de disposer d’un grand orchestre et mêle ainsi à nouveau instruments modernes et classiques. Moins marquées que sur Nausicaa, les deux approches s’entrecroisent merveilleusement avec notamment un synthétiseur tourbillonnant transcendant l’action (la piste Un Présage de Destruction et sa boucle répétitive trépidante) ou appuyant la touche loufoque de certains personnages ou encore l’innocence des jeunes héros. Les instruments à cordes donnent une ampleur merveilleuse aux différents thèmes, tous plus mémorables les uns que les autres (le main theme sur le générique crayonné du film marque d’emblée), tandis que le piano (instrument ô combien important chez Hisaishi) gagne en présence avec nombre de mélopées pleines de spleen mélancolique apportant des respirations bienvenues. Au moment de la sortie américaine tardive du film en 2003, Hisaishi remania sa partition en l’enrichissant (le public américain ne supportant pas les longues plages de silence dans les films d’animation) pour la rendre totalement symphonique. Etrangement cela fonctionne moins bien que sur la partition originale (celle proposée ici) qui compte parmi ses grandes réussites.
Avec Mon Voisin Totoro, Hisaishi se livre à un exercice bien différent de ses précédentes collaborations avec Miyazaki. Fini les ambiances sombres et épiques, tout ici tend à dépeindre les émotions de l’enfance. Les expérimentations de Laputa et Nausicaa trouvent leur aboutissement avec cette fois les instruments les plus divers (xylophones, tambours, boîte à rythmes) créant une atmosphère bucolique et candide exprimant la curiosité et l’allant de l’héroïne. À cette empathie sonore se mêlent de grandes envolées orchestrales (toujours vampirisées par des sons incongrus et les chœurs enfantins, Hisaishi ne séparant désormais plus les deux approches) prenant de la hauteur bienveillante à la tendresse palpable. Une bande originale annonciatrice de celle du Voyage de Chihiro où Hisaishi retrouvera ce regard enfantin dans une approche plus sophistiquée à laquelle il ajoutera des éléments du folklore musical japonais. Un album merveilleux où Hisaishi tend finalement beaucoup vers Disney. Et comment ne pas signaler cette chanson entêtante désormais connue de tous les jeunes japonais, l’enchanteur Tonari no Totoro entonné par Inoue Azumi ?
Justin Kwedi.
Les classiques du studio ghibli : Le Château dans le ciel, Nausicaa,Totoro – CD disponibles chez Wasabi Records (le label de Kaze).