Mimi wo sumaseba est un film qui, en 1995, faillit changer bien des choses au sein du Studio Ghibli avec, pour la première fois, une réalisation qui n’était pas due à l’un des deux membres fondateurs Miyazaki Hayao et Takahata Isao. L’heureux élu Kondo Yoshifumi y montra un talent quasi égal aux deux maîtres et, avec un si brillant successeur, Miyazaki envisageait de prendre une retraite bien méritée après son monumental Princesse Mononoké. Par Justin Kwedi.
Le destin en décida autrement puisque le décès tragique de Kondo Yoshifumi obligea Miyazaki à revenir aux affaires pour le meilleur (le merveilleux Voyage de Chihiro allait suivre avec une reconnaissance désormais mondiale pour Miyazaki et le Studio Ghibli) et pour le pire (aucun successeur digne de prendre le relai à l’image du récent et très impersonnel Arrietty). Reste donc un petit bijou de sensibilité qui laisse entrevoir un talent immense dont les possibilités éclatent dès ce premier film.
Mimi wo sumaseba s’affirme comme un prolongement idéal des thématiques chères à Ghibli et ses auteurs puisque Miyazaki supervisa le projet et signa le scénario adapté du manga éponyme de HīragiAoi. Les quelques changements effectués par Miyazaki vont d’ailleurs dans ce sens : fondre le récit dans le moule Ghibli sans le dénaturer. Autre changements, l’héroïne Shizuku a 14 ans (au lieu de 12 dans le manga) , vit dans un appartement (au lieu d’une maison) et surtout l’esthétique plus marqué cartoon du manga (c’est à l’origine un shojo, un manga destiné au lectorat adolescent féminin) laisse place à la ligne claire chère à Ghibli.
Tout cela rend l’ensemble très familier avec un croisement de thèmes typique de Miyazaki (la quête initiatique et existentielle d’une jeune héroïne adolescente, le passage de l’enfance à l’âge adulte soit Nausicaa, Kiki la petite sorcière précédemment, Chihiro, Le Château ambulant voire même Mononoké pour après) et l’atmosphère réaliste et bucolique de Takahata (Souvenirs goutte à goutte, Le Tombeau des lucioles). Kondo Yoshifumi trouve pourtant sa propre voie en éliminant les éléments « fantasy » et magiques chers au premier et adopte une tonalité plus légère que le spleen nostalgique associé au second.
L’histoire nous conte les aventures de Shizuku, jeune adolescente plongée dans les mondes imaginaires des livres qu’elle dévore entre la bibliothèque municipale tenue par son père et celle de l’école. Les examens à venir ne sont qu’une préoccupation lointaine, et plus encore les garçons dont commence déjà à se soucier ces petites camarades. Tout change lorsqu’elle découvre qu’un même garçon Amasawa Seiji a emprunté avant elle toutes ses lectures récentes.
Dès lors, on a une quête fantasmée du mystérieux lecteur qui prendra les traits d’un taquin qu’elle aura croisée plusieurs fois précédemment, et avec qui elle va tisser un lien magnifiquement amené par Kondo. Cette découverte amoureuse va éveiller des interrogations plus profondes chez l’héroïne quant à sa voie future, bien prolongée par la toile de fond des examens. Seiji s’est trouvé un idéal dans sa passion à fabriquer des violons tandis que Shizuku va exploiter à corps perdu son amour des livres et des histoires en écrivant son propre récit.
L’amour et les velléités créatives s’entremêlent constamment, Shizuku dissimulant dans son énergie à écrire la tristesse du départ futur de Seiji dans une école spécialisée. C’est seulement là que Kondo laisse éclater l’imagerie fantastique, au gré des sentiments de Shizuku, en y fondant les figures les plus fascinantes de son quotidien comme la fameuse poupée du Baron. Le passé de la figurine et les histoires inventées par Shizuku s’avéreront avoir des réminiscences avec la réalité des personnages dans cette même idée de séparation et de retrouvailles qui parcoure tout le film.
Kondo Yoshifumi a une longue carrière en tant que technicien chevronné avant ce film, notamment au sein de Ghibli où il fut tour à tour character designer, animateur clé ou directeur de l’animation sur Porco Rosso, Kiki, Pompoko… Le film est donc d’une beauté formelle assez sidérante tant dans la recherche d’un réalisme où vient s’insinuer une sobre et douce poésie (Shizuku et Seiji admirant le soleil se lever) et laissant éclater des visions folles et bariolées (utilisée de manière roublarde dans la promotion en occident laissant croire à tort à une fantasy à la Miyazaki). Shizuku, par la gamme d’expression subtiles et variées que lui confère Kondo, est une des héroïnes les plus attachantes de Ghibli.
On retiendra notamment cette sublime séquence musicale où Shizuku entonne sa reprise japonaise du Take Me Home, Country Roads de John Denver, accompagné au violon de Seiji puis de son grand-père et amis musiciens, un pure instant de magie. Une merveille qui porte haut l’étendard de l’imaginaire Ghibli, mais par le prisme d’un regard neuf et tout aussi talentueux. On ne peut que regretter que Kondo n’ai pu donner suite tant la réussite est grande. Personne plus que lui ne méritait d’être l’héritier de Miyazaki et Takahata.
Justin Kwedi.
Verdict :
Étrangement toujours inédit en zone 2 français (mais annoncé depuis pas mal de temps), il faudra se pencher éventuellement vers les éditions anglo-saxonnes zone 1 américain ou zone 2 anglais qui comportent la vo accompagné de sous-titres anglais.
Retrouvez plus de critiques de Justin Kwedi sur son blog : Chronique du cinéphile Stakhanoviste !