Interview Gilles Sionnet et Marie-Francine Le Jalu pour La Vie murmurée : « Lisez Dazai ! »

Posté le 21 novembre 2011 par

East Asia a rencontré les cinéastes Gilles Sionnet et Marie-Francine Le Jalu, à l’occasion de la présentation de leur documentaire La Vie murmurée à Kinotayo. Et comme le film sort en salles ce mercredi 30 novembre 2011, l’occasion était idéale pour vous présenter notre interview ! Par Anel Dragic et Jérémy Coifman.

D’où vous vient votre passion pour Dazai ?

M-F Le Jalu : En fait, cette passion de Dazai vient… de Gilles, qui était « travaillé » par cette littérature. Il en a fait la rencontre un peu comme les personnes qu’on a filmé pour le long métrage. Gilles lit de la littérature Japonaise depuis plus de 20 ans. Quand on s’est rencontré, je revenais d’un voyage au Japon, je découvrais ce pays pour la première fois, j’étais un peu stupéfaite et intéressée à la fois. Je me suis mise à lire. Puis on a décidé de partir sur un travail qui concerne le Japon.  Très naturellement, on a travaillé sur Dazai, qui était l’écrivain phare pour Gilles à ce moment là.

G. Sionnet : Pour ma part, il y avait la fascination pour un pays étrange, éloigné, bizarre. Parce que tous les stéréotypes portant sur la Japon ont quelques choses d’attirant. On avait l’impression qu’il y avait un Japon de surface, et qu’il fallait aller un peu plus loin. Dazai était un très bon vecteur parce qu’il allait creuser chez les individus des parts obscures, ambivalentes, et sa littérature permettait à l’étranger, d’aller voir un peu plus loin, contrairement à la littérature, par exemple de Kawamata, magnifique, mais qui était tellement japonaise,  donc inaccessible pour des occidentaux. Avec Dazai, le questionnement qu’il pouvait avoir, nous permettait d’aller chercher chez l’autre, le Japonais, quelque chose qui pouvait nous parler à nous.

Quel a été le moment où vous vous êtes lancés dans la réalisation d’un film sur Dazai ?

G. Sionnet : Nous nous sommes lancés très rapidement, dès que l’on a discuté de l’idée de faire un film ensemble, en étant conscients du côté dangereux de l’entreprise. C’était un film qui se passait au Japon, il ne surfait pas sur les stéréotypes, il allait plus en profondeur, nous ne parlions pas Japonais. Nous avions bien conscience que c’était une entreprise vraiment risquée. Au final, le film est là, il a été vu dans plusieurs festivals, le public est là et on se dit, que cela valait la peine de faire ce film.

Pourquoi parler plus de la perception des lecteurs, plutôt que de l’auteur lui-même ?

M-F Le Jalu : Nous aurions pu faire un film sur un écrivain, sur une œuvre et de ce fait, on se serait adressé  à un public érudit. Ce qui est formidable avec Dazai, c’est qu’au Japon, il est lu par tout le monde, quelque soit le milieu culturel. C’est l’un des rares écrivains à être lu par des jeunes gens, alors qu’il est mort depuis soixante ans. Pour nous, qui avions envie de parler de gens simples, c’était évident que l’on allait axer le film sur la réception d’un public large.

G. Sionnet : On avait la possibilité de faire un film érudit. Nous avons rencontrés tous les spécialistes au Japon et en France de cet écrivain. Cela nous a permis d’être plus précis sur les questions ou les axes que l’on allait choisir pour le film. En fait, notre engagement, en tant que cinéaste, c’est d’essayer de faire un cinéma pour les gens simples. Pas forcément des cinéphiles, ni des érudits, mais des gens qui se posent les même questions que ceux que l’on a interviewés.  C’est une direction essentielle de notre cinéma.

Est-ce que vous aviez l’intention de refléter un certain climat social actuel au Japon ? Notamment au travers de ces personnages dépressifs et suicidaires.

G. Sionnet : Cela reflète l’image d’une certaine société Japonaise. On n’a pas eu l’ambition de faire un film sur la société Japonaise. Aujourd’hui qui en serait capable d’ailleurs ? Qui pourrait décrire la société Française dans sa totalité ? Les personnages du film sont torturés plus que dépressifs, ce sont des gens qui se battent. La vie de Dazai est celle de quelqu’un qui va se battre. Il fait sa première tentative de suicide à 19 ans, il mourra 20 ans plus tard. Plus de la moitié de sa vie, il va continuer à survivre. Dans cette espèce de doute, il revendiquera le droit de mourir. Quand il écrit son premier livre, il l’intitule  Mes dernières années.  C’est déjà un testament ! Il se battra pendant beaucoup de temps. C’est tout de même une vie pleine. Il écrira des chefs-d’œuvre.

M-F Le Jalu : Effectivement, si Dazai est l’un des auteurs les plus lus au Japon, que La Déchéance d’un homme est l’un des livres de poche les plus vendus depuis 20 ans, c’est que son œuvre est synonyme d’un certain glissement de la société Japonaise. Depuis les années 90, l’éclatement de la bulle économique, le fait que les japonais vont petit à petit  vers des situations de plus en plus individualistes font que les questionnements se font plus existentiels. Les questions que les personnages du film se posent peuvent s’appliquer à tout le monde, mais on voit bien que c’est parfois des questionnements typiquement Japonais.

 

Comment avez-vous été reçu au Japon ?

G.Sionnet : D’abord, il y a des gens qui ont été extrêmement surpris au Japon, qui se disaient « tiens, des Français qui s’intéressent à Dazai Osamu ». D’autres, ce sont demandés quelle légitimité des Français avaient de faire un film sur une icône. On avait rencontré des témoins potentiels, qui nous avaient questionnés sur notre droit de traiter du sujet. Et bien, c’était le même droit que chaque lecteur qui se penche sur un écrivain et se pose des questions. C’était donc un accueil surprit, étonné, intéressé pour certains. C’est comme cela que l’on a eu le partenariat de Panasonic, très rapidement, ainsi, que celui de la fondation du Japon. Les gens se demandaient quel regard allait porter des étrangers sur un auteur Japonais. Il y a eu donc une certaine forme de curiosité, mais aussi de doute sur notre capacité à comprendre l’œuvre de Dazai. Mais, globalement, c’était un accueil plutôt favorable.

Comment êtes-vous rentrés en contact avec les différents intervenants du film ?

M-F Le Jalu : De pleins de façons différentes. Quand on est arrivés au Japon, pour écrire et travailler sur Dazai, on a tout de suite eu un journaliste qui nous a suivis toute notre première journée. Il y a donc eu cet article qui est paru dans la presse, et beaucoup de gens l’avaient lu. Cela nous a ouvert des portes. On a prit un grand nombre de contacts. Surtout il y a eu « otoki », c’est-à-dire  le jour anniversaire de la mort de Dazai. C’est un jour ou énormément de gens se réunissent sur sa tombe et ce jour là, le 19 juin, nous étions sur place et avons rencontré un bon nombre de gens, qui ont pris contact et que nous avons revu par la suite. Il y a également une librairie  que l’on voit dans le film qui s’appelle « phosphorescence », essentiellement consacrée à Dazai, ou nous avons rencontrés des admirateurs et les communautés internet. On a mis une petite annonce sur internet à laquelle on répondu pas mal de personnes que nous avons rencontrés. Puis on a choisit ceux qui correspondait le plus à l’esprit Dazai, que ce soit pour leur amour de l’auteur, ou par les questionnements et parallèles que leur vie pouvait nous apporter.

On sent une volonté de mise en scène tout au long du film, quelles étaient les intentions ?

G. Sionnet : D’abord, je viens de la fiction, comme assistant réalisateur, plutôt en long métrage. Le problème du documentaire, c’est de se dire que le seul véritable documentaire qui pourrait exister, c’est la caméra de surveillance d’un supermarché. On a la réalité la plus simple possible. A partir du moment ou vous collez une caméra, nous ne sommes plus dans la réalité. Il y a une interférence sur les regards, sur les réponses que vous aurez. Même dans le cas d’une interview frontale, comme aujourd’hui, c’est déjà de la mise en scène. Donc, cette frontière entre le documentaire et la fiction, c’est toujours quelque chose d’étrange. Nous, de notre côté, ne sommes pas des théoriciens, on ne met pas d’un côté le documentaire, de l’autre la fiction. Le but, c’est de raconter une histoire à des gens, de les intéresser. Effectivement, on a l’impression que sur certaines séquences, c’est plus mis en fiction. J’ai l’impression qu’un personnage qui est sur un fond de rideau jaune, avec le soleil qui vient l’éclairer, c’est déjà de la mise en scène. Le meuble a pu être déplacé de façon à ce qu’on voit un livre de Dazai dans le champ. Un spectateur français ne reconnaitra pas le livre de Dazai, mais il est là, il existe. Certaine mise en scène sont plus élaborées, plus sophistiquées, mais ce n’est pas pour nous le problème. Le but est d’arriver à convaincre et à retranscrire l’état d’esprit de la personne interviewée.

M-F Le Jalu : Il y a des aspects de cette « auto mise en scène » très intéressants. Par exemple, Risa, la jeune chanteuse, au fur et à mesure du film change dans sa manière de se comporter, de s’habiller. Au départ, elle s’est vraiment mise en scène. Elle se maquille, elle se prépare pour le tournage et plus on va se connaitre,  plus elle laisse tomber tout son masque. A la fin, elle n’a plus de maquillage, elle laisse tomber chacun de ses accessoires. Cette mise en scène vient aussi des personnages qu’on met face à la caméra. Bien sur, à certains moments, il y a des choses que l’on a plus décidés. Je pense notamment à la scène où elle fait l’équilibriste sur la voie de chemin de fer. C’est une interprétation, une autre façon d’amener une idée de la personne à un moment donné, qui nous semble la plus juste. On en a parlé avec elle, et on a décidé ensemble de le faire.

Pour donner une idée à des jeunes réalisateurs voulant se lancer, combien coute un film comme La Vie murmurée et comment a-t-il été financé ?

G.Sionnet : Pour le financement, il y a eu le CNC et la fondation du Japon qui nous ont aidés. Il y a aussi Panasonic, qui mettaient à disposition des caméras le temps qu’on voulait. Le soir à l’hôtel, on rentrait avec une caméra et quand, par exemple, on voyait des travaux s’effectuer juste en bas de notre hôtel, on descendait avec notre caméra, à deux heures du matin et on filmait. C’était précieux.  On va à un concert, Risa est là, nous avons la caméra pour filmer tout de suite et il se passait effectivement quelque chose. Puis il a fallu de notre part, donner beaucoup, de temps, d’energie. En fait le tournage, s’est déroulé en plusieurs temps car nous faisions des allers-retours entre le Japon et d’autre tournage qui nous permettaient, en temps que technicien, de continuer de gagner notre vie. Donc il est vrai que pour les jeunes réalisateurs, c’est quelque chose de très dur, violent, compliqué. Mais on peut y arriver. Il ne faut pas qu’ils hésitent surtout maintenant ! on prend n’importe quelle caméra, et on a un film au final…

M-F Le Jalu : Il faut travailler quand même ! (rires)

G.Sionnet : Oui, il faut travailler !

M-F Le Jalu : On a fait ce film avec au départ un budget de court métrage, donc cela suppose comme le disait Gilles de donner beaucoup. On a vécu à Tokyo, on a trouvé toutes les solutions possibles pour être hébergé gratuitement, pour manger pas cher, on a vécu des semaines, des mois comme ça.

G.Sionnet : C’est vrai aussi que le projet intéressait les gens qui sont venus sur le film. Les techniciens Japonais ont accepté des salaires très bas par rapport aux standards en vigueur. Le projet intéressait. Si bien que le chef opérateur a suivi le film même après sa sortie dans les différents festivals au Japon.

Un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?

G. Sionnet : Allez au Japon ! Lisez Dazai ! C’est magnifique ! C’est un auteur qui est pour nous intemporel, la meilleure preuve : 60 ans après, c’est toujours l’auteur le plus lu au Japon. Et il est universel, car les questions qu’ils posent s’adressent à tout un chacun, aussi bien des jeunes gens, que des gens plus âgés. Donc lisez Dazai !

M-F Le Jalu : Puis un mot sur le film : ce n’est pas l’image la plus courante qu’on a du Japon, ce n’est pas le Japon que l’on a forcément envie de voir, ce n’est pas un Japon fantasmé. On ne filme pas Shinjuku ou autres, on rentre dans une réalité quotidienne du Japon. Ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus facile à aborder pour le spectateur, mais je trouve que ça vaut vraiment le coup d’en parler. C’est un bon moyen pour le spectateur de rentrer dans la réalité Japonaise.

Propos recueillis par Anel Dragic et Jérémy Coifman le 16/11/2011 à la MCJP dans le cadre du festival Kinotayo.

Lire ici la critique de La Vie murmurée.

La Vie murmurée de Gilles Sionnet et Marie-Francine Le Jalu, en salles le 30/11/2011.