Le japonais Oshii Mamoru a de nombreuses cordes à son arc : réalisateur, scénariste, producteur, auteur de mangas, romancier. Ses principaux faits d’armes en tant que cinéaste : Ghost in the shell (1995) et Avalon (2001). Deux films-cultes, labyrinthiques, brouillant respectivement les frontières de l’humain et du réel. Beaucoup voient en Oshii un des grands visionnaires S-F du tournant du millénaire, voire un prophète de l’évolution d’une humanité toujours plus virtuelle. Son dernier opus, Assault Girls, sort en France directement en DVD et Blu-ray le 19 juillet 2011. Par Antoine Benderitter.
Avalon mettait en scène un jeu vidéo du même nom, aux ramifications mondiales et aux virtualités infinies. À défaut d’en être une suite directe, Assault Girls s’inscrit explicitement dans son sillage. Manque d’ampleur (70 minutes seulement), pénurie de moyens, mais cohérence thématique et formelle : il pourrait constituer un niveau bonus de son prédécesseur. Or, qu’était au juste le concept d’Avalon ? Une quête du Graal, un trip existentiel, le retranchement des joueurs dans un monde parallèle ou intérieur ? Un peu de tout cela en fait. Et d’abord un simulateur géant de combats, qui se connectait directement aux cerveaux des participants. L’addiction pouvait prendre des proportions vertigineuses, au point qu’Avalon devenait pour certains joueurs plus tangible, plus réel que la vraie vie.
Certes, au premier abord, on déplorait que ce jeu vidéo présenté comme ultime se réduise à des stratagèmes et bourrinages guerriers : était-ce bien là un fantasme universel, la révélation des désirs les plus intimes de notre psyché ? N’entrait-il pas une certaine prétention immature et autiste dans la sacralisation du concept d’Avalon ? Pourtant cet univers numérique baigné de teintes sépia, peuplé de décors surannés et décrépits, imposait peu à peu sa beauté mélancolique, insinuait ses vertiges sans fond et finissait par nous hypnotiser.
Or, si Assault Girls revendique l’univers de ce film-culte, il est sans commune mesure avec son aîné. Et surprend moins par son approche minimaliste que par son bâclage apparent. Le pitch : au milieu d’un désert rocailleux, trois guerrières alliées à un quatrième larron – tous des incarnations de joueurs au sein du monde virtuel d’Avalon-F – s’allient pour vaincre des monstres numériques. Unique objectif : passer au niveau suivant. À la dénomination mythologique (Avalon), lieu magique et sacré, succède un titre de série B (Assault Girls). Évolution hélas révélatrice : au-delà de son revêtement théorique et abscons (les huit minutes d’introduction ; les titres énigmatiques et à rallonge des chapitres), le scénario s’avère rachitique. Ce que n’arrange en rien une fin trop abrupte.
Tout n’est cependant pas à jeter. De superbes panoramas brumeux et de belles séquences crépusculaires ponctuent comme autant de rimes cette intrigue basique ; des gros plans d’escargots, joliment incongrus, captent de temps en temps l’attention ; enfin, un faux Stonehenge, surmonté d’une boule noire aux striures lumineuses (peut-être une réminiscence d’Ico, le beau jeu onirico-écolo de Ueda Fumito), assure la touche mystique indispensable. Or ces images, faute de tisser entre elles un réseau d’échos un tant soit peu consistant, semblent se réduire à une pure signalétique. L’hermétisme n’aurait pas posé problème, si une ambiance captivante ou un enjeu fort – par exemple esthétique – avait donné à cette succession de plans hallucinatoires du liant, de l’ampleur, une capacité à incarner un mystère. Mais non. Rien pour compenser l’absence désolante de tension dramatique et d’émotion. Comme si le caractère factice de l’univers d’Avalon-F avait également contaminé l’objet filmique dans ses dimensions narrative et humaine.
Dès lors s’imposent uniquement au spectateur la laideur numérique des combats et la vacuité crasse des personnages. Les « assault girls » du titre ne sont, littéralement, ni plus, ni moins, que ce qu’en dit leur nom : des clichés. De pures fonctions. Des filles qui ne parlent, ne sentent et n’agissent que dans l’optique du jeu de baston ultime qu’est Avalon-F. Et la caméra semble aimantée avec une fascination régressivement adolescente vers ces combattantes arborant visages poupins, armements lourds et harnachements sexy.
La déception est donc de mise. Vive, cinglante, sans appel. Pour dépasser ce ressenti brut, notons que toute la force du film semble s’être concentrée sur son prélude. A lui seul, ce chapitre introductif aurait constitué un intéressant court-métrage – un peu à la manière de La Jetée de Chris Marker. Certes, ses procédés sont cheap (plans fixes, photos floutées, images d’archives) ; et certes, le commentaire sentencieux, parfois hermétique, peut agacer. Toutefois, la tonalité anxieusement prophétique de ces quelques minutes a de quoi fasciner. Il y est question de l’avenir de la société ; de l’avènement d’une stabilité mondiale acquise de haute lutte, fondée sur la décroissance économique et l’emprise de la technologie ; enfin, des affres d’une jeunesse qui, au sein de ce contexte déprimant, se cherche une raison de vivre. Où la trouve-t-elle ? Dans la compétition, le cynisme, la brutalité – fondements du jeu de simulation guerrière qu’est Avalon. Troublant aveu de l’auteur : il suggère que ses propres fantasmes illustrent la pire part des hommes. Peut-être leur vérité la plus intime, à la fois bestiale et humiliante. Dommage qu’Oshii explore si peu le potentiel vertigineux de ce dévoilement. Et se contente de ressasser, dans la bulle un peu onaniste qu’est son film, une imagerie déjà faisandée. Trop occupé à se faire plaisir, le cinéaste semble avoir perdu tout sens de la réalité, que celle-ci soit virtuelle ou pas. En définitive, Assault Girls ne vaut guère que comme consternant symptôme de ce décrochage.
Antoine Benderitter.
Verdict :
Assault Girls de Oshii Mamoru, disponible en DVD et Blu-Ray, édité par We Prod, depuis le 19/07/2011.