TIFF 2023 – Full River Red de Zhang Yimou

Posté le 6 novembre 2023 par

Deux années après son film d’espionnage enneigé Les Espions de l’aube, Zhang Yimou revient avec Full River Red, un nouveau thriller historique captivant, présenté au Tokyo International Film Festival (TIFF) 2023. Il nous propose sa version fictionnelle de la transmission du célèbre poème chinois Man Jiang Hong qui mêle enquête policière et intrigues de cour sur fond de comédie.

Quatre ans après la mort de Yue Fei, le Premier ministre Qin Hui envoie ses troupes négocier avec le Royaume de Jin. À la veille des pourparlers, l’envoyé du royaume de Jin est assassiné, et la lettre secrète qu’il portait a disparu. Le Premier ministre demande alors au soldat Zhang Da et au chef adjoint Sun Jun de retrouver le meurtrier en moins d’une heure.

S’il est vrai que cela fait maintenant quelques années que les nouveaux films de Zhang Yimou se font plus discrets en Occident (sa dernière sortie marquante en France remonte à 2016 avec La Grande Muraille, une co-production américaine), il reste un des réalisateurs chinois contemporains les plus importants. La sortie salles en 2023 de Full River Red aura engrangé au box-office mondial plus de 700 millions de dollars, se hissant au rang de 7e film le plus rentable de l’année 2023. Ses films à l’adresse du grand public continuent de convaincre et de remplir les salles obscures asiatiques. En témoigne le Lifetime Achievement Award qui lui a été décerné lors de cette 36ème édition du TIFF en reconnaissance de son extraordinaire carrière et de sa longue contribution à l’industrie cinématographique asiatique. 

Le dispositif de son dernier film est assez efficace. En ville close, on y suit les péripéties de nos deux protagonistes Zhang Dada et Sun Jun qui, sur ordre du Premier ministre Song, tentent de lever le voile sur le mystérieux assassinat d’un diplomate de la dynastie rivale Jin. Nos deux héros sont embarqués malgré eux dans une affaire d’État extrêmement tendue, où le moindre faux pas peut leur coûter la vie.  Durant les 3h et quelques que dure le long-métrage, le récit de cette enquête tient en une unité de lieu (la cité du Premier ministre), de temps (une nuit ) et d’action (la poursuite du criminel). Un dispositif théâtral presque restrictif dont le film tire toute sa force. C’est au sein de cet espace-temps cinématographique très resserré que la marche active ininterrompue de l’intrigue peut captiver pleinement. Il est intéressant de noter que malgré sa renommée et l’accès à de gros budgets, Zhang Yimou décide de s’imposer de telles contraintes filmiques, qui plus est anti-spectaculaires, lui qui a quasiment toujours versé dans les histoires épiques à grande échelle.

La première clef de réussite de Full River Red avec un tel cadre est son écriture aussi haletante que rythmée. C’est un véritable polar, un thriller politique même, du temps de la dynastie Song. Et contrairement à certains de ses films récents comme Les Espions de l’aube et Shadow où l’on pouvait se perdre assez facilement entre les enchevêtrements des intrigues, ici la trame est claire et fluide. Cela est en partie dû à un nombre réduit de personnages essentiels et leurs enjeux avec lesquels on a tout le temps de se familiariser, mais aussi à une écriture plus linéaire qu’à son habitude. Nous avançons de retournements de situation en retournements de situation. Ils sont le moteur même de la narration, allant presque jusqu’à frôler l’excès,  pourtant sans jamais tomber dans le ridicule. Ce qui est d’autant plus un exploit car le scénario est ponctué de gags à répétition pendant les ¾ du long-métrage. Malgré un ton volontairement comique, Zhang Yimou en dose parfaitement ses ressorts et évite ainsi de désamorcer les moments d’émotion et ces scènes épiques dont il a le secret. Il aurait pu aller du côté du pastiche du film chinois d’intrigues de cour, ce qu’il ne fait jamais totalement, et préserve ainsi toute l’importance et le sérieux de ce qu’il a à nous raconter. 

Bien que le film ne dispose que d’une variété très réduite de décors (le palais du Premier ministre, quelques cours ruelles et habitations), l’ennui n’est jamais au rendez-vous car en plus de parfaitement maîtriser son écriture, Zhang Yimou regorge d’idées pour exploiter l’environnement dans lequel il tourne. A titre d’exemple, sa façon de rendre stimulants les dizaines d’allers et retours que doivent faire les personnages, à pied, entre les différents lieux de l’enquête qui se répètent à l’écran. Pour se faire, il procède, sur fond de rap chinois, à un montage dynamique alternant caméra de face et caméra aérienne sur nos protagonistes s’affairant d’un pas rapide au sein des rues labyrinthiques de la cité. Il se saisit de façon stimulante de ces passage obligés du film qui, de prime abord, n’ont rien d’intéressant à apporter pour en faire des interludes aux différentes scènes de Full River Red. Zhang Yimou va utiliser à 100% les infrastructures historiques dans lesquelles il a pu tourner : des va-et-vient dans les ruelles aux cours ministérielles, des petits cachots aux appartements du Premier ministre Song. Il est bon de rappeler que ce film est à l’origine une commande faite par les propriétaires des lieux dans lesquels il a tourné. On lui a demandé de raconter une histoire à partir de ces vieux murs qui témoignent de la riche Histoire du pays. 

Confiné au sein de ces murs poussiéreux, Zhang Yimou arrive à renouer avec le cœur de sa filmographie, à savoir l’épique, le spectaculaire, et les récits de légende. Il nous partage un récit fictionnel de sa confection qui flirte avec les plus grandes légendes chinoises. Au-delà de ses accents légèrement nationalistes, ce qui n’est pas une nouveauté chez le réalisateur, ce nouveau long-métrage repose sur la glorification du sens de la loyauté, de l’honneur et de la justice qui valent tous les sacrifices. Étant donné le flou historique autour de la transmission de ce poème guerrier millénaire qu’est le Man Jiang Hong, il se permet d’imaginer sa propre version des faits. Zhang Yimou édifie lui-même une épopée entre quatre murs autour cette transmission qu’il fait incarner par des protagonistes hissés aux rangs de héros mythiques. Leur dévouement ainsi que leur sacrifice pour le pays sont sans égal et culminent dans une grandiose scène où le poème, soit les dernières paroles de Yue Fei avant de mourir, sont transmises au peuple. Zhang Yimou tire profit de la puissance évocatrice et de la résonance mythique qu’ont pu revêtir les vers de ce poème pour conférer à ce récit en huis-clos une ampleur épique. 

En clair, Full River Red réussit à captiver sur toute sa longueur grâce à une écriture solide et des idées convaincantes de mise en scène. Zhang Yimou fait le pari de raconter, toutes portes fermées, comment le poème Man Jiang Hong a pu traverser les âges jusqu’à aujourd’hui. Il imagine le récit de légende, entre quatre murs et l’espace d’une nuit, qui a permis sa passation. Un thriller politique captivant, drôle et émouvant, du grand cinéma de divertissement.  

Rohan Geslouin

Full River Red de Zhang Yimou2023. Projeté au Tokyo International Film Festival 2023.

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