La Déchéance d’un homme de Morio Asaka (DVD)

Posté le 23 mars 2011 par

Grand nom du Studio Madhouse et réalisateur de Gunslinger Girl ou Final Fantasy VII, Morio Asaka adapte La Déchéance d’un homme, d’après le Best-Seller de Osamu Dazai (1909-1948). Par Dorian Sa.

« Le vrai bonheur ne dépend d’aucun être, d’aucun objet extérieur. Il ne dépend que de nous… »
Le Dalaï-Lama.

L’histoire

En 1929, à Tokyo, dans le très chic quartier de Ginza, un fils de bonne famille se sent laid comme un monstre et en marge de tout. Yôzô a pourtant essayé de s’intégrer par divers moyens ; un jour bouffon à l’école parmi ses camarades, un soir membre d’un parti anarchiste à sa majorité, une nuit, flétri dans les bras d’une femme en quête de réconfort, dès l’aube auprès d’une autre, guettant un signe de compassion dans le moindre regard… Mais quoi qu’il fasse, sa vie le désole et des songes morbides le suivent en ombre. L’idée de mourir fait son chemin, devient obsédante, et puis survient le drame…

Le projet

Le projet Youth Litterature a pris l’initiative d’adapter en animés les classiques de la littérature nippone. Un exercice de style extrêmement épanouissant pour les mangakas, qui se voient confier la tâche de réactualiser les écrits magnifiques par le biais d’un nouveau médium. Youth Litterature perpétue de fait le patrimoine national via un plus large public. Une belle opportunité de prendre plaisir à se cultiver et (re)lire les romans d’origines.

Pour rappel, Aoi Bungaku ( La déchéance d’un homme ) de Osamu Dazai, est le récit d’inspiration autobiographique le plus lu au Japon. Il paraissait logique qu’il soit le premier volet de la série à être réalisé. Articulée autour de mémoires en quatre épisodes (mis bout à bout sur la galette), l’existence d’Oba Yôzô permet à Takeshi Obata (Blue Dragon, Death Note…) de devenir character designer sur une animation. Hideki Taniuchi, déjà de la partie sur Death Note, a composé pour l’occasion une bande originale efficace. Masato Saka incarne Yôzô de façon convaincante. Quant à Morio Asaka, il remplit totalement le cahier des charges !

 

Le contexte

Yôzô est un individu mélancolique devenu moche à force de s’en convaincre. On le croise entre cent personnes seules, ignoré par la foule, luttant en vain contre ses faiblesses. Aussi proche qu’un cousin, attachant comme un frère, il est celui qu’on aime malgré soi tout en espérant ne jamais lui ressembler.

Le papa de Yôzô est plus préoccupé par sa carrière politique et sa réputation que par l’enfant frêle au tempérament bohème. Il lui demeure aussi distant qu’autoritaire et ne l’évoque que pour s’en moquer.
Difficile de se construire dans la non confiance quand on manque d’affection. Le jeune adulte reste inconsolable, au bord des larmes diluviennes, des complexes plein la tête et le cœur gros de neige.

Décidé à en finir, Yôzô persuade sa petite amie Tsuneko d’orchestrer leur double suicide. Du haut d’une falaise, il la pousse dans le vide et plonge après elle dans la mer en furie. Leur corps pénétrant la tempête est immédiatement happé par les vagues. On ne les distingue plus. Quand le soleil refait surface, des promeneurs découvrent l’épave d’un ange déchu, miraculeusement hissé sur les berges par les flots. L’ironie du sort a voulu que l’amant survive à sa compagne, contre vents et marée…

Au lieu de le consoler, son père le retire des Beaux-Arts, le place sous tutelle et le cloître dans une maison austère. Yôzô perd davantage pied, accablé de tristesse et rongé par la culpabilité. Entre un plafond bas et un sol d’hémoglobine, il peint son autoportrait ; un double hideux qui va sortir du tableau pour le hanter…
Comme dans Le Portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde, 1890), les pires craintes se manifestent à travers la métaphore du reflet. Dans cette spirale infernale, Yôzô n’a pas d’autre ennemi que lui-même.

La Déchéance d'un homme de Morio Asaka

Le visuel

Si la représentation d’un texte appartient à ceux qui le lisent, les décors sont ici respectés avec une fidélité photographique. Ainsi, « Le Lupin » (illustre café d’artistes où se réunissaient des écrivains et des cinéastes tels que kafû Nagai et Yasujirô Ozu) recrée parfaitement l’environnement de l’époque. Comme Le Marsella à Barcelone ou Le Café de Flore à Paris, Le Lupin est un lieu mythique, et qui plus est crucial à l’intrigue, puisque s’y joue la rencontre de Yôzô et Tsuneko.

Un des défis de la réalisation a été de symboliser le cauchemar dans le quotidien de Yôzô. Les prises de vues sont donc très cinématographiques, tandis que les effets de genre (tremblements, texture du trait extrêmement léchée, ambiance feutrée, palette de couleurs voilées…) expriment la touche manga.
Pour ces raisons, La déchéance d’un homme est une adaptation à la fois scrupuleuse et personnelle qui réjouit par ses choix esthétiques. Aucun détail en la matière, notamment au niveau des coloris, n’a été laissé au hasard. Les blancs saturés de certaines journées servent à montrer que la lumière (la confrontation à la réalité) est si désagréable qu’elle en devient aveuglante. Le flou occasionnel des personnages marque la distance entre le monde de Yôzô et celui de son entourage. L’emploi de la « pixelisation » différencie le présent des réminiscences. Un ciel bordeaux ou un océan carmin ont autant de sens qu’un rictus sur un visage…

 

L’écrivain

A seulement 39 ans, Osamu Dazai mit fin à son calvaire après avoir achevé La déchéance d’un homme . Si la tradition des samouraïs a surévalué l’importance de l’honneur et du sacrifice, les motifs de suicide se sont multipliés depuis. Les statistiques de l’OMS en recensaient plus de 30.000 en 2007, plaçant le Japon au 8ème rang mondial.
Par chance, Dazai survole les lamentations auto complaisantes. Même si un certain masochisme donne l’illusion du contraire, il laisse de la place à l’humour et au second degré, comme s’il ouvrait la porte de sa prison pour nous inviter à sortir.
Grâce à ce talent de suggestion, il aura pointé du doigt tout ce qui peut (et doit) désamorcer les dommages collatéraux d’une dépression.
Car tout n’est pas noir dans l’histoire. Et l’on percevra plus ou moins distinctement le recul qu’il aura fallu à l’écrivain pour se détacher sporadiquement de son enfer. En définitive, Dazai décrit un certain nombre de vicissitudes qui font également le charme de l’existence.
Comme Marcel Proust le disait joliment dans Albertine disparue (1927) : “Il y a des moments de la vie où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent.”
Les tracas du protagoniste ne sont pas pires que les nôtres, ils constituent le point de départ de toute création. Dans cette logique, Dazai a eu la lucidité d’utiliser sa déprime pour explorer des sujets majeurs. Et il importe peu que son œuvre édifie un immense appel à l’aide. Car en signant de son sang La déchéance d’un homme, l’épitaphe dépasse la simple confidence. Elle encourage quiconque à se battre pour être heureux, démontrant indirectement que dans bien des cas la vie vaut d’être vécu.

Morio Asaka

Les bonus

Deux suppléments complètent le livret détaillé accompagnant le coffret DVD. Le premier, sympathique mais pas capital, c’est la série d’interventions de Masato Saka introduisant les différentes parties de l’animé. Le second, assez drôle, c’est l’interview de Morio Asaka et de « son successeur » Tetsurô Araki, chargé de l’adaptation suivante (Sous les fleurs de la forêt de cerisiers de Sakaguchi Ango). Araki interroge d’abord Asaka, puis inversement. Un procédé judicieux qui présente suffisamment les deux volets pour nous allécher. Pendant ce temps, le spectateur assiste a une mise en miroir jubilatoire. Les deux compères évitent les banalités en se focalisant sur l’admiration qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Au final, une franche camaraderie ponctuée d’éclats de rires ressort de cet échange pour le moins cocasse. On attend maintenant avec impatience une collaboration Asaka/Araki sur Madhouse, un peu à l’image du tandem Tarantino/Rodriguez sur Grindhouse…

Dorian Sa.

Verdict :

La déchéance d’un homme est disponible depuis le 23 mars en DVD et Blu-Ray aux éditions Kazé.