Ch@troom de Nakata Nakata (DVD)

Posté le 5 janvier 2011 par

A l’occasion de la sortie DVD de Chatroom de Nakata Hideo le 5 janvier dernier, retour sur nos impressions sans passer par le copier coller… Par Dorian Sa.

Mots clés du synopsis

Lorsqu’on est adolescent, que l’on vit à Chelsea à l’ouest de Londres, et qu’on a des problèmes d’ordre relationnel, on peut comme William créer un espace de discussion sur un forum, plus communément appelé Chatroom. Dans ce cercle fictif, si le hasard regroupe quatre autres individus partageant un certain désarroi générationnel, des rapports peuvent se nouer pour lutter ensemble contre la déprime. Ainsi, Eva, Jim, Emily et Mo confient leurs peines profondes à William, qui semble les comprendre et désire les aider. Oui mais… Quelqu’un s’est-il demandé qui se cache réellement derrière William, si compatissant et si dévoué ?
Le secret de toute Machination est de renforcer d’abord l’ennemi pour mieux l’affaiblir ensuite ; un jeu dangereux qui veut la mort de ses adversaires…

Poke au réalisateur

Chatroom (2010) est l’adaptation cinématographique d’une pièce d’ Enda Walsh (chouchou de l’art théâtral britannique) récompensé à Cannes pour Hunger (2008) dont il a rédigé le scénario.
Chatroom est pour lui une fable moderne, transposant à notre époque les thématiques de Sa majesté des mouches (1954) de William Golding. Dans la continuité de titres tels que Le Cobaye de Brett Leonard (1991), eXistenZ de David Cronenberg (1999) ou le très célèbre Matrix de Larry et Andy Wachowski (1999), Chatroom pose des questions essentielles sur l’évolution des mœurs, les rites sociologiques de la modernité et les risques liés à l’informatique.

Chatroom

Dans le Bonus DVD, Nakata explique le lien entre Ring et Chatroom à travers ce qu’ils ont en commun, à savoir l’écran (de télé pour l’un, d’ordinateur pour l’autre) : « l’écran comme fenêtre donnant sur une espèce d’enfer ». Le réalisateur reconnaît pourtant lui-même être dépendant d’Internet : « Je peux très facilement passer 7 heures par jour sur Internet quand je ne tourne pas, et je suis très influencé par ce mode de communication. Et si cette technologie était un outil permettant de se débarrasser de sa vie ? C’est une idée très effrayante !»

Avatars des personnages

Aaron Johnson (remarqué dans Kick-Ass de Matthew Vaughn en 2010)

Rôle : William
Manipulateur, pirate informatique et Geek en puissance.

Aime se scarifier les avant-bras. Confectionne des figurines en pâte à modeler (des poupées quasi Vaudou auxquelles il colle des photos pour en personnaliser les visages). Hobby trahissant son goût pour la manipulation, l’humiliation ou le sado-masochisme…
Pousser au suicide lui procure une excitation vorace. A défaut de contrôler sa vie, il contrôle celle des faibles, en l’occurrence celle de Jim, son souffre-douleur. Par l’intermédiaire de Jim, il tenter d’étouffer en lui-même un certain autisme.
Rêve de tuer son frère Ripley, le fils prodigue lui faisant de l’ombre.
Vit la plupart de son temps sur Internet et s’exprime notamment sur les Chatrooms.

Imogen Poots (a joué le personnage de Tammy dans 28 semaines plus tard de Juan Carlos Fresnadillo en 2007)

Rôle : Eva
Bimbo frustrée à foison. Jalouse, égocentrique, un rien snob et perverse sur les bords.

Elle s’aime elle-même, William passe après.
Pseudo mannequin ratée qui pâtit des railleries de ses collègues top model (à cause de sa petite taille de Polly Pocket).

Fascinée par William qui lui donne confiance en elle, elle le suit dans tout ses méfaits et sollicite son aide pour se venger de ses meilleures ennemies.
Vit la plupart de son temps sur Internet et s’exprime notamment sur les Chatrooms.

Matthew Beard (connus pour ses apparitions dans des séries TV anglaises)

Rôle : Jim
No Life par excellence.

Aime les poissons rouges et sa mère. N’a pas d’ami. Excepté peut-être quatre adolescents (dont deux essayent d’orchestrer son suicide par l’intermédiaire d’une obscure Chatroom).
Ne se supporte pas lui-même. Traumatisé à vie depuis ses sept ans, il est plus aisé pour Jim de raconter l’abandon de son père au Zoo sur le Chat des “Chelsea Teens !”, que de soutenir une simple conversation face à face. Ne vit pleinement que par le biais d’Internet et s’exprime rarement ailleurs que sur les Chatrooms.

Hannah Murray (a interprété Cassie dans la série Skins saisons 1 et 2 en 2007-2008)

Rôle : Emily
Naïve.

Aime ses parents pour qui elle paraît invisible. Ferait n’importe quoi pour qu’ils lui manifestent leur amour. Idolâtre les femmes de pouvoir, notamment les femmes exerçant dans la politique.
Future vieille fille avant l’heure. Post spoliée, néo ringarde, « rétro-active », moche par anticipation.
Elle est avance sur son âge (mentalement 60 ans) mais en retard sur son époque (elle débarque des années 1960 mais n’a pas bénéficié des dernières mises à jour).
Vit la plupart de son temps sur Internet et s’exprime notamment sur les Chatrooms pour que quelqu’un lui dise que ce n’est pas parce qu’elle est nunuche que ses parents la méprisent. Même si personne n’ose lui avouer que c’est juste parce qu’elle est « nu-nulle »…

Daniel Kaluuya (scénariste et avant tout acteur de séries telles que Skins, Inspecteur Lewis ou Doctor Who)

Rôle : Mo
Pseudo pédophile, déviant par extension.

Est amoureux de la sœur de son meilleure ami qui n’a que onze ans. Participe à des jeux de rôles et regarde beaucoup, beaucoup trop la télévision.
N’aime pas ceux qui n’aiment pas la télévision et le disent.
Se sent différent. Normal c’est un Nerd qui s’ignore dont les fantasmes le guideront en prison s’il ne s’arrête pas à temps.
Surfe donc régulièrement sur Internet pour confronter son reflet à celui des autres et s’exprime sur les Chatrooms pour en parler.

Le Smiley de la critique

Lorsqu’un Teen Movie flirt avec un Thriller psychologique, ils donnent naissance à Chatroom, un rejeton pas dans la norme et pourtant si proche de ses semblables…

chatroom

L’idée de génie du film est d’imager la vie du Chat’ sous forme de lieu clos (un hôtel) où les gens circulent librement et se réunissent sur des blogs de bavardage (des chambres).
Ici, les travers de chacun sont exposés au sein des Chelsea Teens ! Mais les apparences sont trompeuses. L’impression que tout est plus palpitant et moins dangereux à l’intérieur d’un logiciel est rapidement démenti.

En va et vient constant entre le réel et le virtuel, Nakata oriente ses projecteurs et se focalise sur les décors pour dissocier largement les deux hémisphères.
A l’extérieur, la caméra filme sans effets particuliers les rues éclairées de lumières aussi blêmes que crues, tandis que la Chatroom se distingue par ses couleurs vives saturées et l’enfilade de portes longeant l’allée de l’hôtel.

L’aventure est rythmée par un montage très cut et une bande son électro minimaliste. La représentation d’Internet y est tantôt ludique, tantôt funèbre. Fonctionnant selon d’autres normes, tout y est modifié, même subtilement, du maquillage au détail des costumes, pour créer l’opposition nette entre réalité physique et verbiage sous câbles à hautes tensions. La distance entre les deux univers tend à s’étioler au fur à mesure que l’intrigue touche à sa fin. A la croisée des mondes, les protagonistes devront choisir entre la vie et la mort…
L’autre procédé ingénieux, c’est l’imbrication de la métaphore dans la métaphore.

William fabrique des petits animés avec ses personnages en pâte à modeler (bouts de séquences évoquant Wallace et Gromit, à la fois délirants et plaisants à regarder). Lorsqu’il les envoie à ses friends de la Chatroom pour dresser le portrait satirique de ses proies, le réalisateur s’en sert pour démontrer comment animosité, désinformation ou calomnie peuvent circuler de regards en regards en un seul téléchargement.

De l’originalité au conventionnel, il n’y a qu’un click, car quand la souris fuit le Chat’ le spectateur est déconnecté.

Inspiré de faits divers qui ont défrayé la chronique au japon, Chatroom tire la sonnette d’alarme pour prévenir toutes les dérives imaginables. Internet est ici stigmatisé sans forcément de demi-mesure. Considéré comme un amplificateur d’émotions, bonnes parfois, mais aussi très mauvaises lorsqu’elles suscitent les pulsions morbides, le message se résume à : soyez vigilant !

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Nakata lui-même avoue être autant fasciné qu’horrifié par la mort depuis son plus jeune âge. Le dénouement de l’histoire se veut alors un message d’espoir pour les dépressifs de tous bords. Belle démarche, même si une fin plus originale aurait accentué l’impact de l’ensemble.
La cristallisation du suicide via Internet aurait probablement besoin d’un peu plus de profondeur. On souhaiterait en particulier que William se révèle tardivement un dangereux psychopathe, pour cultiver le mystère et faire montre d’un authentique machiavélisme. La durée du métrage est un peu courte pour aborder l’entière complexité des adolescents et leurs multiples facettes. Le risque est d’enfermer le spectateur dans une flopée de clichés faciles alimentant la vision manichéenne qu’on peut se faire des réseaux sociaux, si on ne relativise pas.

Dès le début, ce qui unie ces cinq jeunes biberonnés au Smartphone, ce ne sont pas spécialement les choses qu’ils affectionnent mais surtout celles qu’ils ne supportent pas. De cette façon, ils s’unissent avant tout dans la douleur. Ils détestent l’attitude de leurs parents et tout ceux qui ne les acceptent pas tels qu’ils sont. Dès lors, on comprendra le parti pris du réalisateur de respecter le scénario d’ Enda Walsh, pour en faire un exercice de style destiné à pointer du doigt les conduites extrêmes. Pédophilie, sadisme, voyeurisme, confusion des frontières entre ragots privés et secrets publics, voilà les principaux fléaux d’Internet capables de parasiter n’importe qui.

Cela dit, il n’est pas question de s’interdire l’accès à Internet, mais d’en connaître les usages adéquats, afin de se préserver des contenus malsains. Il est désormais impensable, voire impossible, de se priver de la plus importante source de connaissance – et d’échanges – jamais créée par l’être humain…

Dorian Sa.

Verdict :

Chatroom, disponible depuis le 05 Janvier en DVD. Édité par Diaphana.