L’Empire du Milieu du sud de Jacques Perrin et Eric Deroo (Cinéma)

Posté le 24 novembre 2010 par

Avec L’Empire du Milieu du sud, Jacques Perrin et Eric Deroo nous livrent une œuvre dense et funèbre, parfois magnifique, mais difficile à cerner : documentaire ? Poème cinématographique ? Émanation audio-visuelle de la mémoire collective vietnamienne ? Un peu de tout cela sans doute. D’où une sensation de profusion et d’insaisissabilité… Par Antoine Benderitter.

L’Empire du Milieu du sud dure 1h26 mais pourrait très bien en faire le double. Son sujet : les souffrances vécues par la péninsule indochinoise au 20e siècle, de la fin du colonialisme à la guerre du Viêt Nam. Or le film est peu didactique. De l’aveu même de ses auteurs, il vise d’abord à exprimer l’âme du peuple vietnamien. Mais comment ?

Évoquer dans un même mouvement la beauté fantomatique du Viêt Nam, les êtres qui ont vécu et sont morts là-bas, la littérature d’amour et de fascination, de tristesse et de désarroi que cette terre a suscitée : voilà une belle ambition syncrétique que le cinéma, par sa nature polyphonique, semble le média le plus à même de réaliser. D’où le dispositif adopté par Jacques Perrin et Eric Deroo : enchaîner les images d’archives – scènes de guerre et de la vie quotidienne, visages captés sur le vif et paysages minéraux – en les accompagnant de musiques emphatiques et de textes dits par Jacques Perrin. Autant d’extraits denses, parfois énigmatiques, de romans ou poèmes européens, américains, vietnamiens, qui au premier abord n’entretiennent guère de liens avec l’image. On peut penser à certaines séquences du Miroir de Tarkovski, d’autant que le film de Perrin et Deroo est hanté par une même nostalgie viscérale, et met aussi l’accent sur les éléments matériels qui constituent le pays évoqué : eau, végétation et terre – trouvant leur résolution ou leur incandescence dans la boue ou le feu. Mais l’analogie s’arrête là : le pouls du film de Tarkovski naissait au-delà du montage, à partir d’une mise en scène sensorielle et ultra-précise qui imprimait sa cohérence à un fatras hétérogène. Ce à quoi échoue L’Empire du Milieu du sud.

Première caractéristique gênante : moins commentaire qu’incantation, la voix-off presque continuelle finit par lester le film. Sa beauté trop dense vire à la saturation. Il manque des plages pour respirer. Ce qui nuit autant à la fascination qu’à l’émotion auxquelles, à défaut de didactisme, semble aspirer le film. La faute à une tendance générale au trop-plein. Dans la même optique, le montage s’alourdit de surimpressions nombreuses, artificielles de chercher à ce point à montrer tout ce qu’il y a à voir. Comme si la captation visuelle brute pouvait suffire à exprimer l’essence des choses : approche contestable en soi, marque d’une impuissance créative que l’ambition du sujet, certes, rend compréhensible. Il faut cependant y adjoindre un souci compulsif et plus malencontreux d’accumuler, comme par une manie de collectionneur, des images professionnelles ou amateurs de toutes sortes – défi technique qui semble avoir nui au défi poétique.

Pour autant, la dernière demi-heure, consacrée à la guerre menée par les Américains au Viêt Nam, est saisissante. Malgré l’abondance des fictions et documentaires existants sur le sujet, certaines séquences semblent relever du jamais vu. Leur force tient notamment au choix des musiques intimistes de Schubert et Beethoven, qui loin de noyer les images dans le cliché ou le solennel leur donnent un vrai liant, distillant une puissance émotionnelle qui faisait défaut à la première heure.

Bref, film tour à tour languissant et convulsif, comprimé par les imposants bandeaux d’images réelles dans lesquelles il se retrouve momifié, L’Empire du Milieu du sud laisse à la fois ému et à distance, impressionné et déçu. Par la radicalité de ses partis-pris, il impose cependant la présence frémissante, douloureuse, d’une humanité qu’un cinéma trop commercial a toujours peiné à rendre palpable, à force de s’en tenir à l’écume spectaculaire et sensationnaliste des choses. À ce titre, la tentative de Perrin et Deroo est loin d’être vaine : sous réserve d’en ôter la surenchère compulsive et son credo aveugle dans la monstration brute, elle peut même se targuer, éthiquement, d’une certaine exemplarité.

Antoine Benderitter.

Verdict :

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L’Empire du milieu du Sud de Jacques Perrin et Eric Deroo est en salle le 24/11/2010.