Après le bref survol du programme, ne boudons plus notre plaisir et plongeons tête la première dans les festivités…
Mort à l’arrivée
Dès la sortie de la gare d’Udine, le jeune festivalier avide de sensations fortes est accueilli par un immense bandereau annonçant fièrement le festival… Sur le chemin vers l’hôtel, impossible d’échapper aux nombreuses affiches, pancartes et autres créations originales ornant devantures de maisons et vitres de magasins (pas forcément) partenaires. C’est que le festival s’est mué au cours des années en un véritable événement culturel, dont la ville et les habitants d’Udine sont très fiers. On trouve même des plats, menus et cocktails (!!!) spécialement créés pour l’événement dans l’un des 33 restaurants du centre-ville, pour la plupart énumérés dans le copieux programme du festival avec grille tarifaire pour que chacun puisse faire un choix en fonction de son budget. Pourtant, ce sont pour la plupart des initiatives personnelles pour accueillir comme il faut les festivaliers venus de loin et participer à la bonne humeur ambiante. Ces deux dernières années, les habitants d’Udine se sont même mobilisés pour proposer au festival de loger certains invités – comme les bloggeurs et étudiants étrangers – le temps du festival ! Une connivence parfaite entre locaux et organisateurs, qui n’oublient pas, eux, de vanter les mérites des produits locaux et des lieux à visiter, organisent même des visites journalières des environs pour leurs spectateurs et qui ont même poussé le vice jusqu’à publier tous les documents officiels du festivals en anglais, italien et.. friulano, le dialecte de la région.
Arrivé au Teatro Nuevo, impressionnant cinéma à 1.200 places et lieu principal de diffusion, je prends connaissance du programme, de la liste des invités, heures des interviews et des premières évolutions du festival par rapport aux années précédentes. Pour absorber l’augmentation de projection des films, pour la plupart diffusés qu’une seule fois, le festival a augmenté la cadence des projections du côté du VISIONARIO, une salle plus petite à 20 minutes de marche du Teatro et ayant principalement accueilli les films des rétrospectives les années précédentes. Le commun des mortels devra donc prendre des choix cornéliens au cours de cette édition, surtout que la grille des horaires est loin d’être parfaite. Les séances démarrent en même temps sur les deux salles, ce qui interdit de changer de lieu dans des délais raisonnablement impartis, à moins d’être prêt à louper les premières minutes des films. Au moins, la capacité des salles garantit à tout retardataire de toujours trouver de la place. L’autre surprise vient d’une augmentation sensible des tickets d’entrée : si le tarif des films projetés le matin n’a pas changé (2,50 Euros), il double la journée jusqu’à atteindre la coquette somme de 7,50 Euros pour les séances du soir (ou 10 Euros les deux films). Un passe journalier est proposé à 15 Euros, mais c’est finalement la formule à 40 Euros permettant des projections illimitées que vont choisir des nombreux spectateurs locaux.
Côté professionnel, le festival a revu à la hausse le nombre des projets de films soumis par des asiatiques et ouverts à la (co-)productions d’éventuels producteurs occidentaux. Parmi les projets retenus, on notera Karma Killer des thaïs de De Warenne, producteurs de Soi Cowboy sélectionné au festival de Cannes il y a deux ans et présentant cette année Mindfulness and Murder à Udine, ainsi que du nouveau projet du philippin Milo Sogueco, réalisateur de l’intéressant Pawnshop présenté à Vesoul en 2010.
Mindfulness and Murder : Udine regarde vers les co-productions cette année
Logiquement, je devrais commencer par vous parler du JOUR J, vendredi 29 avril, LE jour d’ouverture du festival… Eh bien NON, impossible, car je n’y étais pas ! Alors qu’Udine ouvrait les hostilités avec le film chinois Welcome to Shama Town (dont on vous parlait ici), je présentais de mon côté une sélection de films (faussement intitulés) “manga” : Mai Mai Miracle, Summer Wars et le live Avalon d’ Oshii dans le cadre du festival “Tête de Mule” à Saint Etienne. Ce n’est qu’à l’issue de la dernière séance de minuit, sur les coups de deux heures du matin, que je me suis dépêché à l’aéroport de Lyon pour embarquer sur le premier vol de 6 heures pour Venise et attraper un train pour Udine… Pas de compte-rendu de la soirée d’ouverture donc, mais de celle de la première vraie journée du festival, le samedi 30, 9h15 avec la projection du film omnibus, Sabi Sabi. Quant aux trois films présentés à l’ouverture, Welcome to Shama Town, Night Fishing et The lost bladesmen, j’y reviendrai ultérieurement, puisqu’ils comptent parmi les rares films à repasser plus tard dans la semaine.
Bastian n’y était pas, mais les caméras du festival étaient bien présentes !
Girls just wanna have fun !!
Sabi Sabi – Quirky guys and gals est un film à quatre sketches autour du thème des garçons et des filles. De qualité inégale, ces courts auront au moins eu pour effet de démarrer la journée par une bonne humeur ambiante et quelques francs coups d’éclats de rire.
Encouragement Gils est signé Fujita Yosuke, ancien assistant de la troupe de théâtre avant-gardiste Otona Keikaku et réalisateur d’un premier film délirant Fine, totally fine en 2008. Son talent pour l’absurde et le comique nonsensique est immédiatement sensible dans ce portrait de trois cheerleaders, qui se sont mises en tête d’encourager quiconque aurait besoin d’un coup de fouet dans la vie. Un homme n’ose déclarer sa flamme ? Elles viendront l’encourager ! Vous n’avez pas la pêche ? Une chorégraphie de leur part et ça repart ! Vous n’osez pas vous élancer pour vous jeter d’un immeuble et vous suicider ? elles seront là pour vous donner des ailes ! Un premier segment parfaitement réussi.
Matsunashi Tomoko n’arrive certainement pas à renouer avec le coup d’éclat de son premier long de 1998, Bitch Matilda. Son histoire de Konosuke, qui se travestit pour tromper la vigilance de l’objet de ses désirs, la photographe de mode Kaori, ne dépasse jamais le stade de la bluette ado sans grand intérêt, jusque dans ce dénouement pas très heureux.
Claim Night ! d’ Oh Mipo ( The Sakai’s Hapiness ) renoue un peu avec la folie du premier en racontant les efforts désespérés de Mayuko de séduire un technicien venu restaurer son électricité, mais c’est véritablement House of suits, quatrième et dernier segment qui relève de nouveau le niveau. Cette histoire d’une jeune femme au foyer, qui recueille des hommes au chômage comme d’autres les chats errants est parfaitement adapté au format court et surprend d’autant plus par la sobriété de sa mise en scène, qu’elle est signée Sekiguchi Gen, réalisateur du cultissime Survival Style 5+ que chacun se doit d’avoir vu au moins cent fois dans sa vie pour mourir heureux.
Une bouffée d’énergie et de bonne humeur d’autant plus bienvenues que les deux heures suivantes étaient d’un tout autre acabit. Floating Lives est un projet que le vietnamien Nguyen Phan Quang Binh a mis près de dix ans à réaliser en raison de sa complexité d’adaptation, de son budget important et de la sensibilité du sujet face à la censure locale. Mais voilà, à force d’avoir enchaîné pubs et téléfilms suite à son premier Song of a storck coréalisé avec Jonathan Foo en 2002, il a finalement réussi à gagner la confiance des producteurs et des censeurs pour pouvoir adapter The immense Ricefield de Nguyen Ngoc Tu.
Sur fond de grippe aviaire, l’histoire raconte la vie dissolue de Vo, veuf depuis la mort subite de sa femme et qui élève seul ses deux enfants adolescents. Tous trois habitent un petit bateau avec lequel ils naviguent le fleuve du Mékong pour élever des canards. Un jour, les enfants recueillent une prostituée quasi battue à mort. La présence de la jeune femme va passablement dérégler la petite vie de famille. Bénéficiant d’un scénario, d’acteurs et de techniciens solides, ce film est une pure merveille, qui n’est pas sans rappeler les meilleurs films de Kim Ki-duk dans ses moments les plus forts. Comme souvent dans le récent cinéma vietnamien, la violence et pulsions sexuelles sont sous-entendues tout au long de l’histoire avant d’éclater dans un final éblouissant. Dans le rôle du père Vo, Nguyen Dustin peut enfin prouver qu’il est un acteur accompli au-delà de l’artiste martial accompli mondialement célèbre pour ses rôles dans The Rebel ou Clash.
Multi(com)plications
Pour le programme de l’après-midi, la magie de la littérature me permet de me démultiplier en critiquant les films passés à la fois au Teatro ET au Visionario. Non, en fait, j’ai la chance d’avoir déjà vu un grand nombre des productions plus récentes dans le cadre de mes autres activités professionnelles. je peux donc surtout me consacrer aux rétrospectives et aux quelques films pas encore vus. Ce qui me permettra également de vous rendre compte au mieux des films programmés.
D’un côté, il y avait donc Villain, magnifique thriller d’une jeune femme s’éprenant – en connaissance de cause – d’un tueur. Adapté d’un roman populaire, Lee Sang-il ( Hula Girls ) livre pourtant une copie toute personnelle du film, une fine étude psychologique avant d’être le mélodrame larmoyant, qu’il aurait pu être. Mais c’est justement en s’attachant à tous les personnages de son histoire sans prendre parti pour personne, que Lee réussit une incroyable étude de caractères jusque dans son final sans concessions. Son meilleur film depuis le polémique Scrap Heaven.
Une étude toute en finesse, qui tranchait justement avec les personnages plus stéréotypés du coréen My Desperado – bien que cette comédie romantique et d’action est plutôt réussi dans son genre. Il s’agit là encore de la rencontre entre une jeune femme seule et un gangster, sauf que Dong-cheol est du genre gros bourru au grand cœur. Le premier long-métrage de Kim Kwang-sik s’inspire à la fois du cinéma de Lee Chang-dol pour lequel il a servi de premier assistant sur Oasis dans le portrait des caractères, que dans celui – beaucoup plus commercial – de Youn Ye-gyun ( Haeundae – The last day ) qui le produit. En résulte un film commercial à l’esprit indépendant, qui se laisse suivre sans déplaisir.
Du côté du cinéma du Visionario, le festival proposait deux films de leur rétrospective Asia laughs. Le premier était Who is the real tycoon , un énorme succès du cinéma taïwanais populaire de 1980. Si le cinéma local était plutôt ravagé à l’époque et que Edward Yang et Hou Hsiao-hsien n’allaient pas tarder à faire leurs premiers pas sur le grand écran, un tout jeune Kevin Chu allait signer coup sur coup les deux plus grands succès de tous les temps avec The Clown et le présent Who is the real tycoon et lancer la carrière de l’acteur Hsu Pu-liao. Ce dernier joue ici le rôle de deux jumeaux : l’un est un puissant homme d’affaires et le second un gros benêt, qu’un tueur à gages, le méprenant pour le frère, va tenter de liquider tout au long du film. L’intrigue absolument mince donne lieu à une accumulation de gags parfois réussis, souvent poussifs, sur le principe de Spy vs. Spy ou – plus proche de nous – du Coyote vs. Bep-Bep avec des attentats de plus en plus malicieux se retournant à chaque nouvelle fois contre leur instigateur. Beaucoup de séquences sont inspirés du britannique Benny Hill, qui cartonnait à la même époque à la télévision mondiale. Ce qui vous donnera une idée du niveau des gags…
An upstart est une comédie coréenne de 1961 du réalisateur le plus prolifique de tous les temps, Kim Soo-yong avec pas moins de 109 films en 52 ans de carrière. Plus connu pour ses adaptations littéraires La Brume (1967) ou Splendid Outing (1977), il a pourtant commencé par des comédies, malheureusement pour la plupart disparues aujourd’hui. An upstart est la première qui ait survécu. C’est une œuvre purement commerciale avec, en tête d’affiche, l’acteur Koo Bong-seo au firmament de sa gloire, qui a même donné son nom au titre original du film, qui se traduit littéralement par: “Koo Bong-seo plein aux as”. C’est donc l’histoire d’un jeune homme naïf, qui touche du jour au lendemain 20 millions de dollars et devient l’envi de tous ceux qui le méprisaient plus tôt ; ce qui donne lieu à tout un tas de situations plus ou moins coquetes avec des personnes tentant de le rallier à leurs causes pour investir dans des projets farfelus et forcément voués à l’échec. Des situations un brin répétitives à la longue, mais non dénués d’un certain charme désuet. Le film prend même une certaine gravité, lorsqu’on le replace dans le contexte historique avec Park Chung-hee, qui est venu au pouvoir pendant le tournage du film. Du coup, certaines séquences dénonçant le pouvoir militaire (!!) prennent une dimension beaucoup plus tragique. Une curiosité…
Dans la salle principale aux 1.200 places blindées, le TEATRO diffusait successivement le l’extraordinaire chinois Buddha Mountain de la talentueuse Li Yu, l’énième “revenge movie” coréen sans une once d’humour The man from nowhere de Lee Jeong-beom et l’efficace hongkongais Stool Pigeon de Dante Lam, qui vient de sortir en DVD en France. Tous trois titres ont déjà été largement commentés un peu partout sur ce site et beaucoup d’autres en France avec mes critiques plus détaillées disponibles sur le site Cinemasie (pseudo happy).
De l’Art et du cochon
Côté Visionario, c’était le lancement du cycle consacré aux “pinku”. Sur le principe des “triple bill” toujours en vigueur aujourd’hui dans les quelques salles restantes nipponnes, le festival a donc eu le bon goût de programmer trois films de nature foncièrement différente pour témoigner de la richesse et diversité des films du genre. Inflatable sex doll of the wasteland (aka Dutch wife in the desert ) est un film de 1967 de Yamatoya Atsushi. Réalisateur d’une poignée de films, il est surtout connu comme scénariste notamment de La marque du tueur, écrit la même année que ce Inflatable…. Les ressemblances sont d’ailleurs nombreuses entre les deux films, à commencer par le personnage du détective privé, mais le résultat – bancal – rappelle également à quel point Suzuki est un réalisateur génial, tandis que Yamatoya a du mal à se dépêtrer de ses propres éclatements structurels et temporels. Inflatable… reste quand même un sacré bout de pelloche enragé, un véritable cauchemar éveillé de ce privé, chargé de retrouver la femme d’un riche homme d’affaire, séquestrée et violentée par une bande de yakuzas.
Blue Sky est le second long-métrage de Zeze Takahisa ( Dog Star ) et le dernier de sa trilogie avec le personnage féminin de Momo, déjà apparue dans son moyen Hey gang, is the weather fine over there de 1985 et de Extracurricular Lesson – Violence de 1989. Blue Sky appartient au véritable sous-genre des “road movie pinku” avec la jeune femme s’enfuyant au bord d’un camping-car avec le père de famille Eiji et le caïd Jintan. Évidemment, leur ballade va mal tourner et Zeze rajoute un élément directement empreint de la réalité, en l’occurrence celui du fameux gang du “Phantom aux 21 visages”, coupable de plusieurs empoisonnements au Japon et qui n’a jamais été attrapé par la police.
Le plus récent Yariman de 2008 concluait cette première nuit de pinku. C’est un film tourné par Sakamoto Rei, le plus jeune des “Seven lucky gods”, une vague de réalisateurs du début des années 2000, qui racontent tous des histoires extrêmement réelles au sein du genre du pinku. Ici, c’est celle du couple de trentenaires composée de Kenichi et Miki, qui est déjà en bout de souffle après seulement quelques années de marivaudage sans même vivre ensemble. Les retrouvailles avec le premier amour de Kenichi vont lui servir de prétexte à toute une série de tromperies. Enfin, pas tant que cela non plus en un peu plus de 60 minutes. Curieux aussi, que les scènes de sexe se ressemblent autant dans les œuvres récentes de pinku : un baiser fougueux, suivi par plusieurs minutes de suçage de seins, qui mettent la femme en extase avant de bouffage de culotte et quelques secondes de parties de jambes en l’air, qui suffisent généralement à ce que les femmes remercient (!!!) leur partenaire (avachi et endormi) pour la nuit d’amour inoubliable. Soit j’ai une épouse exigeante, soit c’est moi qui en fais trop, mais ces chiches scènes de sexe me laissent un peu sur ma faim… Sinon, une belle étude de mœurs avec une vraie empreinte de la part de son réalisateur.
Bastian Meiresonne.