Prenez le Train de la Voie Lactée avec Hirata Oriza

Posté le 9 avril 2011 par

Les 7, 8 et 9 avril dernier, la Maison de la Culture du Japon nous présentait la dernière pièce de Hirata Oriza, adaptée de la célèbre nouvelle de Miyazawa Kenji : La Nuit du Train de la Voie Lactée .
Présent lors de la première, Hirata nous confiait alors l’importance que joue l’œuvre de l’écrivain dans la culture japonaise, mais aussi l’émotion et la fierté de la mettre en scène en cette période difficile car, Hirata est issu de la région d’Iwate, l’une des plus touchées par le Tsunami.
Un hommage donc à l’auteur, mais aussi à toutes les victimes que nous ne devons pas oublier. Par Vanessa Harnay.

La Nuit du Train de la Voie Lactée :

L’histoire nous raconte celle de Giovanni, un petit garçon obligé de travailler afin d’aider sa mère malade, tandis que son père, pêcheur, tarde à rentrer des Mers du Nord. Souvent brimé par ses camarades, notamment Zanelli, Giovanni peut néanmoins compter sur l’amitié de Campanella (et qu’on ne s’y trompe pas, ce dernier et bien un garçon).
Le jour de la Fête des Étoiles, alors que Giovanni ne peut répondre à la question posée par leur professeur, Campanella, feint de ne pas connaître la réponse lui aussi pour le soutenir.
Plus tard, il s’endort épuisé par sa journée en haut d’une colline. Mais voilà qu’il se réveille brusquement dans un train, et que ce train mène au Sommet du Ciel. Plus étrange encore, Campanella est avec lui et l’accompagne au travers ce voyage à la rencontre de gens exceptionnels.
Lorsqu’ils arrivent à la Croix du Sud, tous les voyageurs doivent descendre, mais Giovanni, qui possède un billet spécial, peut aller jusqu’au Sommet du Ciel. Et alors qu’ils se promettent de voyager toujours ensemble, Campanella disparaît.
C’est là que Giovanni se réveille, en haut de la colline. Alors qu’il rentre chez lui, il apprend que Zanelli est tombé dans la rivière, que Campanella a plongé pour le sauver et qu’il n’est pas remonté.

Quand Hirata adpate Miyazawa :

Auteur de plus d’une trentaine de pièce, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre Agora de Tokyo, Hirata Oriza entretient avec la France une relation privilégiée. Aussi quand le Théâtre de Sartrouville lui demande de réaliser une pièce de théâtre pour les enfants c’est dans les œuvres de Kenji Miyazawa qui va chercher l’inspiration.
Avec La Nuit du Train de la Voie Lactée , Hirata nous lance une invitation au rêve, en suivant le parcours initiatique de Giovanni et Campanella en quête du bonheur.

Et pour mettre en scène son adaptation, il s’entoure de quatre comédiennes de talent, qui interprètent une douzaine de personnages environ. Faute de budget, mais aussi pour des raisons pratiques (le spectacle devant être joué une quarantaine de fois en différents endroits ), le décor est minimaliste : un écran géant et quelques cubes multicolores occupent la scène. Mais que cela ne tienne ! Tantôt une salle de classe, tantôt une ville, l’apparence qu’ils prennent ne tient qu’à notre imagination et au jeu des acteurs au fur et à mesure que l’histoire avance. Tiens des rochers, et là n’est-ce pas une montagne à gravir ?
Le tout aidé par la projection d’images animées en arrière plan, nous donnant quelques repères spatiaux temporels, tandis qu’on s’abîmera dans les représentations du ciel étoilé.

La Nuit du Train de la Voie Lactée

Voilà, le rideau peut maintenant se lever et, dès les premières minutes, le ton est donné. Une salle de classe dans un pays inconnu et c’est une véritable retombée en enfance pour les adultes, une simple formalité pour les enfants, qui, le temps d’une soirée retournent sur les banc de l’école.
Ainsi le professeur – somme toute japonais – nous aide à nous souvenir et nous apprend – ou réapprend – ce qu’est la Voie Lactée, avec toute la douceur et la poésie dont seuls les Japonais savent faire preuve.
Mais déjà la leçon se termine et on regretterait presque de ne pas en savoir plus sur ces légendes qui viennent d’ailleurs et qui font rêver.
Nommée Rivière du Ciel en Japonais, cela n’est pas sans rappeler la Fête des Étoiles. Une Fête qui justement se prépare et qui consiste à aller faire flotter des melons sur la rivière. Une Fête à laquelle Giovanni ne participera pas parce qu’il doit s’occuper de sa maman.
Tandis que Zanelli quitte la salle à un grand renfort de cri, pressé de prendre part aux festivités, Campanella, retenu par son professeur, fait preuve d’une amitié exemplaire en expliquant la raison de son silence quant à la question posée un peu plus tôt. Qu’est-ce que la Voie Lactée ?
Il le savait, tout comme Giovanni aurait pu brillamment répondre si la fatigue n’avait pas eu raison de lui durant cette heure de cours. Indulgent, l’enseignant le laisse repartir, lui préconisant une nouvelle fois de faire attention aux bords de la rivière avant de réveiller Giovanni avec douceur.
Quelques excuses plus tard, et le voilà, qui, plein d’entrain, travaille avec ardeur, puis, aussitôt l’argent gagné, court le dépenser pour acheter du pain en pensant combien cela ferait plaisir à sa mère de le manger avec son lait.
Hélas, on a oublié de leur livrer, et Giovanni semble plus affligé par la nouvelle que le fait de ne pas participer à la Fête des Etoiles, et ce malgré l’insistance de sa maman. Il se contentera de la regarder en allant récupérer le lait. Une heure, pas plus, avant de finalement s’accorder une demi-heure supplémentaire pour lui faire plaisir.
Le dévouement dont il fait preuve est d’une tristesse à pleurer alors qu’il s’enfonce dans les rues de la ville, qu’évoquent les dessins enfantins des quelques maisons aux vitres teintées de jaune – projetées par l’écran,- saisissant contrastant avec l’environnement nocturne et le froid qui semblait régner chez lui. Sa solitude est d’autant plus mis en exergue que sa maison, située en haut d’une colline semble isolée du reste du village comme pour mieux le tenir à l’écart de toute cette agitation et les nombreux passages des enfants traversant la scène en courant et en criant à qui peut les entendre “Centaure, fait tomber la rosée !” ne font que renforcer cette sensation.
Encore plus quand Zanelli fait son apparition et se moque de lui sous le regard compatissant de Campanella qui l’accompagnait.
Blessé, il court se réfugier en haut du montagne comme pour fuir ce sentiment qui l’accable et se laisse choir sur un cube-rocher. Le tumulte de ses émotions l’épuisant, il finit par s’endormir. Et voilà qu’il rêve et en rêvant nous emmène avec lui.

“Gare de la Voie Lactée ! Gare de la Voie Lactée !”

 

Où ? Quand ? Comment est-il arrivé dans ce train ? Autant de questions qui lui traversent l’esprit mais qui finalement importe peu, car Campanella se trouve désormais avec lui. Et s’il ne cherche pas à connaître les raisons étranges de sa présence, il s’inquiète néanmoins de voir son ami avec les cheveux mouillés. En guise de réponse, celui-ci s’interroge : c’est quoi le vrai bonheur ?
Le train file à toute allure et la question ne cessera de revenir durant tout leur voyage, pendant lequel ils tenteront de trouver une réponse, aidés par différentes rencontres.
Pour l’heure, c’est l’immensité de l’espace qui nous envahit et nous guide sur la route des étoiles. Les yeux fixés sur l’écran qui nous renvoie ces milliers de points lumineux perdus dans le vide intersidéral, nous suivons, fascinés, le parcours de ces deux enfants.
Car c’est tout un monde qui s’ouvre à nous. Celui de la Voie Lactée. Et chaque gare apporte son lot d’aventures et de découvertes. Comme ce savant un peu fou fasciné par l’ère du Crétacé à la Gare du Cygne, le chasseur d’oiseaux qui les transforme en biscuits ou bien encore le gardien du phare qui guide les étoiles.
L’apparition du contrôleur japonais – inexistant dans la nouvelle – renforce la dimension onirique de ce voyage initiatique. Soudain, on entre dans un autre monde où notre imagination atteint son paroxysme – pour peu qu’on ne comprenne pas le japonais. Les frontières semblent s’effacer. À bord du train, il n’existe plus ni race, ni peuple, juste des humains.
La Voie Lactée, comme l’a expliqué le professeur au début de la pièce, est constituée de milliers d’étoiles. De la Terre, on a l’impression qu’elles sont liées, mais en réalité elles sont toutes séparées.
C’est cela le train de nuit de la Voie Lactée.
Et Giovanni qui possède un billet spécial veut aller jusqu’au Sommet du Ciel avec Campanella.

“Nous avancerons toujours ensemble, toujours…”

Pourtant ses mots résonnent avec force dans l’espace vide du train dont l’écho nous renvoit à notre propre solitude.
Le voyage se termine, Giovanni ouvre les yeux et quand enfin on redescend sur terre, on se rend compte que Campanella n’est plus.

Et si le vrai bonheur n’était pas seulement d’apprécier le présent, mais aussi les choses que l’on a maintenant car l’instant d’après, elles peuvent disparaître, et si finalement c’était cela, le message que nous, adulte, devrions-nous percevoir tandis que nos chères têtes blondes se contenteront de comprendre la valeur de l’amitié.

Les hommes sont seuls depuis leur naissance.
Seuls, mais si on les voit depuis l’espace, ils sont réunis, tous ensemble.
Ils sont tous ensemble, et tous, seuls.

Peu importe, les mots, il n’y en a aucun pour décrire ce sentiment de vide, de solitude qui vous saisit et vous bouleverse et ce qui le comprendront le mieux, sont certainement les enfants, auxquels s’adressent finalement cette pièce.

Les plus : Une histoire enchanteresse, des acteurs talentueux, des projections étoilées qui font qu’on se prête volontiers au jeu.

Les moins : La prononciation de l’actrice japonaise pas toujours facile à comprendre et une piqûre de rappel pour vos enfants : non, on ne doit pas accepter de la nourriture de la part de n’importe qui, mais là encore, il s’agit juste d’un défaut de perception.

Vanessa Harnay.

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