Interview vidéo de Sono Sion et Kagurazaka Megumi pour la sortie de Guilty of Romance

Posté le 24 juillet 2012 par

C’est à Kinotayo 2011 que nous avons rencontré Sono Sion, alors qu’il venait y présenter Cold Fish et Guilty of Romance, et qu’il était entre les tournages de Himizu et Land of Hope. Alors qu’un de ses films, l’excellent Guilty of Romance, a enfin les honneurs d’une sortie en salles ce 25 juillet, il nous a semblé opportun de vous livrer les propos de l’insaisissable cinéaste. Nous avons choisi de vous présenter un montage de l’interview, suivit d’une retranscription fidèle de l’entretien, reflétant le déroulement original des événements. Bon visionnage et bonne lecture ! Par Anel Dragic.


Interview Sono Sion par EastasiaVod

Un grand merci à Laurent Geslin pour le doublage, ainsi qu’à Maiko-Eva Verna pour le doublage de la charmante Mlle Kagurazaka Megumi !
Votre  cinéma s’attache à dépeindre la société japonaise et ses maux  (suicides, sectes, prostitution…) en s’intéressant souvent à des  groupes en marges de la société. Qu’est-ce qui vous intéresse chez eux ?

 

 

Souvent, à la fin de vos films, les personnages basculent dans la folie. Pensez-vous que ça reflète la société japonaise actuelle ?
(longue pause)
Vous me posez des questions très importantes. Ça me met dans l’embarras. On va y revenir plus tard…
Vous filmez des personnages transgressifs et votre cinéma l’est tout autant. Qu’est-ce qui vous motive à faire ce genre de films ?
Je pense que je pourrai répondre à cette question…
La raison pour laquelle je suis à contre-courant, c’est que les films qui sont fait au Japon actuellement sont très conventionnels, et je vais à l’encontre de ces films-là. En revanche, si on faisait comme dans les années 60 des films transgressifs, je ferais sans doute des films très calmes, très simples.
Les personnages sont souvent à la recherche de leur identité. Qu’elle soit sexuelle (dans votre trilogie de la haine) ou bien de l’ordre de la nationalité (dans Hazard). Qu’en pensez-vous ?
Je pense que votre interprétation est juste.
Mes personnages sont à la recherche de leur  identité sexuelle. Sans cette recherche,  je considère que la vie est vaine.
J’aimerai citer un poète : « Durant son passage sur terre, si un être humain ne se cherche pas sur le plan sexuel, il reste spectateur de sa vie, il passe à côté de sa vie ».
(Pour Kagurazaka Megumi ) Pour vous, quelle vision des femmes renvoient les films de Sono Sion ?
Kagurazaka Megumi : La vision  des femmes ? …
Je vais surtout parler des personnages que j’interprète dans les films de Sono Sion.
Ce sont des femmes qui ne savent pas quoi faire de leur quotidien, qui se cherchent sans trouver de réponses, qui n’ont pas de but dans leurs vies. Elles ne savent pas comment se positionner par rapport à ça…
C’est ma vision des femmes dans ses films…
Quelle est la différence entre votre rôle dans Cold Fish et Guilty of Romance ?
Kagurazaka Megumi : Les deux femmes que j’interprète ne sont pas satisfaites dans leurs vies. Elles aspirent au changement et souhaiteraient faire quelque chose pour modifier leur quotidien. Néanmoins, la différence entre les deux, c’est que le personnage de Taiko dans Cold Fish est complètement dépendante de son mari, tandis que celui d’Izumi dans Guilty of Romance se connaît plutôt bien, et se découvre petit à petit. Elle est complètement indépendante même si elle a un mentor dans le film.
Votre « trilogie de la haine » (Love Exposure/Cold Fish/Guilty of Romance) étudie tour à tour la sexualité des adolescents, de l’homme, puis de la femme. Elle aurait tout aussi bien pu s’appeler la « trilogie de la sexualité ». Qu’en pensez-vous ?
Sono Sion : Hum, sex !
Quelles questions étranges…
Si vous vous focalisez sur l’angle sexuel de la « trilogie de la haine »,  je pense que vous pouvez tout  à fait interpréter les films en les voyant comme une trilogie sur la sexualité.
Ça me rappelle un ami qui est rédacteur en chef d’un célèbre magazine au Japon, qui a tendance à beaucoup interpréter ce que j’essaye de faire. Donc, pour esquiver ses questions embarrassantes, je lui mens. Je lui dis par exemple :  je fais des films pour payer mon loyer , ou pour remplir le frigo… Et c’est resté ! C’est comme ça que je me débarrasse de lui.
(rires)
La famille dans vos films est très souvent terrifiante, et elle vit avec son lot de problèmes. Elle peut être disloquée, recomposée (Cold Fish) ou vivre avec de terribles secrets (Guilty of Romance). Quelle est votre vision de la famille japonaise contemporaine ?
Tout est parti de ma propre expérience, du modèle familiale que j’ai eu.
Ma famille n’est pas vraiment à l’image du modèle traditionnel de la famille japonaise.  Non pas que j’ai  été victime d’attouchements sexuels de la part de ma famille, ce n’est  pas du tout ça… Mais quand j’étais gamin, mes parents étaient  incroyablement sévères, et terriblement rigides. En revanche,  mon grand-père était un anarchiste. Je me suis donc développé au sein de cette famille et de ces contradictions. J’ai exprimé tout ça à travers mes films.
J’ai lu que vous n’aimiez pas Ozu. Est-ce aussi une manière de montrer une famille complètement différente de celles d’Ozu ?
Ce n’est pas que je n’aime pas spécialement les films d’Ozu, ou que je le déteste personnellement, c’est tout le tapage que l’on fait autour de lui qui m’agace.
Je pense que le cinéma japonais contemporain respecte presque trop les films qui ont été déjà faits dans le passé, et Ozu symbolise ce cinéma du passé. À l’époque, les films japonais pouvaient aussi être très expérimentaux. Mais à cause du cinéma de Ozu, les films réalisés aujourd’hui  au Japon, ceux que les gens se sont mis en tête de considérer comme les meilleurs, sont des films très calmes, comme ceux d’Ozu.
Est-ce qu’on peut revenir sur les premières questions ? Quelle était la question sur Ozu ?
Est-ce que vous avez construit vos films pour aller à l’encontre de ça ?
En fait, je pense que si Ozu était encore en vie aujourd’hui, il n’aurait pas décrit ce genre de famille, car elles n’existent quasiment plus aujourd’hui au Japon. Il les aurait sans doute dépeintes dans un style différent.
Dans le film Le Voyage à Tokyo, il décrit une famille qui est en train de se détruire.
À l’époque,  il montre l’exemple d’une famille qui était complètement décomposée, mais s’il vivait encore aujourd’hui, il serait sans doute allé plus loin. Bien que je n’arrive  pas  du tout à imaginer  ce qu’il aurait fait.
Et il y a aussi trop de respect envers le cinéma américain symbolisé par John Ford. Le cinéma japonais contemporain a tendance  à se calquer  sur  le modèle symbolisé par celui de John Ford.
Qui y a-t-il comme réalisateur japonais que vous respectez beaucoup ?
À l’époque, les gens avaient beaucoup de respect pour les réalisateurs japonais. Mais de nos jours, il n’y en a quasiment plus. Par exemple, Miike Takeshi ou moi-même , on ne nous respecte pas, pire on nous déteste même.
Des réalisateurs que je respecte moi ? Non aucun, ce sont tous des abrutis !
Comment écrivez-vous vos scénarios ? Partez-vous d’un sujet qui vous intéresse ou à partir des personnages, d’une idée de mise en scène ?
Souvent,  je commence à écrire un scénario d’après mes expériences ou bien celles de quelqu’un que je connais. Mais après, ça dépend, peu importe le sujet, cela varie…
Comment tournez-vous ? Quelle est votre organisation ? Tout est-il préparé ou bien aimez-vous expérimenter quand vous êtes face à la situation ?
Ça dépend du tournage, mais à vrai dire, sur mes plateaux, il y a très peu d’improvisation. Par contre, lorsque je tourne, j’aime ne pas avoir de contraintes, pour ma part. Et j’essaye donc autant que possible de laisser un maximum de liberté aux acteurs.
Je reviens à la question de tout à l’heure. J’apprécie quand même le travail de Miike Takashi et celui de Kurosawa Kiyoshi. Mais plus particulièrement celui de Takashi car c’est un ami à moi, aussi. Ça me revient maintenant.
Je connais un petit peu Kurosawa aussi. Il y a longtemps, lorsqu’il était étudiant  il travaillait dans mon équipe, mais il était tout en bas de l’échelle. Donc, on se connaît un petit peu, lui et moi.
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
Un message ?
Sono : Salut, je suis Sono Sion, réalisateur de films et elle c’est ma….
Megumi : Moi c’est Kagurazka Megumi.
Merci infiniment  d’avoir suivi cet entretien !
Sono : Merci pour votre support !
Megumi : Au revoir !
Sono : Salut !
Je peux revenir sur les premières questions ?
(Il les lit)
Dans un sens, mes films reflètent la situation  japonaise actuelle, ses problèmes sociétaux.
Mais, si l’on revient dans le passé, ces problèmes étaient déjà connus. On peut le constater  dans les films.
Par exemple, j’ai pu le constater dans un film que je suis allé voir sur la mythologie qui conte l’histoire de Jésus contre le mal après sa naissance. On peut le constater également à la période du Moyen Âge où le mal est présent. Donc, en fait, je pense que les travers de la société n’ont pas changé tout au long de l’histoire.
Dans  l’essai d’un vieillard qui date d’avant la naissance du Christ, j’ai pu lire que ce vieux monsieur dit que les jeunes gens de son époque sont perdus, médiocres… Et je pense que les jeunes à notre époque ne sont toujours pas terribles aujourd’hui. Donc en fait, peut-être que rien n’a réellement changé depuis la nuit des temps…
Propos recueillis par Anel Dragic le 24 novembre 2011 à Paris dans le cadre de Kinotayo 2011, le Festival du cinéma japonais contemporain.
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