Deauville 2011, jour 2 : rencontre avec le diable

Posté le 12 mars 2011 par

Aujourd’hui, Olivier Smach vous dit pourquoi I saw the devil se fait griller la place du film du jour par un premier film japonais, Park Chanwook passe un coup de fil, Victor Lopez dit ok à Oki’s Movie et Csaba Zombori, notre spécial guest, est prêt à se mettre à dos les fans de Bollywood pour défendre le cinéma indépendant indien ! Par Victor Lopez, Olivier Smach et Csaba Zombori.


Vendredi 11 mars.

Le film du jour : Birth Right de Hashimoto Naoki (Compétition)

Premier film de Hashimoto Naoki, Birth Right est fort bien maitrisé et constitue une excellente surprise.

Cependant, le métrage débute de manière assez déroutante au premier abord. D’une part, les 15 premières minutes sont quasi muettes, durée pendant laquelle la caméra se concentre sur une jeune femme sombre et léthargique, dont la seule activité se résume à observer en toute impunité, dans un élan psychotique, une famille heureuse en apparence.Cette même jeune femme, Mika, s’en prend à Ayano, la fille du foyer en la kidnappant, avant de l’enfermer dans une sorte de grange sordide et désaffectée.

D’autre part, ce qui surprend de nouveau est la réaction de la captive qui ne manifestera que très tardivement un instinct de survie faiblement développé. Est-ce la conséquence directe d’un aspect culturel, qui pousse les japonais à réprimer leurs émotions primaires ? En effet, dans un cadre cinématographique, même en cas de situation extrême, ils semblent être complètement désemparés. A titre d’exemple, une situation similaire se pose également dans le film Grotesque de Shiraishi Kôji, dans lequel un jeune couple, qui se fait kidnapper par un tortionnaire chirurgical, n’offre aucune résistance, où pire, ne cherche à aucun moment à lui demander quels sont les motifs qui le pousse à agir de la sorte. Mais bon, cela est un débat extérieur au film, nous n’irons donc pas plus loin dans la réflexion.

Revenons sur Birth Right dont le traitement est lent, les plans durent longtemps. Le réalisateur a manifestement travaillé sur la durée, histoire de conférer à son film un sentiment d’oppression. L’ennui ne se fait à aucun moment sentir (sauf peut être au début, où l’on peine à rentrer dans le film, mais cette étape semble voulue, en opposition avec la suite) et le métrage prend de plus en plus de saveur à mesure que la narration progresse. La tension monte petit à petit au rythme des notes de piano dans un registre classique aux gammes mineures, ce qui renforce l’aspect mélancolique du récit. Nous parvenons à comprendre au fur et à mesure les intentions de Mika, qui va se révéler particulièrement touchante.

A la manière d’une tragédie grecque, le film se clôt sur une scène dramatique des plus poignantes, très forte émotionnellement. Il ne pourrait pas y avoir de meilleures explications pour traduire ce que peut être la détresse humaine dans sa forme la plus brute. Tout simplement sublime !

Olivier Smach

J’ai rencontré le diable – Akmareul Boatda – de Kim Jeewoon (Panorama)

Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : J’ai rencontré le Diable est un excellent divertissement mais loin d’être la bombe absolue tant espérée, et ne justifie vraiment pas la réputation sulfureuse qui précède le film. Rappelons que le film a été censuré et interdit aux moins de 18 ans en Corée.

Jusqu’à présent, le réalisateur de Bitter Sweet Life et du Bon, la Brute et le Cinglé nous a habitué à un travail cinématographique extrêmement bien léché, techniquement parfait, avec une mise en scène complètement maitrisée de bout en bout. Avec J’ai rencontré le Diable, il ne déroge pas à la règle.

Le film est poseur mais le réalisateur semble complètement assumer ses choix artistiques, donc aucun problème. C’est très efficace et il sait manifestement comment répondre aux attentes du public. Les scènes d’actions sont impeccables, les acteurs excellents. Lee Byung-hun a toujours autant la classe et est plus « vénère » que jamais, tandis que Choi Min-sik (producteur et à l’origine du projet) dans le rôle du sérial killer de service est tout simplement bluffant ! D’ailleurs Kim Jee-woon, grand fan des Frères Coen (selon ses propres mots), emprunte de nombreux traits de caractères au personnage de Javier Bardem de No Country for Old Men pour les insuffler à Mr Old Boy.

Point positif également, il n’y aucune justification à ses massacres, il tue de manière perverse, et à aucun moment durant le film, nous sommes en mesure de ressentir une once de sympathie ou d’empathie envers ce personnage, il est tout simplement l’incarnation parfaite du mal absolu ! Le pitch raconte l’histoire d’un psychopathe qui assassine la fiancée d’un agent des services secrets Coréen, et ce dernier se promet de lui rendre la monnaie de sa pièce au centuple…

Mais malheureusement, c’est là que ça pèche : le réalisateur ne va pas jusqu’au bout de sa thématique de la vengeance, et bien que le vilain prenne cher quasiment tout le long du film, on reste un peu sur sa faim une fois celui-ci terminé. Malgré des scènes d’horreurs particulièrement saisissantes et un duel psychologique qui s’amorce rapidement et intensément entre les deux rivaux, ça reste très politiquement correct et nous sommes loin d’atteindre les sommets d’un Old Boy dans le caractère malsain du sujet. Et mis à part un suspens certain ressenti durant la scène d’ouverture, le film ne parvient jamais réellement à instaurer par la suite un climat de tension, comme avait pu le faire par exemple le sublime The Chaser. A noter également que certaines scènes d’humour noir viennent ponctuer sporadiquement le film histoire de désamorcer un sujet assez lourd. La scène dans le taxi est très drôle.

Pour conclure, I saw the Devil, n’est donc pas un thriller d’une grande finesse, mais plutôt un sympathique film d’action/horreur efficace, qui, il faut bien le reconnaitre, s’avère tout de même assez jouissif !

Olivier Smach

Night Fishing de PARKing CHANce (Panorama)

Un court de 30 minutes signé Park Chanwook (aidé de son frère Chankyong) ? On est plus que preneur ! Surtout lorsqu’on se rappelle la merveille que le réalisateur d’ Old Boy avait signé pour l’anthologie 3 Extrêmes. Ce n’est pas tant la sophistication esthétique qui motivent les Park avec ce Night Fishing que le défi technique, le court étant réalisé avec des I-phone 4 en 10 jours. Que l’on se rassure, le résultat a ensuite été retravaillé avec du matériel pro et a subit un travail de post-prod de 100 000 euros. Bref, même si ça fait une bonne pub pour Apple, ce n’est pas le premier venu qui peut faire un exercice de style avec un tel rendu.

Le but est donc atteint, puisque le film se voit sans problème sur grand écran et l’on peut affirmer que la résolution de l’image de l’I-phone vaut celle de n’importe quelle caméra numérique. Débutant comme un clip un peu taré d’un groupe de rock foutraque (Bekhyunjin, me souffle-t-on), le film vire rapidement vers l’horreur burlesque puis vers le drame fantomatique assez poignant. On peut donc affirmer que le véritable enjeu de Night Fishing est dépassé, puisqu’on ne pense plus du tout aux conditions de réalisation en voyant le résultat, et qu’on coupe son portable pendant cette stimulante partie de pêche.

Victor Lopez.

Oki’s Movie de Hong Sangsoo (Panorama)

Ha Ha Ha sort à peine dans les salles françaises que déjà Hong Sangsoo a terminé ce Oki’s Movie, variation courte mais toujours pleine d’idées sur les éternels canevas et thématiques du cinéaste. La réussite de ce Oki’s Movie tient à trois éléments. Tout d’abord, Hong est arrivé à une maîtrise parfaite de ses moyens cinématographiques, ce qui rend le film extrêmement plaisant à regarder. L’œuvre démontre encore une fois l’accessibilité absolue d’un cinéaste réputé intellectuel. Ensuite, si le réalisateur a de moins en moins d’argent, il a toujours autant d’idées, et l’astuce scénaristique ici expérimentée est encore une fois une merveille d’inventivité narrative. Quatre histoires mettent en scène les mêmes personnages dans des situations identiques, changeant les points de vue sur les événements, et peut-être l’époque et le film (pour comprendre cette dernière assertion, il faut avoir vu l’œuvre…). Enfin, la justesse des rapports humains décrits touche encore une fois et font de Hong Sangsoo un grand peintre moral. Rajoutons qu’une scène, où le héros cinéaste est sommé d’expliquer sa conception du septième art, vaut comme justification teintée d’ironie (l’orateur est comme il se doit, tout à fait alcoolisé), de toute la démarche artistique de Hong Sangsoo. Ce n’est pas le sujet ou les thèmes qui importent, mais les rapports humains qui priment. Et ceux-ci évoluent : on juge quelqu’un avec certains éléments un jour, d’autres éléments nous font voir cette personne différemment un autre. A travers la multiplicité des points de vue sur les êtres, les choses, les événements que proposent les films de Hong Sangsoo, c’est une bien belle définition du cinéma qu’il propose là.

Victor Lopez.

Udaan de Vikramaditya Motwane (Sélection)

Un film indépendant indien est un film sans chorégraphies sucrées sur des chansons populaires tournées dans des palais majestueux et défendus par des tigres savants. Udaan, c’est l’anti-bollywood.

Rohan, dix-sept ans se fait virer de son pensionnat et doit revenir vivre chez son père qu’il n’a pas vu depuis huit ans et qu’il considère comme mort. Il y découvre un demi petit frère de six ans et un père aux exigences militaires. Ses aspirations de devenir un grand écrivain sont anéanties par la volonté du père qu’il devienne ingénieur dans l’usine familiale.

Le film pointe la frustration déchirante des jeunes adolescents indiens face aux traditionnelles filiations professionnelles et morales imposées. Zohan et ses amis se retrouvent piégés par cette société masculine castratrice des pulsions d’envie d’autre chose. Le réalisateur Vikramaditya Motwane magnifie avec justesse les doutes et interrogations des jeunes adolescents. Une période difficile à saisir qu’il décrit comme une navigation constante entre les errances boutonneuses et les prises de conscience existentielles silencieuses permettant un saut progressif par dessus bord dans l’âge adulte.

Malgré une scène finale conventionnelle et boursouflée de ralentis et regards conquérants sur une musique rock libertaire, ce film prouve qu’un autre cinéma indien est possible, d’une pertinente profondeur, sans princesses et éléphants magiques.

Csaba Zombori.

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