Quatre films viennent aujourd’hui interroger la place de l’enfance et le rapport des images à l’histoire : l’inégal Bends de Flora Lau, le touchant Like Father, Like Son de Kore-eda, le plombant Death March de Adolfo Alix Jr et l’indispensable L’Image manquante de Rithy Panh. Comme quoi, on ne fait pas toujours la fête à Cannes. Par Victor Lopez.
Kore-eda et Flora Lau, l’enfant manquant
Avec Like father, like Son, Kore-eda semble poursuivre le sillon lumineux de I Wish, en contant le récit très maîtrisé d’un échange d’enfants, découvert 6 ans plus tard par deux familles antithétiques. Que faire alors : est-il possible de procéder à un échange pour recomposer les familles comme si de rien n’était ? L’éclairage se teinte cependant d’un certain clair obscur. Dans I Wish, le sujet dramatique d’une famille décomposée par le divorce était traité avec la légèreté du point de vue des enfants, à un âge où l’on croit encore que les désirs peuvent se réaliser en partant à l’aventure. Dans Like Father, Like Son, le sujet que l’on pourrait associer à la comédie (Etienne Chatiliez l’a montré chez nous dans la Vie est un long fleuve tranquille) est traité avec la gravité que lui confère le regard du père de famille rigide, dont les certitudes sur son fils s’effondrent en même temps que cette révélation.
Plus que les interrogations sur les liens du sang, c’est alors la place accordée à l’enfant par des adultes qui n’ont pas le temps de créer un véritable lien avec ceux-ci qui se retrouve au centre du film. Obnubilé par son travail, le père ne vise qu’à la réussite sociale de son fils, et néglige le reste. À partir de là, Kore-eda nous délivre une petite leçon de vie, visant à remettre avec subtilité la vie et l’enfance au centre des choses.
Dans Bends de Flora Lau, l’enfant est aussi nié à travers l’histoire d’un couple chinois dont la femme est proche d’accoucher, mais obligée de se cacher pour ne pas payer l’amende du second enfant. Afin d’éviter que celui-ci ne soit pas orphelin, ils doivent parvenir à Hong-Kong, où travaille le mari, chauffeur pour une famille aisée. Le récit va alors se partager entre la description du combat de cette famille prolétaire, et celle du quotidien de la femme hongkongaise pour laquelle elle travaille. Celle-ci est de son côté abandonné par son mari qui vient de disparaitre sans rien lui laisser, et essaie de sauver les apparences. Sa solitude surtout frappe. Bien entendu, ses amies n’en sont qu’en façade, mais le plus marquant est l’absence de sa fille. Dans une des premières scènes, elle se vante de l’avoir envoyée à l’étranger et d’être libérée des préoccupations de son adolescente. Elle ne fera qu’une brève apparition plus tard, à travers un coup de téléphone réclamant de l’argent. D’un côté, on a un enfant désiré qui risque de ne pas avoir d’identité et d’être un « clandestin », de l’autre une fille dont l’existence même est effacée pour le bien-être de ses parents.
Adolfo Alix Jr et Rithy Panh : Histoire(s) au cinéma
L’enfance est également au centre de L’Image manquante de Rithy Panh, qui poursuit son combat artistique sur la mémoire de génocide khmer rouge, en se focalisant cette fois-ci directement sur ses propres souvenirs. « Le cinéma prime sur la volonté de destruction, il est un rempart », nous dit le réalisateur avant le film. Ce rempart, il décide de le créer de toutes pièces, avec des petites figurines taillées dans le bois qui viennent figurer ce que l’on ne peut pas figurer, nous aider à imaginer l’inimaginable.
L’Image manquante finit donc d’inscrire l’œuvre de Panh dans un geste lanzmanien, au sein duquel les images présentes témoignent de ce qui s’est passé en recréant ce passé sans recourir à une reconstitution mensongère qui se substituerait à la réalité. Par une image qui s’affirme artificielle, le passé n’est pas mimé mais recomposé, ré-imaginé. Quelques bouts de bois, un texte lu en voix-off, et l’horreur des années khmers nous parvient par l’écran de cinéma, tout en servant de rempart à celle-ci, et à l’oubli de la réalité. Créer d’autres images pour se souvenir autrement de la réalité qu’à travers les images officielles du régime khmer, qui enregistrait la réalité pour eux-aussi documenter et endoctriner. Se substituent à celles-ci les images personnelles de Rithy Panh, qui nous livre, tel un exorcisme ou une psychanalyse, les images qu’il voudrait ne plus voir pour ne plus avoir à les contempler. On les accueille avec émotion.
À la suite du Rithy Panh, était également projeté à Un certain regard un autre film qui interroge la représentation des horreurs de l’histoire : Death March, du philippin Adolfo Alix Jr, sur la grande marche forcée par les Japonais sur les prisonniers américains et philippins en 1942. Forcé, le film l’est aussi dans son dispositif artificiel, qui peut d’abord sembler ingénieux, mais qui apparait finalement comme rapidement lassant. Tourné en studio, Death March assume ses décors de théâtre en carton-pâte, son anti-naturalisme, sa théâtralisation, son noir et blanc très stylisé et son look de pièce de théâtre d’avant-garde des année 70. Malheureusement, cette mise à distance de l’horreur pour mieux la pénétrer par le langage cinématographique ne fonctionne pas, et le film n’arrive pas à dépasser son statut d’exercice de style sursignifiant, sur les horreurs de la guerre et la condition de l’homme dans des circonstances extrêmes.
Après tous ces drames, la journée de demain sera plus rieuse, avec un Johnnie To rigolard et des films de genre de Miike Takashi et Kurosawa Kiyoshi.
See you, Cannes Cowboy!
Victor Lopez.
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