Inconnu, présumé français, ou le destin des orphelins vietnamiens arrivés en France pendant la guerre d’Indochine. Poignant. Par Jérémy Coifman.
C’est l’histoire de douleurs si grandes qu’elles ne peuvent disparaître, pas totalement du moins. Cinquante ans ont passé depuis la guerre, leur arrivée en France par bateau ou par avion. Sans comprendre ce qu’il se passait, ils ont dû quitter leur pays, leur mère. Leur particularité ? Ils sont nés de mère vietnamienne et de père inconnu, présumé français.
C’est l’histoire de Jacques, René et les autres. Ces gens sans famille qui ont dû se reconstruire, d’abord à la FOEFI (association philanthropique créée par William Bazé, lui-même eurasien) qui les a accueillis, puis dans la vie de tous les jours. Les blessures sont encore vivaces. Il suffit d’un mot, d’un poème récité péniblement ou d’un regard sur une photo pour rouvrir la plaie. Parce que, malgré les années, les réussites et les bonheurs, il est déchirant de ne pas savoir d’où l’on vient ou pourquoi votre mère vous a abandonné.
De part en part, Inconnu, présumé français est traversé par cette tristesse profonde, cette mélancolie insondable. Le genre de douleur chronique présente depuis des années sans qu’on puisse s’en débarrasser. Les témoignages s’enchaînent, se recoupent, les histoires se ressemblent, douloureuses. Pourtant avec le FOEFI, ils ont trouvé une famille de substitution. Ils sont restés soudés malgré les années, se retrouvant régulièrement pour des repas, en souvenir du bon vieux temps, n’oubliant pas les saveurs de leur pays natal. C’est cela aussi Inconnu, présumé français, il montre qu’au-delà de tout, il y a la vie.
Philippe Rostan, comme pour Le Marché de l’amour (2011), filme les différents témoignages avec pudeur et bienveillance. Du didactisme initial pour poser le décor, on passe à quelque chose de beaucoup plus viscéral. Au-delà des différentes images d’archives et autres photos, on retiendra avant tout les mots, les différentes histoires et anecdotes racontées par les intervenants. Celles-ci sont relatées avec tant de précisions, de détails et le souvenir est tellement brûlant dans leur cœur qu’elles marquent durablement. Le paroxysme étant atteint lorsque la sœur de Jacques, restée au Vietnam après le départ de ses deux frères, raconte sa vie : un enchainement de situations incroyablement dramatiques et scabreuses. Jacques, qui assiste au récit et qui n’est pas au courant, est sous le choc. Nous le sommes aussi. Cette scène souligne toute l’intelligence du propos de Rostan. Il met en parallèle la réussite en France de ces pupilles de la FOEFI et la dure vie pour ceux restés au Vietnam. Mais il n’omet pas d’aborder la politique française complètement aberrante et le traitement inhumain réservé aux enfants et aux mères vietnamiennes. Séparation de fratrie, études sur le physique (« On était traité comme du bétail » répétera René) ou séparation presque forcée avec les mères, rien n’est occulté.
C’est ce qui accentue la force du documentaire de Philippe Rostan, cet attachement à relater tous les aspects de son sujet au travers de ces gens et de leurs histoires. Ce n’est pas un film à thèse mais un film porté sur l’affect. C’est un sujet qui tient particulièrement à cœur au réalisateur. La plus grande réussite d’Inconnu, présumé français est sa capacité à émouvoir, sans jamais sombrer dans le pathos ou le voyeurisme. C’est aussi de montrer Jacques, René, Yên-Noele et les autres, bien des années plus tard, parler, rire, pleurer comme si, le temps d’un documentaire, ils redevenaient ces enfants, nés de mère vietnamienne et de père inconnu, présumé français.
Verdict :
Jérémy Coifman.
Inconnu, présumé français de Philippe Rostan, disponible en DVD, édité par Jour2Fête, depuis le 03/05/2011.
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Le 31/10/14 par Elvire Rémand