Café Noir de Jung Sung-il (FFCF)

Posté le 15 octobre 2011 par

Un premier film de (bien) plus de trois heures, réalisé par un important critique coréen ? Esbroufe ou ambition esthétique démesurée ? Certainement un peu des deux : un film d’une interminable prétention, que quelques trop rares moments de grâce n’arrivent pas à rattraper.  Par Victor Lopez.
L’histoire : Un homme lit Les Souffrances du jeune Werther et, bien que plus tout jeune, semble être devenu le personnage de Goethe. Plus tard, posant le roman allemand, il ouvre Les Nuits blanches de Dostoïevki. Il croise alors dans un Séoul qui s’est animé mais dont les couleurs ont disparu, une Nastenka coréenne. Entre temps, il se sera pris pour Choi Min-sik le temps de l’achat d’un marteau, aura rencontré une ado se prenant pour la Vierge Marie des fast-food et même un personnage de Hong Sang-soo… Pendant ce temps, partout autour de lui, des ballons rouges s’envolent pour un voyage aussi mystérieux que le sens du film. Serait-ce que la vie rejoue indéfiniment toutes les histoires des romans et des films ?

Café Noir est le film d’un critique et cela se voit. C’est tellement flagrant que le film de Jung Sung-il se commente lui même, dans un geste réflexif qui pourrait charmer s’il n’était pas aussi solennel.  À la fin du métrage, les personnages discutent une pièce de théâtre sur la Passion du Christ et se demandent s’il faut trouver ça sublime ou ridicule, tout en trouvant intéressant le fait de laisser le spectateur interpréter la symbolique par lui-même. Malheureusement, Café Noir est trop maîtrisé pour être ridicule, et trop creux pour être sublime. En l’état, il se pose comme un objet conceptuel vain et prétentieux, permettant surtout à son auteur de faire étalage de sa culture indéniable et de son savoir faire évident. Mais cela ne suffit pas à faire un film, ni à provoquer des émotions.

Histoire(s) de la littérature

Une autre scène peut faire figure d’auto-critique lucide : une femme explique que pour supporter l’ennui, il faut fermer un œil. On peut ainsi le contempler plus directement. Café Noir se regarde alors effectivement d’un œil seulement. Du moins pendant ses deux premières heures, écho immobile (tous les plans sont fixes, longs, et soigneusement composés dans leur staticité) au célèbre roman épistolaire de Goethe. Même l’art de la citation, qui se voudrait godardien, indiffère plus qu’autre chose. Pourquoi telle référence au Voyage du ballon rouge ? Pourquoi citer Lacan, Aristote et la Bible ? Chez Godard, en qui Jung se rêve très certainement, la citation se fait un art malicieux, toujours joueur. Les guillemets disparaissent et ouvrent sur un univers de signes didactiques. Rien de tel ici : l’exercice est plombé par un sérieux religieux qui coupe l’envie de vraiment comprendre de quoi il s’agit.

Après deux heures insupportables, le film bascule et échange Goethe pour Dostoïevki. Un tardif générique terminé, on passe donc au noir et blanc et la caméra se meut enfin. Mais surtout, Jung Yumi apparait en Nastenka et illumine deux scènes magnifiques. En un plan fixe de plus d’un quart d’heure sur son visage en larme, elle relate son histoire d’amour tragique. En un autre, elle se met à danser avec grâce et apporte une nouvelle dimension au film, qui sort quelques minutes durant de sa posture intellectuelle et de son costume trop grand pour lui. Las, Café Noir ne se conclut pas là, mais enchaîne sur une dernière demi-heure au mysticisme abscons, renouant avec l’insupportable début.

Journal d’un rêveur

L’absence de Jung Yumi et l’ennui des images sans elle permet alors à l’esprit du spectateur de divaguer et de se poser quelques questions sur le sens du film. Pourquoi diable en effet relier ainsi artificiellement Goethe et Dostoïevki ? Dans la première partie, un personnage lit à une amie une tirade que celle-ci attribue à Werther. Raté, c’est (de mémoire, corrigez-moi si je me trompe) Aliocha ! L’erreur d’une collégienne justifie donc à elle-seule la structure d’un film, qui révèle là tout son caractère artificiel. De manière plus profonde, admettons que Jung Sung-il soit allé un peu plus loin dans l’explication de texte.

Une thématique structure le film comme les deux romans, qu’il illustre plus qu’il n’adapte. On y voit sans cesse des personnages attendre un amour absent, n’arrivant pas à suivre le conseil qui pourrait éviter la tragédie : arrêter d’attendre celui ou celle qui ne viendra pas et penser à celui ou celle qui nous attend. Werther et le narrateur des Nuits Blanches y succombent, littéralement ou de solitude. À moins que la justification du film tienne dans une belle thématique, elle aussi esquissée mais noyée dans le flot asphyxiant du film : les histoires d’amour que vivent les gens ne font que répéter celles des romans. Pourquoi pas, se dit-on, mais on a surtout envie de dire, comme devant l’alignement monocorde des références diverses : « Et alors ? ».

Victor Lopez.

Café Noir de Jung Sung-il est diffusé au Festival du Film Franco-Coréen (Cinéma Saint-André-des-Arts à Paris) le lundi 17 Octobre à 20h20.

Imprimer


Laissez un commentaire


*