MCJP – Sorekara de Morita Yoshimitsu

Posté le 23 septembre 2023 par

La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective au réalisateur Morita Yoshimitsu. L’occasion de découvrir une œuvre riche, passionnante, subversive et encore injustement méconnue hors du Japon. On évoque Sorekara, une merveille de spleen et de mélancolie adaptant magnifiquement le roman Et puis de Soseki Natsume.

Daisuké, riche et indolent, fils de bonne famille, a déjà atteint la trentaine et persiste à demeurer célibataire, à n’exercer aucun métier ; son univers est intérieur, fait de rêve, d’esthétisme, de pensée pure. Jusqu’au jour où l’amour le frappe au coeur : il découvre qu’il aime Michiyo, l’épouse de son meilleur ami.

The Family Game (1983) avait révélé le talent du réalisateur Morita Yoshimitsu avec une brillante comédie noire fustigeant la cellule familiale japonaise moderne. Sorekara creuse le même sillon mais l’ironie de son prédécesseur laisse place à un drame feutré captivant. Dans The Family Game, le héros adolescent était bousculé dans son indolence à la fois par les exigences de sa famille et par un élément perturbateur extérieur qui lui faisait comprendre la nature vaine de cette course à la réussite dans la société japonaise matérialiste des années 80. L’intrigue de Sorekara se déplace au début du XIXe siècle mais également à une ère d’expansion politique et économique du Japon. Nous avons cette fois un protagoniste adulte, le trentenaire Daisuke (Matsuda Yusaku), fils de bonne famille qui lui aussi déçoit les attentes sociales de son entourage. Sans métier, célibataire repoussant tous les bons partis, il se laisse vivre et préfère se plonger dans les plaisirs culturels divers, en dehors du monde et de ses obligations. Les retrouvailles avec son ami Hiraoka (Kobayashi Kaoru) vont pourtant lui rappeler les raisons de ce détachement. Daisuke a toujours été amoureux de Michiyo (Fujitani Miwako), épouse de Hiraoka qui s’est déclaré avant lui et l’obligeant à se mettre en retrait.

Les retrouvailles des deux amis sont l’occasion de constater leurs natures opposées. L’indifférence de Daisuke l’amène à mener une vie monotone qui lui convient quand Hiraoka justement dans cette course à la réussite sociale a connu de nombreuses déconvenues qui le mettent en difficulté financière. L’absence d’ambition amène l’un à se perdre dans une existence sans but, les rêves de grandeur de l’autre le mène à l’impasse et menace son couple. Michiyo est en effet la grande perdante de la situation, malheureuse avec un Hiraoka complexé qui la délaisse, et partageant les sentiments de Daisuke qui n’a jamais osé franchir le pas. Les femmes sont ici les jouets des décisions des hommes, y compris devant le recul de Daisuke quand il s’écartera du mariage de convenance que sa famille le pousse à faire avec la fille d’un ami nanti. Morita Yoshimitsu adopte dans sa mise en scène le caractère rêveur de son héros, multipliant les longs plans fixes où l’on sent son esprit divaguer. La dimension abstraite et stylisée des décors laisse supposer sa présence physique mais son absence mentale, tandis que les scènes de dialogues instaurent de longs silences où un geste, un regard, laissent espérer une réaction, une affirmation de Daisuke qui n’arrivera jamais.

Le récit nous plonge ainsi dans une langueur aussi fascinante qu’agaçante et qui n’est pas sans rappeler les sentiments qui peuvent nous traverser à la lecture d’un roman de Henry James. Le film est d’ailleurs adapté du roman Et puis de Soseki Natsume (paru en 1909) et l’auteur, diplômé au département d’anglais de l’université de Tokyo était bilingue et spécialiste de la littérature anglaise sur laquelle il publia plusieurs articles notamment Laurence Sterne ou Tristram Shandy. Il enseigna la également la littérature anglaise et vécu à Londres de 1900 à 1903. Du coup on peut soupçonner l’influence d’un Henry James dans cette description d’un microcosme aux codes contraignants, à la façon dont ils brisent les personnalités ne s’y inscrivant pas et la manière de scruter un caractère introverti. Tout cela se ressent en tout cas dans le film à la fausse froideur dissimulant une profonde sensibilité. Les manifestations des sentiments n’en deviennent que plus fortes comme cette magnifique scène où les déclarations mutuelles de Daisuke et Michiyo se font tout en retenue, chacun se reprochant la punition de son triste sort par le manque de courage au moment où tout était encore possible.

Les personnages semblent ainsi tous des morts en sursis, poursuivant dans une rêverie récurrente (la scène de flashback sous la pluie et son entêtant leitmotiv musical de Umebayashi Shigeru est hypnotique dans ses redites) où une réalité vouée à l’échec, un espoir vain d’accomplissement matériel ou sentimental. La photo cotonneuse de Maeda Yonezo capture parfaitement cet entre-deux fataliste d’attente déçue et de futur résigné. Le trio d’acteur est excellent pour porter ces thèmes dans un registre de retenue complexe, notamment Matsuda Yusaku aux antipodes de son rôle de professeur manipulateur et exubérant de The Family Game. Une des réussites (passée par la Quinzaine des Réalisateurs cannoise en 1986) majeures du cinéaste, et une de ses plus somptueuse plastiquement.

Justin Kwedi

Sorekara de Morita Yoshimitsu. Japon. 1985. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris

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