VIDEO – Shall We Dance? de Suo Masayuki

Posté le 15 août 2023 par

Dans son très beau line-up japonais, l’éditeur Spectrum Films nous gratifie d’une merveille des années 1990 à redécouvrir de toute urgence : Shall We Dance?, une comédie romantique sur la danse de salon et la crise de la quarantaine signée Suo Masayuki, et interprétée par un Yakusho Koji plus gentleman que jamais. Hit au box-office japonais de 1996, le film connaîtra un remake américain en 2004 avec Richard Gere.

Un homme marié, papa d’une fille adolescente et avec une bonne situation professionnelle dans son entreprise, a tout pour être heureux. Pourtant, lorsqu’il attend son métro tous les soirs, il soupire en regardant en l’air : un cours de danse de salon a lieu dans un immeuble et la belle professeure semble connaître la même mélancolie que lui. Un jour, il saute le pas et décide de s’inscrire à ce sport auquel il ne connaît rien, sans rien dire à sa femme. De fil en aiguille, il fait la connaissance des enseignantes et des pratiquants, qui ont tous leur histoire…

Shall We Dance? est typique de ces films remplis de chaleur humaine, ces œuvres de fiction que l’on pourrait qualifier d’« iyashikei » lorsque l’on parle de mangas et d’anime ; un genre qui désigne plutôt des œuvres à la lisière de la fantasy et qui peignent des univers fantastiques calmes où il fait bon vivre. Shall We Dance? arbore une intrigue réaliste contemporaine, mais la bonté qui émane des personnages correspond aux éléments fondateurs d’un récit iyashikei. En France, on connaît pourtant le réalisateur Suo Masayuki pour un tout autre travail, celui de la parodie érotique d’OzuUne Famille dévoyée, édité en vidéo dans un coffret de films pinku, le cinéma érotique japonais. Comme souvent au Japon, le pinku est une rampe de lancement pour des cinéastes jeunes mais inspirés, qu’ils y restent ou qu’ils varient leur filmographie comme Morita Yoshimitsu. Certes, Shall We Dance? n’est pas un film qui échappe complètement à des impératifs commerciaux ; il s’agit d’une production d’un certain niveau en matière de comédie romantique. Malgré cela, la sensibilité de ces auteurs japonais de l’iyashikei se ressent ici, en même temps que le schéma narratif n’est pas réellement décalqué sur un modèle prédéfini.

L’intrigue comporte une flopée de protagonistes où chacun trouve sa place et son espace le long des 2h15 qui composent le film. La relation spéciale entre les deux personnages principaux, le salaryman en plein blues interprété par Yakusho Koji, et la professeure qui vit dans le regret amer d’une carrière manquée à cause d’un petit rien, jouée par Kusakari Tamiyo, n’arbore pas la forme d’une romance classique, puisqu’elle n’en est même pas une. Alors que Yakusho tombe sous le charme de Kusakari, et s’inscrit au cours sur un coup de tête, elle ne laissera jamais supposer un quelconque intérêt amoureux, même platonique. En revanche, leurs échanges traduisent la complexité des sentiments humains, au-delà de l’amour et de l’amitié, la simple empathie d’un être humain envers un autre – une émotion que les canons bien connus des films romantiques et mélodramatiques ont cherché à éviter constamment. D’ailleurs, l’intervention de l’épouse du personnage de Yakusho ajoute de l’épaisseur à cette relation et confirme la beauté des sentiments des personnages qui habitent le film de Suo. Cet élan de sympathie et d’émotion trouve son point culminant dans la scène finale, captée sur un rythme flottant parfait et qui achève d’offrir au spectateur une bonne humeur, du genre à rester en rémanence dans l’esprit.

Trois autres personnages masculins, des élèves, et deux autres féminins, des professeures, viennent agrémenter le scénario et ajouter de l’intensité émotionnelle, car même si les rôles sont plus petits, la mise en scène les met en valeur au bon moment, montre leur fragilité et les fait énoncer leurs maux pour mieux les exorciser. Shall We Dance? est un film de catharsis en quelque sorte, qui en 1996 a dû émerveiller le public japonais, qui vit ce quotidien de travail. Sans esbroufe, avec un souci de représentation de la réalité du quotidien des Japonais, le film retranscrit aussi bien les frustrations que l’abnégation des actes et des sentiments des uns envers les autres. De là à dire que le film fait prendre conscience que le bonheur est à portée de main et de parole, il n’y a qu’un pas.

Le cinéma japonais contemporain (faisons-le commencer dans les années 1990) est émaillé d’œuvres chaleureuses du genre de Shall We Dance?. Pour citer une nouvelle fois le nom de Morita Yoshimitsu, un réalisateur archi-célèbre au Japon, son film Haru, sorti également en 1996, est de ce type. Ces œuvres restent, pour beaucoup d’entre elles, disponibles de manière exclusive uniquement sur le territoire japonais.

Bonus de Spectrum Films

Rencontre avec Jesper Sharp (15 min). D’une voix posée, au rythme de la musique tranquille du film et des séquences qui en sont extraites, l’expert américain nous raconte les coulisses de Shall We Dance?, des origines de Suo Masayuki comme cinéaste à sa traversée du désert en passant par le succès américain du film sous la houlette de Miramax, la société des Weinstein. Il enrichit son commentaire d’informations intéressantes qui permettent de comprendre comment fonctionnent les achats de films étrangers aux Etats-Unis et comment s’établissent les rapports entre les producteurs américains et les réalisateurs japonais. Sharp évoque la sortie du film en Europe et son moindre succès, et il aurait été plaisant d’avoir un peu plus d’informations sur ce sujet.

Présentation d’époque de Shall We Dance? par le réalisateur Suo Masayuki (3 min). Le réalisateur présente le film à une audience non définie en insistant sur sa vision de la danse et ce qu’elle représente dans le portrait des personnages. Son discours est un peu trop bref et emmêlé pour se révéler vraiment pertinent.

Interview de Taguchi Hiromasa (13 min). Dans cet entretien des années 2000, l’acteur est invité à donner ses impressions sur le tournage du film et de sa relation avec le réalisateur Suo Masayuki. Enjoué et loquace, il se souvient des séances d’entraînement de danse et son étonnement quand il apprit que Suo et l’actrice Kusakari Tamiyo se sont mariés.

Interview de Takenaka Naoto (12 min). Sur le même modèle que l’entrevue avec Taguchi, Takenaka, autre rôle comique du film, fait part de ses souvenirs. Volontiers plus taquin, il se perd quelque peu dans ses blagues.

Maxime Bauer.

Shall We Dance? de Suo Masayuki. Japon. 1996. Disponible dans le coffret Suo Masayuki paru chez Spectrum Films en juillet 2023.

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