Choc cinématographique de l’année 2021 et également succès critique et public, La Loi de Téhéran est disponible depuis décembre en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Video. Une occasion parfaite pour (re)découvrir le polar de Saeed Roustayi.
Pour son exploitation à l’international, le film de Saeed Roustayi bénéficie d’une modification de son titre original pourtant plus évocateur et révélateur de la situation actuelle en Iran : 6,5. Ce chiffre correspond, en millions, au nombre de consommateurs de drogue dans le pays qui compte 83 millions d’habitants. Un fléau que les autorités ont de plus en plus de mal a endiguer, incapables de faire face au trafic d’héroïne et de méthamphétamine. La sanction pour possession de drogue a beau être très lourde, et ce quelle que soit la dose saisie, la demande ne fait que croître.
C’est dans ce contexte social que le réalisateur iranien va poser sa caméra, et plus précisément en la collant aux pieds d’une équipe de la brigade anti-drogue à Téhéran, menée par le commandant Samad. Policier aux méthodes plus que douteuses et toujours à deux doigts de verser dans l’illégalité et l’immoralité la plus abjecte, il ne vit que pour un seul objectif : mettre la main sur Nasser Khazkad, gros bonnet du réseau, individu que tout le monde connaît mais que personne n’a jamais vu. Et pour ça, il va remonter la filière, étape par étape, pour peut-être atteindre son but. Mais on ne franchit pas certaines lignes sans en payer le prix, quitte à se rapprocher moralement de ceux qui sont de l’autre coté de la loi.
Ce qui fait en partie la puissance du film de Saeed Roustayi, c’est cette vision très sombre et nihiliste du héros justicier qui se croit investi d’une mission sacrée (coincer le plus grand narcotrafiquant du pays), mais qui va perdre en cours de route tout sens moral et se révéler être une personne finalement peu fréquentable et détestable à force de foncer tête baissée sans se soucier des conséquences de ses actes. D’entrée de jeu, il est présenté comme un policier charismatique, ambitieux mais prêt à tout pour gravir les échelons, quitte à sacrifier sans remord son mariage. Cependant, son efficacité dans sa traque fait le de lui un agent redoutable qui, et ce n’est pas spoiler que de le préciser, au terme d’un jeu de pistes assez tordu, va coincer Nasser Khazkad. Et là, le film bascule progressivement de l’autre côté de la loi dans son point de vue, adoptant celui de Khazkad, faisant littéralement de Samad l’antagoniste du récit, mettant en exergue son mépris total de ses collègues, et ses manières expéditives qui vont lui causer d’ailleurs pas mal de problèmes, Samad ayant une tendance à traiter ses subordonnés avec autant de respect que des voyous.
La deuxième partie du film se révèle moins tendue que la première, qui adoptait le rythme effréné et hyperactif de son « héros » Samad, pour épouser le point de vue de Khazkad, qui au détour d’une scène d’identification sait que tout est fini et ce qui l’attend, à savoir la peine de mort. Plus posé que sa némésis en uniforme, mais pas moins combatif pour autant, le personnage de Khazkad se montre étrangement plus passionnant à suivre, puisqu’au fil de sa fin de parcours, on devine un homme issu de rien et de la misère la plus crasse, et qui s’était simplement fixé comme objectif de réussir sa vie mais surtout élever socialement ceux qui lui sont chers, et les sortir de la misère. L’erreur qu’il aura commise est d’avoir choisi la voie de l’illégalité pour y parvenir, quand bien même ses intentions sont louables. Tous les regrets et espoirs de Khazkad explosent lors d’une scène de danse exécutée maladroitement mais avec une infinie tendresse par un membre de la famille venu lui rendre une dernière visite avant son exécution, une scène filmée avec sobriété et pudeur par Roustayi.
Concernant la mise en scène de Saeed Roustayi, que dire à part qu’elle est d’une maîtrise folle et que sa première heure excelle à capter toute l’urgence et la pression de la traque de l’équipe de police. Arrivant à transformer une descente dans un bidonville rempli de toxicomanes en proto film d’horreur social avec ses habitants hurlant et fuyant la police, il ne verse pourtant jamais dans le voyeurisme et le racolage lorsqu’il s’agit de montrer la misère sociale où vivent les drogués. Roustayi maîtrise sa grammaire cinématographique et arrive à faire basculer l’intensité dramatique d’une scène en utilisant tout simplement un zoom, sur un personnage « secondaire », pour en amplifier l’impact (la descente chez la mule et la visite de la brigade cynophile). Même le champs/contre-champs est ici élevé au rang de ping-pong verbal, exercice dans lequel le comédien qui interprète le commissaire Samad excelle, le temps d’une scène d’interrogatoire dans lequel Roustayi resserre ses cadres à chaque bonne ou mauvaise réponse de l’accusé.
A la fois polar, film d’action et drame social, La Loi de Téhéran se révèle tout simplement être un très grand film qui dresse un portait terrifiant de la société iranienne dans son combat contre les narco trafiquants, un chef d’œuvre qui, de sa scène d’intro haletante jusqu’à son plan final sujet à de multiples interprétations, prouve également au passage la pleine vitalité et richesse du cinéma iranien.
Bonus :
On trouvera un making-of d’une petite vingtaine de minutes qui, à défaut de faire parler les différents intervenants, comédiens comme équipe technique, montre les répétitions et autres lectures de scénario du réalisateur avec ses acteurs, et revient sur quelques séquences clé du film, celles avec le plus de figurants notamment, et les difficultés de tourner parfois avec des non-professionnels. Un très agréable complément au film.
Romain Leclercq.
La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi. Iran. 2019. En DVD et Blu-Ray chez Wild Side Video le 01/12/2021