FFCP 2021 – Sélection Shortcuts 1 et 2

Posté le 16 novembre 2021 par

Cela fait quelques années que la sélection Shortcuts est un des temps forts du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Cette 16ème édition ne l’a pas démenti en proposant une excellente fournée de courts-métrages inventifs et réjouissants.

La production indépendante actuelle reflète les préoccupations sociales de la Corée du Sud contemporaine, tout en revenant à un naturalisme qui tranche avec la flamboyance assumée des Park Chan-wook, Bong Joon-ho et Kim Jee-woon de la génération précédente. Comme construit sur l’héritage de la crise du FMI de 1997, il se dégage du cinéma d’auteur de ces dernières années, une volonté de filmer les travers et dérives du pays d’une manière extrêmement frontale et sans fard. La tendance à aller vers un discours très sombre, voire fataliste, a pu donner des œuvres d’une grande beauté (comme La Frappe de Yoon Sung-hyun en 2011 ou  Microhabitat de Jeon Go-woon présenté au FFCP en 2018) comme des choses plus maladroites ou discutables. Plusieurs longs-métrages de la section Paysage de cette nouvelle édition ont creusé cette veine sociale, qui reste passionnante sur le fond mais se cherchant beaucoup sur la forme, provoquant ainsi une certaine lassitude qui empêche souvent de passer la barrière de l’émotion.

En insufflant des respirations bienvenues dans le traitement de sujets tout aussi difficiles, la section Shortcuts fut une vraie bouffée d’air frais et l’introduction à une multitudes de propositions enthousiasmantes dont la variété des genres (l’animation poétique, le documentaire, la comédie dramatique ou encore la pastille musicale) nourrit des propos omniprésents, essentiellement sur la famille et la solitude urbaine, traités avec une grande liberté de ton et une bonne dose d’ironie.

On découvre ainsi, fait inhabituel, un court-métrage documentaire interrogeant le stigmate du divorce en Corée du Sud et ses répercussions sur la femme dans la société, à travers les yeux de deux jeunes femmes et leur mère dans HappyHappy Divorce Party de Nam Soona, petite pépite incisive et émouvante. Kim Hyun, quant à elle, passe par le biais de la comédie en huis clos pour réfléchir à la famille avec son Family Portrait (qui inclut le Covid dans le récit afin de caractériser un de ses insupportables personnages) à la méchanceté attachante, tandis que Huh Gun décrit le pire cauchemar d’un papa macho revendiqué son A Man’s Man, assez irrésistible par sa drôlerie pleine de tendresse. Rares sont les courts-métrages de ces Shortcuts qui se laissent gagner par la sinistrose de leurs sujets. Si le Blue City Seoul de Jeong Seong-jun flirte un peu trop avec les clichés, il propose une esthétique pop lumineuse qui contraste avec le regard triste de son héros (l’excellent Kang Gil-woo, vu dans le magnifique A Distant Place), alors que Cho Changkeun choisit de traiter de l’anxiété sociale et de la pandémie par le bais d’une comédie romantique désarmante de charme, dans son Can’t Go Out Tonight, véritable « bonbon » de la sélection.

Sans jamais adoucir la violence sociale et les frustrations engendrées par un pays coincé entre tradition persistante et modernité imposée au pas de charge, les cinéastes de la sélection manient délicieusement le décalage, le grain de folie même, et font preuve d’un recul assez salvateur sur leurs sujets. Ceci est particulièrement marquant dans les deux films traitant du suicide en milieu scolaire, avec des procédés très différents mais également pertinents dans l’impact qu’ils suscitent. Giorgia de Pak Jayil, probablement le film le plus abouti de la sélection, choisit un sujet qui aurait pu virer au misérabiliste putassier mais l’évite miraculeusement en mêlant au tragique une intrigue qui se dévoile à petits pas, des poches de cocasserie étonnantes qui rendent le dénouement d’autant plus puissant. De son côté, Suicidal Student de Park Jun-hyeok est une satire mordante, très écrite, qui dénonce l’indifférence du corps enseignant face à la détresse évidente des adolescents dont il a la charge, en jouant malicieusement sur le décalage entre des séquences à la noirceur glaçante rehaussées de dialogues enlevés et son entêtante musique de jazz donnant une illusion de légèreté.

Comme souvent, les courts-métrages d’animation ont marqué la sélection par leurs idées visuelles très fortes. Pieces of Each Other de Hyun Yu-jeong se sert d’un dessin à la Picasso pour raconter une relation toxique et la perte d’identité de sa protagoniste qui se fait littéralement « manger » par son compagnon avant de prendre le dessus et se débarrasser des morceaux destructeurs. Le résultat frappe par sa maîtrise dans l’utilisation de l’image et du son pour cet animé conceptuel très réussi. Empruntant une technique différente, Anchor de Kim Chae-jung (récompensée par le jury étudiant de la section Shortcuts) parle du lien humain et des désillusions avec le concept poétique d’un ciel peuplé des marginaux de la société se délestant de leurs espoirs et leurs inquiétudes. Si le film est formellement magnifique, il pèche un peu par un récit trop balisé malgré sa très belle idée. Les expériences les plus mémorables étaient cependant à chercher du côté d’œuvres singulières complètement décalées : The Great Poop Girl de Jeong Da-hee, variation ludique sur l’origin story d’une super-héroïne… des urgences caca, ou encore le formidable Misery Loves Company de Lee Sasha (prix du meilleur court d’animation) qui laisse le spectateur amusé et médusé devant cette séquence musicale hyper rythmée sur la dépression et les envies suicidaires de son personnage (on défie quiconque de ne pas être emportée par la chanson entêtante du désespoir). Last but not least, l’exceptionnel Sweet Ass de Kwon Young-jae (prix Keystone du meilleur scénario amplement mérité). Comédie mordante sur des acteurs désespérés qui partent en roue libre lorsqu’ils apprennent qu’un producteur vient assister à la pièce pour enfants dans laquelle ils jouent, le film n’est pas en animation mais il s’approprie totalement le style du cartoon. La mise en scène blafarde instille un sentiment de malaise constant, sans cesse mis en parallèle avec la situation improbable en cours sur la scène du petit théâtre pour enfants. Le résultat, cruel et culotté, est absolument hilarant et donne franchement envie de voir ce que le cinéaste a encore dans sa manche.

Que de promesses donc dans cette section Shortcuts peuplée de jeunes cinéastes ne craignant pas de prendre le contre-pied de leurs thématiques avec des films audacieux et ludiques. Si ce sont eux, l’avenir du cinéma coréen, on ne peut que s’en réjouir !

Claire Lalaut

Section Shortcuts. 2021. Vingtaine de courts-métrages projetés au FFCP 2021. 

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