VIDEO – Spacked Out de Lawrence Ah Mon : Hong Kong délurée

Posté le 20 janvier 2021 par

Nouvelle sortie combo DVD/Blu-ray de Spectrum Films, Spacked Out de Lawrence Ah Mon est de ces films hongkongais néo-réalistes, souvent éclipsés face aux grosses productions et aux grands noms du cinéma de la cité au port parfumé. Sorti en 2000, il fait un état des lieux des comportements de la jeunesse féminine de l’époque.

À Hong Kong, des collégiennes issues du quartier défavorisé de Tuen Mun vivent leur jeunesse dans l’excès. Elles fréquentent les karaokés, s’adonnent à des vols et autres trafics, avec l’appui de certains adultes infréquentables et l’abandon le plus total du système éducatif. En rupture avec leur famille, elles entretiennent également beaucoup de relations amoureuses et sexuelles de manière très précoce, les menant à des grossesses et des avortements. Comment Cookie, 13 ans et la plus jeune du groupe, va-t-elle le vivre pour la première fois ?

Spacked Out est une bulle dans le cinéma hongkongais des années 2000. Le réalisme social est rarement l’apanage de l’ex-colonie britannique, qui a tendance à transcender ses sujets politiques par la graphie extrême du polar – on pense à l’œuvre de Ringo Lam. Tout du moins, c’est un pan de ce cinéma qui apparaît par touches et qui n’a pas autant eu les faveurs des distributeurs et du public que les polars ou les films d’arts martiaux. Malgré tout, ça et là, des cinéastes apportent leur pierre à l’édifice. Lawrence Ah Mon s’est fait connaître par son travail minutieux sur certaines mœurs de la jeunesse à Hong Kong dès son premier film, Gangs, en 1988, et est devenu dès lors un cinéaste incontournable du réalisme social. Dans les mêmes années que Spacked Out, Fruit Chan sort Little Cheung et Durian Durian, des œuvres sèches et naturalistes avec des acteurs non-professionnels, qui n’est pas sans rappeler la nouvelle vague taïwanaise. Il faut dire que Chan cherchait à cette époque à tirer son épingle du jeu, dans un contexte de rétrocession et d’insuccès du cinéma local, qui demande aux cinéastes de se renouveler. Spacked Out s’inscrit dans une démarche partiellement similaire, recherchant sans doute moins l’adhésion du public des festivals internationaux que de toucher du doigt un sujet sensible avec la fibre réaliste la plus sincère. De cette démarche néo-réaliste, Spacked Out se démarque du tout-venant et ne connaît que peu de précédents en matière de portrait des filles délinquantes. Il est vrai qu’en 1984, Lonely Fifteen explorait déjà les excès de la jeunesse féminine, mais l’intrigue comme la narration demeurait très écrite et s’inscrivait dans le registre du drame classique, un genre quelque peu éloigné de Spacked Out, dont l’objectif est le voile levé sur cette jeunesse, d’une façon quasi-documentaire.

De l’aveu de Lawrence Ah Mon (aussi connu sous le nom de Lawrence Lau), il n’était pas question de positionner des noms connus au casting de Spacked Out, dans le but express d’obtenir une sensation du réel que le star-system ne viendrait pas parasiter. Les jeunes actrices du film ont été repérées dans les rues-mêmes de Hong Kong, et cela se ressent dans leur manière de parler, familière au possible. Elles ont été dirigées de telle sorte que de leurs conversations ne se ressentent pas comme un phrasé typique à l’acting des acteurs, dans lequel chacun se répondrait l’un après l’autre ou réciterait son texte. La caméra qui les suit est d’abord à l’épaule, accentuant la démarche de documentariste de Lawrence Ah Mon. Puis la mise en scène entre à plusieurs reprises dans des phases de stylisation. L’exemple le plus frappant est la séquence de fête en appartement, dans laquelle les couleurs sont saturées ; ainsi que l’arrivée dans le cabinet d’avortement clandestin, scène difficile dans laquelle Cookie est en proie à des hallucinations qui révèlent ses états d’âme et sa crainte profonde.

Spacked Out dispose des attributs du réalisme social. Son intention est prégnante et la direction des acteurs offre au récit une tonalité vibrante, puisque le filtre atténuant de la fiction fonctionne moins. Cette volonté des conter la vie de ces jeunes adolescentes comme elle est, avec moins de moments écrits ou tout du moins perçus comme tels, peut sembler faire perdre par endroits de l’intensité à un récit pourtant proprement dramatique. En effet, nous regardons le film avec des yeux de sociologue, qui scrutent des sujets de société présentés de manière brut. Il s’agit aussi bien là de la principale carte de démarcation de l’œuvre, autant que de ce que l’on peut imaginer être sa limite. Malgré cela, Spacked Out reste un film peu commun dans le cinéma hongkongais et nous rappelle que derrière la première place financière d’Asie au niveau de vie élevé, demeure des poches de pauvreté et des laissés-pour-comptes. Là où le cinéma de la dramaturgie s’efface commence le cinéma comme objet d’observation des sociétés.

Bonus DVD/Blu-ray

Interview de Lawrence Ah Mon (25 minutes). Lawrance Ah Mon (ou Lawrence Lau) se livre sur ses intentions pour Spacked Out. Il révèle notamment sa fermeté quant aux choix d’acteurs non-professionnels. Il revient sur le contexte de l’époque et ce qu’il l’a mené à se pencher sur la jeunesse féminine, dont il estime que le cinéma hongkongais ne s’y est pas souvent intéressé. L’intervention de Lawrence Ah Mon reste somme toute assez générale pour un film dont les effusions sulfureuses auraient mérité quelque attardement.

Présentation du film par Arnaud Lanuque (8 minutes). Nous retrouvons Arnaud Lanuque en poste à Hong Kong. Il décrit avec minutie le contexte de sortie du film mais développe surtout le parcours et le profil de Lawrence Ah Mon, et celui du producteur, le célèbre Johnnie To, en profitant pour lui dresser un large portrait ainsi que sa société de production, la Milyway Image. Ses présentations sont toujours d’une grande clarté et riches en informations aussi bien techniques qu’artistiques.

Spacked Out par Frédéric Monvoisin (19 minutes). Frédéric Monvoisin offre un point de vue très précis et éclairant sur l’intention du film par sa mise en scène. Il observe que son début est filmé caméra à l’épaule façon amateur, puis se durcit avec des plans fixes et des éclairages professionnels. Il interprète cette stylisation comme le reflet d’une certaine mentalité à Hong Kong à cette époque de rétrocession et il explique que cette mise en scène biscornue n’a pas su attraper l’attention du public d’alors, qui a pu voir le film à plusieurs reprises de 2000 à 2012 de par le monde à travers l’achat en groupé des films de Milkyway Image.

Lawrence Ah Mon par Julien Sévéon (17 minutes). Avec son intitulé « plongée dans la vie hongkongaise », ce document présenté par Julien Sévéon revient sur l’intégralité de la carrière de Lawrence Ah Mon et souligne con côté atypique. Lawrence Ah Mon débute sa carrière dans les années 1980 avec Gangs et s’il enchaîne des films à connotation policière, ses travaux sont jusqu’à alors toujours marqués par un esprit de recherche sur ses sujets, afin d’offrir des portraits tout en subtilité de la vie hongkongaise. Julien Sévéon développe aussi son arrivée en Chine continentale, une migration inexorable pour beaucoup de cinéastes de Hong Kong, et en quoi son cinéma en est devenu plus commercial. Ce portrait sous forme de liste est clair et didactique.

Maxime Bauer.

Spacked Out de Lawrence Ah Mon. Hong Kong. 2000. Disponible en combo DVD/Blu-ray chez Spectrum Films en décembre 2020.

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