UN VENT D’ASIE – Une vie toute neuve d’Ounie Lecomte

Posté le 15 août 2020 par

Après Le Chien jaune de Mongolie de Byambasuren Davaa et La rivière Tumen de Zhang Lu, l’association Un vent d’Asie a clôturé son cycle sur l’enfance par le bouleversant Une vie toute neuve d’Ounie Lecomte.

Il s’agit du premier film de la réalisatrice, sorti en 2010 en France. Née en Corée, la cinéaste a été adoptée par un couple de Français et a quitté son pays natal en 1975. Elle raconte, à travers ce film quasi autobiographique, le bouleversement d’une vie.

Séoul, 1975. Jin-hee a 9 ans. Son père la place dans un orphelinat tenu par des Soeurs catholiques. Commence alors l’épreuve de la séparation et la longue attente d’une nouvelle famille. Au fil des saisons, les départs des enfants adoptées laissent entrevoir une part du rêve, mais brisent aussi les amitiés à peine nées. Jin-hee résiste, car elle sait que la promesse d’une vie toute neuve la séparera à jamais de ceux qu’elle aime.

Le titre coréen se traduirait littéralement par « voyageur » ou « voyageuse ». C’est d’ailleurs sur un voyage que le film s’ouvre. Jin-hee part en expédition avec son père, habillée de ses plus beaux vêtements, choisit avec soin un gâteau et prend le bus pour un long trajet qui l’amènera à l’orphelinat où son père l’abandonnera. Mais tout cela, Jin-hee ne le sait pas, et la réalité de ce qui est en train de se jouer lui échappe. Entre excitation et appréhension, la petite fille vit ses derniers instants avec son père.

Cette séquence est vécue à travers les yeux de l’enfant, et donc à sa hauteur, comme le sera tout le film. On distingue à peine les traits du visage de son père, on aperçoit ses mains, son dos, on entend sa voix. Comme un signe avant-coureur de l’abandon imminent, Ounie Lecomte en fait déjà un personnage fantôme dont le visage ne nous sera présenté qu’au moment du dernier regard avec sa fille.

On suit alors Jin-hee qui tente de s’acclimater à son nouvel environnement mais refuse obstinément sa nouvelle condition, avançant à qui veut l’entendre qu’elle n’est pas là pour rester, car son père reviendra la chercher. Le récit avance avec sa désillusion, et nous découvrons alors divers personnages : les autres fillettes abandonnées, le personnel de l’orphelinat, mais aussi les couples qui viennent rendre visite aux enfants en vue de les adopter.

Bien que la caméra reste centrée sur Jin-hee, ces personnages secondaires nous donnent une perspective plus large sur la Corée des années 70, où le divorce engendre stigmatisation, et souvent abandon des enfants d’un premier mariage. C’est le cas de Jin-hee, qui dans une scène formidable, explique entre deux sanglots qu’elle a été abandonnée à cause de la nouvelle famille de son père.

Cette toile de fond nous expose aussi une sorte d’industrie de l’adoption (encouragée par le gouvernement) assez dérangeante, où ces fillettes passent une batterie de tests (médicaux, d’aptitude) et de rendez-vous avec des couples étrangers dans l’optique d’une vie nouvelle. Plusieurs scènes frôlent l’absurde, notamment lorsque Sook-hee, autre jeune fille abandonnée, tente de se rendre désirable aux yeux de potentiels parents adoptifs en monologuant, grâce au peu d’anglais qu’elle connaît, dans une alternance de « Hello » et « Thank you ».

La communication est un thème phare dans ce long-métrage puisque que selon les propres mots de la cinéaste, il s’agissait pour elle de retranscrire un traumatisme indescriptible. Si les mots lui manquaient pour exprimer l’indicible, le ton délicat et sensible du film véhicule parfaitement les émotions de Jin-hee et donc, on l’imagine, celles de la réalisatrice. Il est intéressant de noter qu’Ounie Lecomte ne maîtrise plus le coréen, sa langue natale, mais a choisi de tourner le film dans cette langue, comme pour affronter de nouveau son passé. Ces conditions particulières de tournage renvoient également aux enfants qui ne parlent pas la langue des couples souhaitant les adopter, et finissent par perdre la leur, exposés à un déracinement total.

Le film parvient à traiter son sujet avec une sincérité et une justesse désarmantes. Le parti pris de conserver le point de vue de Jin-hee tout au long du récit permet d’aborder la gravité de la réalité avec une spontanéité propre à l’enfance, et cela jusque dans les scènes les plus dramatiques. On pense notamment à une tentative de suicide qui, au lieu d’invoquer une imagerie adulte, se transforme en un élan de désespoir enfantin.

Le scénario ne cesse de déjouer les écueils du pathos grâce à une délicatesse et une intelligence constantes. Lee Chang-dong, producteur du film, a participé au scénario, et on reconnaît aisément la patte du réalisateur dans l’écriture de celui-ci, tant dans la portée dramatique du récit que dans la subtilité de sa mise en images.

Au-delà de ces qualités formelles et scénaristiques, la plus grande réussite du film repose pourtant sur la découverte de son actrice principale Kim Sae-ron, époustouflante dans le rôle de Jin-hee. Du haut de ses neuf ans, la jeune actrice est tantôt à fleur de peau, tantôt pleine de rage ou au bord du désespoir. Sa performance incandescente nous place comme témoin de la naissance d’une grande actrice, moment émouvant s’il en est. Elle confirmera tout son talent dans des films comme The Man From Nowhere, ou le troublant A Girl At My Door (produit lui aussi par Lee Chang-dong).

Une vie toute neuve se place dans la lignée des plus belles œuvres sur l’enfance, entre douceur et chagrin, et nous laisse avec l’image de Jin-hee, appuyée contre le dos de son père, chantant une chanson d’amour, devenue le symbole d’un amour paternel arraché.

Marie Culadet

Une vie toute neuve d’Ounie Lecomte. Corée-France. 2010. Projeté par l’association Un Vent d’Asie.

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