NETFLIX – Japan Sinks 2020 de Yuasa Masaaki

Posté le 23 juillet 2020 par

Les amateurs de Yuasa Masaaki peuvent se réjouir. Après avoir eu l’occasion de (re)découvrir une partie non négligeable de son œuvre via Netflix qui propose entre autres Devilman CryBaby, The Tatami Galaxy ou bien encore The Night Is Short, Walk On Girl, il est désormais possible de regarder son dernier projet, Japan Sinks 2020, série ayant pour thème la destruction du Japon. Mais si la série est très loin d’être un échec, elle accumule quelques défauts qui l’empêchent d’accéder au statut d’œuvre majeure dans la filmographie de Yuasa Masaaki.

Avant toute chose, il est bon de rappeler que Japan Sinks 2020 est la quatrième adaptation du livre de science-fiction (oserait-on dire anticipation) de Komatsu Sakyo, La submersion du Japon, publié en 1973. Un récit catastrophe qui voit le Japon s’effondrer suite à une succession de tremblements de terre qui réduisent à néant Tokyo et Kyoto, de tsunamis destructeurs et en point d’orgue l’éruption du mont Fuji, symbole nippon par excellence. Ce roman a donc déjà eu droit à deux adaptations en long-métrage, en 1973 par Moritani Shiro, en 2006 par Higuchi Shinji, et une plus étendue, en format télévisuel en 1974.

L’histoire étant désormais connue, la mission de Yuasa Masaaki est de moderniser l’ensemble du récit, et pour ce faire, il se cale sur l’année 2020, année charnière pour le Japon qui aurait dû accueillir les Jeux Olympiques et rayonner à l’échelle internationale. C’est dans ce contexte fébrile et euphorique qu’un tremblement de terre extrêmement violent va secouer le Japon et détruire Tokyo. Parmi les victimes, une famille va tenter de trouver une solution pour survivre dans un pays au bord du chaos, alors que l’archipel est littéralement en train de couler dans l’océan Pacifique. Au delà de la série catastrophe, les dix épisodes vont dépeindre une société au bord de l’implosion, où les survivants vont devoir à la fois lutter contre la nature qui se réveille violemment, mais aussi contre des individus que l’approche de la fin des temps a rendu soit fous, soit contraint à se comporter comme de parfaites ordures prêtes à tout pour survivre.

Oublions donc totalement la douce folie, la tendresse et l’euphorie qui parsemaient la filmographie de Yuasa Masaaki, qui change ici radicalement de cap pour plonger tête la première dans la noirceur et le pessimisme le plus brut. Son récit n’épargnera personne, chaque personnage est susceptible de mourir d’un instant à l’autre (menace mise à exécution de manière radicale, d’ailleurs), et chaque nouvel épisode amènera son lot d’ennuis et de drame. On pourra d’ailleurs constater que notre famille de survivants semble subir une loi de Murphy de premier choix et sans pitié, aux limites du crédible parfois. Mais au gré de leur fuite, ils vont rencontrer des gens qui vont leur apporter de l’aide et qui sait, peut-être même trouver une solution pour sauver ce qui peut encore l’être avant que tout ne coule.

Si sur le fond, la série a un sujet en béton armé et la possibilité de raconter en dix épisodes une vraie histoire poignante, crue et sans effets, sur la forme, il n’en est malheureusement pas de même.

Pour commencer, la série a un gros problème de rythme, surtout dans sa première moitié. Obligé de faire tenir sa trame entière dans seulement dix épisodes, le script fait d’emblée appel à la suspension d’incrédulité du spectateur pour poser les bases de son récit et expédie la présentation de ses personnages et leur retrouvailles après le premier tremblement de terre, sans aucune logique temporelle et géographique. Trois des quatre membres de la famille se retrouvent trop facilement comme si de rien n’était malgré une ville réduite en cendres et impraticable, et le quatrième, débarqué d’un avion dont on de se demande comment il a pu atterrir, arrive comme une fleur et en pleine forme. C’est peut-être un détail, mais pour une série qui veut mettre en avant son côté réaliste, c’est gênant. Par la suite, on se rendra compte que chaque nouvelle étape, ou du moins chaque nouvelle rencontre ou séquence aurait mérité d’être un peu plus développée, avec par exemple la parenthèse mystique dans le camp de la secte Shan, trop bienveillante pour être honnête. Pire encore, le scénario use parfois de raccourcis tellement grossiers que ça en devient embarrassant, notamment lors des retrouvailles entre les enfants et leurs amis après un naufrage en mer, retrouvailles aux limites de la chance divine.

Autre point discutable, plus léger celui-là. Si certains personnages sont immédiatement attachants comme Kite le Youtuber estonien, la série arrive à rendre insupportable un des personnages principaux, en la personne de Go, le petit garçon de la famille. Enfant issu de la génération milléniale par excellence, il s’exprime les trois quarts du temps en anglais, sans aucune raison particulière, ce qui rend chacune de ses interventions particulièrement crispantes. Il faut attendre sept épisodes pour qu’un vieil homme japonais lui demande de se taire ou de parler en japonais.

Sur la forme, on constatera que Yuasa Masaaki a déjà fait beaucoup mieux. L’animation est ici parfois trop rigide, et des traits semblent bâclés. Soyons honnêtes, son style parfois excessif, qui le rapprocherait d’un Bill Plympton nippon, se prête difficilement au réalisme exigé par le sujet. Si sa tendance à distendre les corps à l’excès dans un style cartoon faisait merveille dans des productions comme Devilman avec ses humains possédés, ou The Night Is Short et ses envolées éthyliques, ici il n’en reste rien. Ou plutôt pas grand chose, si ce n’est une scène d’étirement mystique de la prêtresse Shan.

Mais pourtant, passés ces défauts, la série a quand même de très bonnes idées et qualités qu’il serait injuste de ne pas relever. Yuasa Masaaki l’a déjà montré avec son Devilman CryBaby, il est capable de filmer des scènes de fin de civilisation et d’humanité avec le plus grand soin et sans fard. Il en fait encore une brillante démonstration ici, et ose parfois des plans et des séquences d’une violence rare et crue. Face à la nature qui se réveille, personne n’est à l’abri et tout le monde est susceptible de mourir du jour au lendemain. Adolescentes écrasées sous un stade effondré, enfant tué par un rocher, Yuasa n’y va pas de main morte, et sacrifie son casting avec la régularité d’un métronome mortel (un épisode = un mort. Reste à savoir qui va y passer). Chaque nouvelle étape dans le parcours des survivants est une potentielle nouvelle menace qui risque de réduire encore un peu leurs chances de s’en sortir au complet. Yuasa Masaaki sait aussi que la symbolique de son récit est primordiale et dresse de terrifiants tableaux d’un Japon en pleine chute, avec un Tokyo au bord du chaos, avec sa Tour détruite et son Fuji-san qui menace de se réveiller à tout moment. Les clichés et lieux incontournables de l’archipel deviennent des sources de danger et de menace dont il faudra s’éloigner pour tenter de survivre.

Yuasa Masaaki n’oublie pas non plus de moderniser le récit initial en ancrant de manière crédible les mésaventures de ses héros dans une époque où l’on va chercher des infos sur les réseaux sociaux plutôt qu’à la radio ou la télévision. Avant, on cherchait un poste de radio ou de télévision, maintenant on tente le tout pour essayer de trouver un chargeur,  de la 4G et une vidéo décente sur Youtube.

Autre point positif, le réalisateur est à nouveau accompagné ici de la bande originale par Ushio Kensuke. Un compositeur que l’on ne connaît pas forcément, mais qui a composé le score aérien et mélancolique de A Silent Voice et qui a déjà travaillé avec Yuasa Masaaki sur Devilman CryBaby. Il livre ici un score au croisement de ces deux projets, justement, une partition où se réunissent morceaux tendres et lumineux et segments plus sombres et désenchantés. Pourquoi insister sur son score ? Parce Yuasa Masaaki arrive, le temps de quelques scènes, à délivrer de purs moments de grâce et de poésie, au contenu bouleversant. Des scènes où se mêlent joie indescriptible et tristesse infinie, et les morceaux qui les accompagnent sont pour beaucoup dans la puissance émotionnelle des scènes en question. On pensera notamment au sprint final d’un personnage, une course ultime contre les éléments dont il semble très bien connaître l’issue mais dans laquelle il se jette corps et âme.

On notera aussi que Yuasa Masaaki tire, mine de rien, à boulet rouge sur la bêtise de ses compatriotes en temps de crise et sur le nationalisme latent de son pays, dans une scène qui voit la petite famille avoir maille à partir avec un bateau de sauvetage refusant de laisser embarquer la mère et le fils, parce qu’ils ne sont pas des Japonais purs et durs. Le bateau de sauvetage coulera peu après. Libre au spectateur d’y voir ce qu’il veut….

En conclusion, on pourra toujours apprécier la série Japan Sinks 2020 pour ce qu’elle est et veut être, à savoir une série catastrophe et les mésaventures d’une famille unie face au drame. Par contre, replacée dans la filmographie de Yuasa Masaaki, ce n’est clairement pas son œuvre la plus aboutie, techniquement et narrativement parlant, mais il en ressort en filigrane une belle déclaration d’amour du réalisateur envers son pays, qui a fait du dicton « sept fois à terre, huit fois debout », un leitmotiv pour se relever après chaque drame.

Romain Leclercq.

Japan Sinks 2020 de Yuasa Masaaki. 2020. Japon. Disponible sur Netflix le 09/07/2020

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