NIFFF 2020 – Gundala de Joko Anwar : Anybody’s got the power

Posté le 4 juillet 2020 par

Le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) se déroulera en ligne cette année. Après le succès de son remake de Satan’s Slave, Joko Anwar tente d’offrir une alternative à l’hégémonie US avec sa vision du genre à travers Gundala.

Synopsis : Dans une Indonésie alternative où règnent la corruption et les inégalités, le jeune Sancaka voit son père mourir lors d’une manifestation d’ouvriers révoltés. Dans un accès de rage et de tristesse, Sancaka catalyse la foudre et tombe inconscient après avoir déclenché une explosion. Quelques années plus tard, il erre dans les rues de Jakarta et tente de faire profil bas. Mais lorsque le terrible patron de la pègre Pengkor prévoit d’empoisonner l’approvisionnement en riz de tout le pays à l’aide de son armée d’orphelins, Sancaka décide d’assumer son don et d’endosser le costume de Gundala.

Gundala est l’adaptation d’un personnage éponyme créé par Harya Suraminata à la fin des années 60. Dès les premières minutes, Joko Anwar inscrit son long-métrage dans cet héritage avec une sorte d’adaptation de l’intro Marvel où les super-héros américains sont remplacés par les figures locales. En retournant aux sources des super-héros indonésiens, le cinéaste retourne également aux sources des super-héros occidentaux. La première partie de l’œuvre est une longue exposition qui ancre Sacanka, le héros, dans la classe qui l’a façonné aussi bien dans la diégèse que dans le réel, le prolétariat. Le film débute littéralement durant une manifestation d’ouvriers face à la police, et surtout devant des images et des dialogues qui témoignent de la globalisation de l’injustice sociale comme de celle de la figure super-héroïque. Alors que Marvel glisse dans une sorte de dynastie ou d’aristocratie des super-héros et de la justice dans ses dernières productions, Gundala prend à revers cette évolution en assumant la violence sociale qui a accouché du genre et ce qu’elle implique. Ainsi pendant plus d’1h, on nous montre différentes facettes de la pauvreté à Jakarta et comment les strates de la société interagissent entre elles, dans la rue. La violence du héros n’est donc pas motivée dans un premier temps par un sens inné de la justice, mais par la survie. Et pour cela, le cinéaste Joko Anwar n’hésite pas à contraster sa vision réaliste de ces milieux avec un travail sur la lumière et les couleurs qui nous rappellent également l’exagération fantaisiste que nous donne le filtre des comics sur cette réalité. Il y a une dominance de l’orange ou des compositions de plan comme celle du train abandonné où le jeune Sacanka apprend les arts martiaux et qui invoque l’iconographie propre aux comics et à la construction de figures extraordinaires. Le cinéaste connaît ses gammes, et nous plonge dans ce monde d’injustice comme le faisait les images de comics avant leur industrialisation récente, à la lisière entre l’analyse sociale et les archétypes.

L’une des réussites de Gundala, c’est justement la manière dont le film est ancré à son contexte social. Là où Peter Parker et Clark Kent sont des reporters dans le journal le plus influent de leur ville, Sacanka est agent de sécurité dans l’usine de journaux du Djarkata Times. Cette différence de degré de précarité dans la situation du héros indonésien provoque justement un niveau beaucoup plus grand de violence ; il est confronté à toutes les strates de réactions face à l’injustice, des petites frappes aux gangs jusqu’au grand vilain qui représente une organisation plus complexe entre corruption et pouvoir politique. Et c’est surtout dans la mise en scène de cette violence, des affrontements, que Joko Anwar mais également le savoir de l’industrie cinématographique indonésienne brille dans le long-métrage. Par leur matérialité, leur chorégraphie et leur maîtrise, les combats de Gundala s’opposent clairement à ceux des grandes productions occidentales. C’est là où réside le symbole du héros, qui à travers son corps, personnifie le pouvoir du peuple. Il est donc pertinent que son corps physique, dans ce qu’il y a de plus viscéral et dans toute sa gravité, soit au cœur des affrontements. Alors que les CGI rendent un fantasme de la violence totalement inefficace, la plasticité des combats de Gundala dynamisent les passages obligés du genre. On peut notamment penser à un combat filmé depuis le siège arrière d’une voiture (qui rappelle un grand moment de The Raid 2) lorsque l’un des politiciens se fait attaquer, dont le simple dispositif nous permet de sentir la tension et les émotions qui habitent les personnages à ce moment.

Mais Gundala se perd parfois dans son ambition. Le long-métrage souffre, à certaines occasions, de son rythme, notamment dans sa deuxième partie. Alors que le cinéaste pourrait prendre son temps pour nous offrir une origin story mémorable, il choisit d’introduire en même temps toute une mythologie des super-héros indonésiens et de questionner l’existence politique d’un tel pouvoir. Ce que propose par exemple, Man of Steel et Batman V. Superman de Zack Snyder en deux long-métrages, est condensé dans Gundala en une œuvre qui passe 1h à nous décrire le contexte. Le climax attendu du film est donc précipité et n’est pas la hauteur de tout ce que l’on a vu avant. Certes, on nous promet une suite qui à l’aune de ce premier opus semble prometteuse mais c’est dans cette démarche épisodique que les adaptations de super-héros se sont étiolés en Occident. Il est un peu regrettable de voir le cinéaste choisir cette voie dans le dernier quart d’heure de l’œuvre, ce qui laisse un goût assez amer. Néanmoins, l’esquisse d’une exploration des mythes javanais à travers le prisme des super-héros peut susciter l’intérêt. Et puis, le questionnement sur la morale à travers les injections faites à des bébés, témoigne également d’une vision très indonésienne où existe une tension constante entre morale, justice et politique, montrées par les manifestations étudiantes qui ont secoué l’archipel et destinées à lutter contre les mesures anti-blasphèmes, entre autres. Joko Anwar nous offre donc une œuvre pertinente à tous les niveaux, même si son respect des adaptations du genre est son principal défaut, et symbolise de manière assez juste le problème de la figure super-héroïque à notre époque au cinéma, piégée entre des histoires émancipatrices et des impératifs économiques réducteurs.

Kephren Montoute

Gundala de Joko Anwar. Indonésie. 2019. Projeté lors de l’édition 2020 du Neuchâtel International Fantastic Film Festival.