VIDEO – L’Aube des félines de Shiraishi Kazuya

Posté le 28 décembre 2019 par

Le 17 décembre est sorti chez Elephant Films le magnifique coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon. Tous les films sont passés à la loupe eastasienne. C’est au tour de L’Aube des félines (Dawn of the Felines) de Shiraishi Kazuya !

L’Aube des félines est une production qui s’inscrit dans la récente résurrection des Roman Porno de la Nikkatsu voyant la firme relancer le sulfureux genre qui fit son succès. De cette production initiale, il ne reste dans les nouveaux films produits que la contrainte d’alterner à un rythme métronomique les séquences érotiques. Sorti de cela, les films font montre d’une singularité formelle et/ou thématique qui n’étaient l’apanage que des plus doués et audacieux réalisateurs des 70’s comme Konuma Masaru, Kumashiro Tatsumi ou encore Tanaka Noboru. Sono Sion a ainsi pu détourner la commande grâce à la folie qui le caractérise dans Antiporno, Nakata Hideo se rappelle à ses débuts d’assistant de Konuma Masaru dans White Lily tandis que féminisme, érotisme et théâtralité se conjuguent dans le déroutant Wet Woman in the Wind de Shiota Akihiro.

L’Aube des félines se situe dans une veine à fois intime et sociale poignante. C’est un portrait de femme contrasté à travers le destin des trois escort Rie (Michié), Masako (Ihata Juri) et Yui (Maue Satsuki). L’érotisme attendu est bien présent en les montrant en situation tout en distillant pour chacune les motifs troubles de cette vie, notamment dans leurs rapports avec les clients. La plus mûre Masako est la compagne chaste d’un vieillard en deuil cherchant simplement une compagnie, et c’est pour elle un moyen de soigner son propre traumatisme familial. Toutes les séquences charnelles s’avèrent ainsi particulièrement maternelles, le vieil homme revenant presque à l’état de nourrisson lorsqu’il s’agrippe à ses formes voluptueuses. La jeune Rie comble le vide d’un nerd distant dont la sollicitude révèle son besoin d’affection, les scènes de sexe montrant un rapprochement absent dans leurs moments communs plus anodins. La caméra accompagne leur étreinte pour s’en éloigner et s’attarder sur les billets de la transaction, la pudeur et leur rapport d’offre et de la demande s’exprimant dans une même scène. Enfin la mère de famille précoce et indigne Yui apparaît comme la seule qui ne va pas jusqu’au bout dans son métier, mais la voir céder avec passion à client séduisant et prévenant s’avère révélateur de la quête d’un mâle protecteur reconstituant le schéma familial.

Le montage flottant offre un enchevêtrement de ces moments érotiques pour associer ces trois quêtes (entrecoupé de scènes plus triviales dans l’agence) et une même alternance quand leurs attentes se retourneront contre nos héroïnes. Un rapprochement non tarifé s’avère un blocage pour le client de Rie, libère brutalement les démons de Masako et Yui ouvrira peut-être trop facilement son cœur à son séduisant amant. L’image de l’escort qu’elles sont contraintes d’incarner est un obstacle pour les amoureuses qu’elles aspirent être aux yeux des hommes qu’elles aiment. Par l’ellipse, le lent déploiement sensuel enfin sincère ou l’explosion de violence, la narration exprime comment chacune de ces femmes devra surmonter sa condition pour devenir autre chose. Les trois actrices sont formidables de candeur, douleur contenue et abandon érotique et portent magnifiquement le film. La dimension sociale empêche peut-être le grain de folie visuel attendu (et présent dans d’autres opus de cette nouvelle collection Roman Porno) mais l’émotion palpable emporte indéniablement l’adhésion.

Justin Kwedi.

L’Aube des félines de Shiraishi Kazuya. Japon. 2017. Inclus dans le coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon chez Elephant Films le 17/12/2019.

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