FFCP 2019 – ENTRETIEN AVEC KIM BORA POUR HOUSE OF HUMMINGBIRD

Posté le 2 décembre 2019 par

Pas moins de sept films réalisés par des femmes furent projetés au Festival du Film Coréen de Paris (FFCP) cette année, ce qui prouve encore une fois la vivacité et l’incroyable sensibilité de ces femmes cinéastes. Parmi ces réalisatrices, nous avons eu le plaisir et l’honneur de nous entretenir avec cette jeune et talentueuse autrice, Kim Bora, qui vient de récolter une moisson de prix et de récompenses pour sa première réalisation House of Hummingbird.

House of Hummingbird est votre premier long métrage. Comment est né ce projet ?

J’ai écrit ce traitement en 2011 et la première version du scénario en 2013. On peut dire que le projet a pris presque 6 ans pour sortir au cinéma. Le projet remonte à un court métrage que j’ai réalisé qui s’appelle The Recorder Exam qui date de 2011 dans lequel il y a une petite fille qui s’appelle Eun-hee. Il s’agit presque d’un préquel. On retrouve donc cette jeune fille et sa famille qui tient une pâtisserie. Et j’ai eu des entretiens avec des spectateurs qui avaient vu ce film, ils me demandaient ce que devenait Eun-Hee, comment elle grandissait comme si ce personnage était une personne réelle. J’ai tellement été touchée par ces réactions que je me suis posé la question de faire grandir cette petite fille, comment elle va au collège et c’est ainsi qu’a germé l’idée de ce film.

Quelle est la part personnelle dans cette histoire et dans ce personnage d’Eun-hee ?

Le quartier dans lequel vit le personnage d’Eun-Hee est celui de Gangnam, c’est celui dans lequel j’ai grandi quand j’étais plus jeune. Mes parents, comme ceux de la petite fille, tenaient une pâtisserie traditionnelle coréenne et nous avons la même composition familiale, nous avons toutes les deux un grand frère et une grande sœur. Il y a certes quelques éléments auto biographiques. Il y avait cette tendance dans l’éducation des collégiens à l’époque à aller vers la réussite, rentrer à l’université nationale de Séoul et ce partage de classe en deux parties : les bons élèves et les moins bons, c’est la réalité. C’est ce que j’ai vu et vécu au collège. Ainsi que toute cette pression maladive que l’on met sur les épaules de ces jeunes, qui existait vraiment. Tous les autres personnages sont nés d’un processus créatif. Si vous vous demandez si cette quête du vrai sens de la vie et la vérité sur les questions humaines font parties de mon expérience personnelle, elle le sont en effet. Ce sont des questions qui m’ont préoccupées durant mon adolescence. En revanche, le film n’est pas autobiographique.

Le film raconte le quotidien de la jeune Eun-hee. Pourquoi avoir choisi la forme d’une chronique adolescente ?

En Corée, il y a un terme qui dit « la maladie des élèves de quatrième ». Je trouve que cela est très mal vu, parce que cela sous-entend que cette période de l’adolescence est une période où le jeune est dans la peine et la souffrance. Déjà, nous sommes encore entretenus par nos parents, on n’a pas de réelle liberté, on est dépendant financièrement. Il est possible aussi que durant une courte période de vacances scolaire on prenne d’un coup dix centimètres. Imaginez cela dans la vie d’un individu, c’est choquant. On mue, on change physiquement, on se pose des tas de questions. C’est la période on l’on apprend les vraies règles de la vie et de la société. C’est la période ou l’on se retrouve face aux éventuels dangers de la sexualité. On ne maîtrise absolument rien. Je trouvais cette formule déplacée pour cataloguer les jeunes de cet âge, d’enfants qui font des caprices, etc.

Quand on m’a proposé d’adapter mon scénario de House of Hummingbird, et d’en faire un film commercial financé par une grosse entreprise en Corée, on m’a demandé de remplacer le personnage d’Eun-hee par une lycéenne proche de la majorité. Cela permettait d’engager une actrice connue. J’ai refusé, il était impératif que mon personnage soit une collégienne. Je tenais à montrer cette période de la jeune adolescence, c’est à travers ce personnage que l’on peut dénoncer les problèmes de la société coréenne. Tout cela nous arrive en pleine face à la période où l’on rentre au collège. Quand on est au primaire, les adultes ne nous exposent pas à ce genre de problèmes. Dès lors que l’on intègre le collège en Corée on nous assène qu’il faut intégrer la meilleure université, il faut réussir dans la vie, c’est une compétition ou seuls les plus forts sortent vainqueurs. Je voulais montrer dans ce film les affaires non terminées que l’on traîne depuis notre tendre enfance et même durant l’adolescence, et je souhaitais que les spectateurs puissent voir à travers Eun-hee ce côté de notre jeunesse que l’on n’a pas résolu.

De quelle manière, à l’écriture puis au montage, avez-vous conçu le rythme de votre métrage ?

Dans mon film, dans les deux premières parties, le rythme est assez lent, j’adopte un point de vue assez observateur, je prends une certaine distance. C’est ce type de rythme que je souhaitais prendre dès le départ. Je me sens assez influencée par le cinéma de Taïwan et notamment de cinéastes tels que Edward Yang et Hou Hsiao-hsien ou même un cinéaste tel que Apichatpong Weerasethakul. On trouve dans leur cinéma des prises très longues, des respirations très lentes. On prend le temps de regarder chaque détail, chaque élément et chaque personnage. C’est quelque chose qui m’a attirée chez eux et qui sont assez inhabituelles dans des films commerciaux. Le rythme de mon film se met à changer dans la dernière partie. C’est un peu un tourbillon, tout va être chamboulé et s’emballer crescendo. Et je pense que si l’on n’avait pas pris ce temps dans les deux premiers tiers, on n’aurait pas compris les bouleversements de la dernière partie.

Dans votre film, vous évoquez les pressions sociales et familiales dans la Corée des années 90 et de la violence qu’elle engendre sur les femmes. De quelle façon selon vous la société a-t-elle évolué aujourd’hui ?

Effectivement, je pense qu’il y a eu beaucoup d’évolutions depuis les années 90, mais je pense que cette violence envers les femmes existe encore. C’est pour cela, il me semble, que lorsque nous avons présenté ce film au public, il a eu beaucoup de succès auprès de jeunes spectatrices, des adolescentes et mêmes de jeunes adultes qui n’ont pas vécu la période décrite dans le film. Elles m’ont confiées lors de ces rencontres que ces violences étaient toujours d’actualité. C’est un problème qui perdure et qui n’est pas limité à la Corée. Je pense que cette violence envers les femmes est malheureusement universelle. C’est ce qui explique le retentissement d’un mouvement comme Meetoo qui ne touche pas un seul pays ou un seul peuple. C’est toujours d’actualité. Cela décrit un moment où les femmes dans leurs ambitions et leurs carrières professionnelles se heurtent à un plafond de verre et ne parviennent pas à aller au-delà. Ce qui est positif pour nous aujourd’hui est que le féminisme commence à sortir et à se faire entendre et notamment en Corée du Sud. Cela apporte une nouvelle dynamique aussi bien dans le cinéma que dans la société. A présent on voit de plus en plus de films réalisés par des femmes en Corée et c’est à mon avis quelque chose de très optimiste pour le futur.

J’aime beaucoup le personnage de la professeur de chinois, Kim Young-ji. Y a-t-il, au travers de ce personnage, une idée de transmission au personnage d’Eun-hee ?

Oui, en Corée, on m’a beaucoup posé ce genre de question, mais comme tout artiste, on essaie de transmettre sa voix aux travers de ses personnages, et surtout s’il s’agit d’un film. Je pense qu’il y a un peu de moi-même dans chaque personnage. J’ai peut-être au fond de moi un côté un peu macho que l’on peut observer sur les personnages du grand-frère et du père. Et il m’est arrivé de changer d’avis très rapidement comme la petite Yuri. J’ai même eu une période comme Eun-hee, tellement centrée sur moi-même que je ne voyais pas ce qui se passait autours de moi, un peu égocentrique et égoïste. Mais le personnage qui représente le plus fidèlement mes propres pensées est bien le personnage de Young-ji. Le personnage retentit dans la lecture de sa lettre posthume quand elle dit que la vie est à la fois quelque chose de très étrange et de très beau. Ce sont mes propres pensées, ma philosophie. C’était le message que je souhaitais véhiculer au travers de mon film.

Le FFCP a mis un point d’honneur depuis des années de programmation à mettre en avant les femmes cinéastes en Corée du Sud. Comment voyez-vous cette évolution ?

D’un côté je suis contente qu’il y ait de plus en plus de films de réalisatrices en Corée qui soient présentés au public et en festival, et de l’autre, pas forcément parce qu’ils été réalisés par des femmes mais par des individus et que c’est la qualité du film en premier lieu qui est mis à l’honneur. Je pense que c’est ce qui est le plus important, pas d’amalgame. Personnellement, en Corée, il est très rare pour moi que j’aille voir un film commercial réalisé par un homme, parce que je ne les trouve pas intéressants. En revanche quand je voix des films réalisés par des femmes qui sortent en salle, j’y vais et je paie mon billet d’entrée. Je les trouve bons. Je sais que cette année au FFCP sont projetés les films House of Us de Yoon Ga-eun et Our Body de Han Ka-ram et je me réjouis de savoir que ces films sont sélectionnés et j’espère que dans le futur, nous les femmes, nous aurons plus de place dans le cinéma commercial de sorte que l’on ne dise plus que c’est une spécificité qu’un film soit réalisé par une femme, que cela devienne une banalité.

Quel est votre moment de cinéma ?

C’est la scène d’ouverture du film Rosetta des frères Dardenne, qui décrit le personnage titre faire un scandale parce qu’elle vient de perdre son travail. Cette scène où l’on montre ce personnage à vif avec ses émotions si réelles… On est conquis d’entrée de jeu et on s’attache tout de suite à elle. C’est le dynamique de cette scène qui m’a marquée.

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 02/11/2019.

Traduction : Kim Ah-ram

Remerciements : Marion Delmas ainsi que toute l’équipe du FFCP.

House of Hummingbird de Kim Bora. Corée. 2019. Projeté lors de la 14e édition du Festival du Film Coréen à Paris.

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