100 ans de cinéma japonais – Entretien avec Yakusho Kōji

Posté le 2 mars 2019 par

A l’occasion de la rétrospective 100 ans de cinéma japonais qui se tient à La Cinémathèque française et à la MCJP, nous avons pu rencontrer l’acteur Yakusho Kōji (The Third Murder), qui nous a parlé de sa carrière et de l’état du cinéma japonais d’aujourd’hui.

Avec plus de 70 films à son actif, dont de nombreux premiers rôles, Yakusho Kōji est aujourd’hui l’un des acteurs incontournables du cinéma japonais contemporain. En quarante ans de carrière, il a travaillé avec quelques-uns des réalisateurs les plus réputés, d’Imamura Shōhei à Miike Takashi en passant par Ichikawa Kon, Nakashima Tetsuya ou Aoyama Shinji… jusqu’à sa récente apparition chez Kore-eda Hirokazu dans The Third Murder. Cependant, ce sont avant tout pour ses régulières collaborations avec Kurosawa Kiyoshi, dont il a plusieurs fois incarné les héros comme dans Cure ou Sakebi, qu’on se souvient de lui en France.

Avec un tel parcours, il était inévitable qu’il soit représenté dans cette rétrospective. Il a ainsi fait le déplacement en France pour présenter plusieurs de ses films, et c’est dans ce cadre que nous avons pu nous entretenir avec lui.

Vous êtes là à l’occasion de la rétrospective 100 ans de cinéma japonais, qui diffuse huit films dans lesquels vous avez joué. Vous présentez les séances de trois des plus récents : The Blood of Wolves, The Third Murder et The Woodsman and the Rain, dans lesquels vous incarnez des rôles très différents. Justement, comment choisissez-vous vos rôles ?

Quand j’ai la possibilité de lire le scénario, je le fais, et si j’ai envie de voir le film, si je me dis « Ah, j’aimerais beaucoup voir le film qui découlera de ce scénario », j’accepte le rôle. S’il n’y a pas de scénario mais qu’il y a un roman original, je me fie au roman. S’il n’y a rien de tout cela, c’est aussi le réalisateur, ce qu’il a fait jusque-là, c’est-à-dire la carrière du metteur en scène qui me fait choisir, puisque parfois je dois me décider sans scénario.

Cette année, vous avez été récompensé à plusieurs reprises pour votre performance dans The Blood of Wolves, qui semble en effet avoir demandé beaucoup d’énergie. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ?

Le plus important pour me préparer à ce rôle a été d’apprendre l’accent et le dialecte de la région dans laquelle le film a été tourné (ndlr : le film se passe à Kure, dans la préfecture d’Hiroshima). J’avais le sentiment que m’imprégner de ces expressions, de l’accent et des tonalités, et m’emparer de tout ça était un élément vraiment important pour pouvoir me mettre dans la peau d’un personnage qui aurait grandi et vécu là toute sa vie. C’est une langue et un dialecte qui correspondent très bien au milieu, et donc il me semblait primordial de pouvoir me l’approprier, suffisamment bien en tout cas pour que même les locaux ne se rendent pas forcément compte que je ne suis pas originaire de la région.

Quels rôles ou types de rôles ont été les plus difficiles pour vous ?

A vrai dire j’ai joué un certain nombre de personnages, tous très différents les uns des autres. Il n’y en a aucun pour lequel je me sois dit « Ah, ça c’est assez facile ». Je trouve que c’est toujours difficile d’incarner un personnage, de le restituer dans sa totalité. Après, si je devais en choisir quelques-uns, c’est peut-être ceux qui en surface ne laissent pas paraître grand-chose, et dont les mouvements de l’âme et du cœur sont difficiles à percevoir. Ce sont des personnages qui n’ont pas une dimension dramatique très importante, mais qu’il faut malgré tout incarner en subtilité.

A l’origine, qu’est-ce qui a suscité chez vous la vocation d’acteur, et surtout qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer toutes ces années ?

A l’origine, c’est tout à fait par hasard que je suis allé voir un spectacle au théâtre. On m’avait offert un billet pour aller voir une pièce et j’ai été très impressionné. Je n’imaginais pas qu’il y avait un métier comme celui-là et ça m’a donné envie de le faire. C’est comme ça que j’ai mis le pied à l’étrier. Après, ce qui m’a permis d’avoir l’envie de continuer toutes ces années c’est probablement que, quand j’ai reçu le prix du meilleur espoir masculin par exemple, j’ai toujours eu l’impression que je ne le méritais pas, que quelque part je n’étais pas à la hauteur du prix ou de la reconnaissance qu’on me donnait. J’ai donc eu envie d’atteindre le niveau qu’on me prêtait, et je crois que c’est ce qui dure depuis toutes ces années. Là, j’ai effectivement été récompensé pour mon rôle dans The Blood of Wolves, et à chaque fois je me dis « Mais est-ce que vraiment je mérite ce prix ? » et je me dis qu’il faut que, maintenant, j’arrive à atteindre ce niveau supposé. C’est ce qui m’a permis de continuer pendant toutes ces années. C’est pareil pour l’invitation que j’ai reçue dans le cadre de cet événement, puisqu’il y a un certain nombre des films dans lesquels j’ai joué qui sont présentés et projetés ici à Paris, en France. Je me dis qu’il faut que je devienne un acteur qui mérite, justement, d’être présenté comme c’est le cas aujourd’hui.

Vous avez travaillé avec quelques-uns des réalisateurs japonais les plus réputés. Quelle collaboration vous a le plus marqué ?

J’ai eu la chance en effet de travailler avec beaucoup de grands réalisateurs japonais, à commencer évidemment par Kurosawa Kiyoshi, mais aussi Aoyama Shinji, et puis, récemment, Kore-eda Hirokazu. Après, c’est toujours avec Kurosawa que j’ai le plus collaboré, puisqu’on a fait huit films ensemble. Ces dernières années on n’a pas eu la chance de travailler ensemble, mais c’est évidemment celui avec lequel j’ai le plus de souvenirs.

Vous avez aussi travaillé avec des réalisateurs étrangers : Alejandro Iñárritu pour Babel, Rob Marshall pour Les Mémoires d’une geisha, François Girard pour Soie… Quel souvenir gardez-vous de ces expériences ?

J’ai toujours été curieux de savoir comment les films se faisaient et se tournaient à l’étranger, donc c’est pour ça que j’ai eu envie de jouer aussi dans des films étrangers. Pour le film de Rob Marshall, c’était quand même un film hollywoodien, avec bien sûr plus de moyens que les films dans lesquels je jouais habituellement. Néanmoins, quelque part je me suis rendu compte que mon travail à moi ne changeait pas, je suis devant une caméra et je dois jouer mon rôle. J’ai eu le sentiment qu’il y avait quelque chose d’assez universel dans les films qui se font. Pour Iñárritu c’était différent, c’est un réalisateur mexicain mais j’ai senti plus de proximité entre son cinéma et le cinéma japonais. Après, pour le film de François Girard, c’était vraiment un très, très gros budget. Juste à propos de la table régie, où il y a la restauration et les gâteaux tous les jours, je me disais que vu comme c’était luxueux on pourrait presque faire un film japonais avec le simple budget régie. Il y avait aussi énormément de monde, au point où je me demandais si on avait vraiment besoin de toute cette équipe. Cependant ça a toujours été des expériences vraiment enrichissantes que de me confronter à d’autres façons de travailler.

Y a-t-il un réalisateur, japonais ou autre, avec qui vous n’avez pas encore travaillé avec qui vous aimeriez faire un film ?

A l’étranger il y a Clint Eastwood. Bien qu’il soit déjà assez âgé, j’aimerais beaucoup le voir travailler de près, pouvoir l’approcher. Au Japon, il y a beaucoup de réalisateurs, mais pour l’instant j’aimerais déjà pouvoir refaire un film avec Kore-eda. J’ai peur qu’il ne rentre plus au Japon, qu’il parte en France ou aux Etats-Unis et qu’on n’ait plus la possibilité de travailler ensemble, donc dans l’immédiat j’aimerais bien qu’il me re-propose quelque chose.

On vous retrouvera bientôt dans Wings Over Everest, un film chinois cette fois. Qu’est-ce qui était différent avec une production chinoise ?

Effectivement, j’ai eu un rôle dans ce film : je joue le chef d’un groupe de secouristes qui gravit le mont Everest. Je me suis même blessé pendant le tournage. Je crois que le film est actuellement en post-production. C’était une expérience étonnante, c’est vrai que c’est assez différent puisque la Chine est en train d’atteindre le niveau des Etats-Unis en termes d’industrie du cinéma. Il y a de très gros budgets, et je pense qu’il y a quasiment autant d’écrans en Chine qu’aux Etats-Unis, si ce n’est plus, donc c’est vraiment une très grosse industrie. Là, quand j’ai lu le scénario je me suis dit « Wouah, si on arrive à faire un film à partir de ce scénario, ça va vraiment être quelque chose d’impressionnant ». Il y a beaucoup d’effets spéciaux donc j’ai beaucoup travaillé devant un fond vert, mais c’était une expérience nouvelle donc j’ai eu envie d’y participer, et je suis curieux de voir ce que ça va donner. Il y a des façons de travailler qui sont assez différentes en fonction des pays, et en même temps un film c’est toujours des passionnés de cinéma qui se réunissent. La question c’est donc comment l’Asie va pouvoir s’unir grâce au cinéma, ou à travers le cinéma ; quel lien on peut créer entre les différents pays d’Asie ? Je pense que c’est un défi à creuser dans les années à venir. Sinon, c’est le premier film du réalisateur, qui était le patron de l’antenne chinoise de l’entreprise française Gameloft.

En France on vous connaît surtout dans des films de cinéma, mais au Japon vous travaillez aussi pour la télévision. En tant qu’acteur, qu’est-ce qui change entre les deux ?

Depuis l’année dernière, je joue dans une série télévisée, mais ça n’était pas arrivé depuis une vingtaine d’années. Ça faisait longtemps que je ne me consacrais qu’au cinéma, donc ce sont un peu des retrouvailles. Je pense que la différence fondamentale entre les deux c’est le temps que l’on peut consacrer à faire un programme d’une heure. A la télévision on doit diffuser un épisode chaque semaine donc on est très contraint de travailler rapidement. On ne peut pas, comme au cinéma, se permettre d’attendre, d’apporter du soin à des détails, d’attendre un rayon de soleil… Ça, ça n’est pas possible à la télévision, et en même temps il y a une instantanéité et une énergie qui naissent de ce besoin de rapidité, et c’est je pense la différence la plus importante entre les deux.

Vous avez aussi été réalisateur, puisque vous avez réalisé Toad’s Oil en 2009. Depuis, vous n’êtes pas repassé derrière la caméra : est-ce par manque d’opportunité, d’envie, de temps..?

Ce n’est pas que je n’ai plus envie, j’ai même écrit des scénarios que j’ai préparés, mais les projets n’ont pas abouti faute de moyens. Il se trouve que c’étaient des projets qui demandaient une certaine somme qu’on n’a pas réussi à rassembler, mais j’en parle de temps en temps avec l’équipe. J’ai toujours cette admiration pour le métier de réalisateur.

J’espère que ça se concrétisera. Est-ce qu’il y a des acteurs que vous aimeriez diriger en tant que réalisateur ?

Tout dépend du film qu’on veut faire, bien entendu. Je crois que ce qui m’intéresse c’est peut-être de découvrir des nouveaux talents. J’espère avoir le temps de faire des repérages d’acteurs, de pouvoir rencontrer des jeunes et peut-être de faire découvrir de nouveaux talents. Quelque part, je crois que je les envie, moi qui suis aussi acteur depuis longtemps, et j’aimerais beaucoup pouvoir diriger de nouveaux comédiens.

Effectivement, vous avez débuté votre carrière d’acteur à la fin des années 70. Comment avez-vu évoluer l’industrie du cinéma au Japon ?

La première différence c’est que quand j’ai débuté dans le métier les films se tournaient uniquement en pellicule, et que maintenant les films en pellicule sont devenus rares. La deuxième chose c’est que ces derniers temps ce sont essentiellement des chaînes de télévision qui produisent les films tandis que quand j’ai démarré c’étaient des studios, c’est-à-dire des maisons de production spécialement dédiées au cinéma, qui faisaient naître et grandir les réalisateurs, et qui faisaient d’eux des talents. Aujourd’hui c’est difficile, je trouve, de faire la distinction entre les réalisateurs de cinéma et les réalisateurs pour la télévision parce qu’il y a des réalisateurs de programmes télévisés qui font des films. La frontière est devenue plus floue. Il y aussi une tendance importante à l’adaptation de séries télévisées ou de mangas à succès au cinéma ; or à une période c’était le cinéma qui lançait les modes, on adaptait des films à la télévision, le cinéma était très moteur en termes de créativité. Aujourd’hui la vapeur s’est inversée et je trouve ça un peu dommage. Je trouve qu’il y a un peu trop d’adaptations et que le cinéma japonais manque de projets originaux. En même temps, pour ça, il faudrait que ce soient les sociétés de production qui aillent chercher les talents pour faire naître de nouveaux projets. Cependant, je crois qu’ils ont tendance à se reposer un peu trop à la fois sur la télévision et sur l’industrie du manga, et je trouve ça dommage. J’espère que viendra à nouveau une époque où ce seront la télévision et les mangas qui s’inspireront du cinéma.

Quant à vous, quels sont vos projets pour la suite ?

Pour l’instant, je suis toujours dans cette série télévisée, qui est produite par la NHK, pour un moment, et à partir de cet automne je vais jouer dans un nouveau film dont je ne peux pas encore trop parler.

Pour conclure, nous demandons à chaque artiste que nous rencontrons de nous parler d’un moment de cinéma qui l’a particulièrement marqué ou ému et de nous expliquer pourquoi. Pour vous, quel serait votre moment de cinéma ?

Il y a un réalisateur qui me vient immédiatement à l’esprit quand on me dit « cinéma », parce que quand je vois ses films je me dis « Ah, le cinéma c’est quand même ça ! » pour ce que ça peut laisser imaginer en termes d’échelle, et c’est David Lean. La Fille de Ryan, ou même Lawrence d’Arabie, ce sont des films dont, quand je les vois, je me dis « C’est quand même formidable, jouer dans un film comme ça ça doit être tellement merveilleux ». Ce sont des films que j’ai vus un certain nombre de fois et qui continuent de m’épater.

Propos recueillis par Lila Gleizes à Paris le 14/02/2019.

Traduction : Léa Le Dimna

Remerciements : Léa Le Dimna, Estelle Lacaud et toute l’équipe de la rétrospective 100 ans de cinéma japonais.

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