NETFLIX – Illang, la brigade des loups de Kim Jee-woon : Le Territoire des loups… édentés

Posté le 10 novembre 2018 par

Kim Jee-woon qui remake Jin Roh le chef d’oeuvre animé signé Okiura Hiroyuki sur un scénario de Oshii Mamoru de 1998 ? A priori, voilà de quoi éveiller notre curiosité. Illang, la brigade des loups est disponible sur Netflix depuis le 19 octobre dernier. 

S’abandonner pour la première fois devant Jin Roh et sa terrifiante uchronie est une expérience quasi-inoubliable. Oserait-on dire aussi forte que le premier visionnage de Ghost In The Shell ou Akira ? Sous la plume du monument Oshii Mamoru qui, 4 ans plus tôt, mit la planète K.O avec Ghost In The ShellJin-Roh sort sur les écrans nippons le 17 novembre 1999. Plongé dans un Tokyo hostile et éprouvant, le film narre la remise en question d’un soldat d’élite à la suite du suicide d’une (toujours) trop jeune kamikaze. Les années 50 et une Allemagne nazie victorieuse d’un Japon convalescent, une organisation terroriste secrète dénommée « La Secte », un propos mature évoquant autant la révolution (responsabilité ?) civile que la répression armée… Autant de thématiques lourdes de sens qui firent entrer Jin-Roh, la brigade des loups dans le panthéon du cinéma d’animation. Réalisé de main de maître par Okiura Hiroyuki, ce premier long-métrage laisse alors exploser l’érudition acquise par le cinéaste durant une dizaine d’années avec, excusez du peu, des postes d’animateur sur Roujin Z ou Patlabor 2.

Le film est donc de nouveau sous les projecteurs, sous le prisme de cette nouvelle adaptation. Lourde tâche donc pour Kim Jee-woon de retrouver l’avant-gardisme du précité, d’errer avec autant de maestria avec la beauté paradoxale de ces menaces sans ombres, alternant avec brio errances méditatives et fracas métalliques. Pour autant, l’homme derrière l’objectif est loin d’être un inconnu. Scénariste et réalisateur de 2 Sœurs, A Bittersweet Life ou Le Bon, la brute et le cinglé, il est surtout l’auteur d’un polar cauchemardesque, parmi les plus impitoyables, définitifs et suffocants des 10 dernières années : J’ai rencontré le diable. Il était donc plus qu’envisageable d’être confiant quant à cette nouvelle production… Malheureusement, autant confesser que l’inspiration semble cette fois pointer aux abonnées absentes, en lieu et place d’un pur film de commande. Aucun Choi Min-sik pour exploser la rétine face caméra, aucun chef opérateur pour magnifier un propos dur et polysémique comme Roger Deakins avec le récent Blade Runner 2049 (une inspiration évidente), aucun souffle court à la révélation d’un twist honteux et éventé depuis les premières minutes… Un peu comme si, cynique et affamé par l’appât du gain, à l’instar d’une meute de loups face à un troupeau de chèvres : un studio décidait un remake de Ghost In The Shell, avec un metteur en scène incompétent et une actrice bancable, en Amérique. Inconcevable donc…

Maîtresse ès-polar de la planète cinéma, la Corée du sud multiplie les pépites policières depuis au moins deux décennies. Cet héritage artistique, culturel, (géo)politique et militaire est cette fois sacrifié sur l’autel du dieu dollar. Cuisant échec commercial (moins de 900 000 spectateurs et moins d’un tiers de son budget remboursé par les recettes) et critique lors de sa sortie en salles au pays du matin calme, les cinéphiles coréens semblent eux, avoir conscience de l’héritage qu’il incombait à l’équipe en charge de cette relecture. C’est en effet frustré que l’on ressort de la vision d’Illang. L’idée frontale d’évoquer la réunion des deux Corées avant 2030, portée par des hommes politiques jouant enfin un rôle visionnaire semblait ainsi particulièrement judicieuse. Tout comme le fait de jongler entre diverses intrigues à tiroirs comme le masque social friable, cher à Carl Jung, des membres de cette unité, l’utilisation de la BO de l’anime original ou l’utilisation de l’architecture de la ville…

Malgré donc ce champ des possibles, malgré même les dithyrambes d’Oshii sur le film (??), cette appropriation ne dépasse jamais le statut d’actioneer bas du front. Après une exposition particulièrement paresseuse, portée par une tension dramatique nulle, l’on plonge tête la première, pieds-poings liés et la corde au cou dans une accumulation de poncifs quasi irréelle !

De la bluette insipide entre deux antagonistes à une intrigue confuse et opaque qui souffre des dizaines de protagonistes interchangeables (un Pirate des Caraïbes 2 uchronique en somme), le film ne cherche même jamais à dépasser son statut de divertissement vite emballé. Ni Jung Woo-sung (Asura), ni Gang Dong-won (Kundo) ne semblent y croire une seconde, peu aidé il est vrai par une bande originale particulièrement inventive dans laquelle l’on provoque la tristesse par le violoncelle… Du génie. Le manga Kerberos Panzer Cop invoquait à sa sortie une noirceur palpable par le trait aiguisé et agressif de Fujiwara Kamui. Illang lui enfonce le clou en sabotant les derniers espoirs par une direction artistique passe-partout. N’est pas Lubezki qui veut. Par cette accumulation de clichés insultante (affrontement de frères ennemis, romance, final contre le grand méchant…), il ressort de ces deux heures un sentiment de gâchis et de manque d’implication. D’autant que parfois, le temps d’une séquence réussie, l’on passe un instant agréable et apaisant comme lors des estampes du Petit chaperon rouge par exemple.

Au lieu donc de singer le Nicolas Winding Refn de The Neon Demon pour ses éclairages, John Wick pour ses combats, les films de mafieux pour sa rencontre chez le barbier ou Alex De La Iglesia quand il filme des égoûts dans El Bar, Kim Jee-woon aurait dû sacrifier son chèque pour une exigence artistique à nul autre pareil. Les sauts au-dessus du bar pendant une fusillade, le cache-cache dans un palais des glaces ou des marches arrière durant une course-poursuite ne sont pas un problème en soi pour un film quelconque. Le problème est qu’il s’appelle La Brigade des loups et son héritage est en soi un honneur. En effet, nous aurions pu écrire un dossier entier sur cette saga, des films The Red Spectacles et Stray Dogs d’Oshii à tout ce que Jin Roh a inspiré en termes de narration visuelle.

De la progressive déshumanisation de ces soldats à une société tentaculaire privant ses citoyens de liberté et ses enfants d’innocence, le film passe in fine complètement à côté de sa raison d’être. Reste la beauté magnétique d’Han Hyo-ju… Mieux vaut, à n’en point douter, tourner la page sur cette image.

Jonathan Deladerrière.

Illang, la Brigade des loups de Kim Jee-woon. Corée. 2018. Disponible sur Netflix depuis le  19/10/2018.

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