Okinawa International Movie Festival 2018 – Entretien avec la réalisatrice Peng Xiaolian (Please Remember Me)

Posté le 19 mai 2018 par

C’est au festival d’Okinawa que nous avons pu interviewer Peng Xiaolian, réalisatrice du magnifique Please Remember Me. Elle nous parle de son amour pour le cinéma classique chinois et pour la ville de Shanghai.

Vous faites partie de la fameuse 5ème génération de réalisateurs chinois parmi Zhang Yimou, Chen Kaige ou Tian Zhuanghuang. Que reste-t-il de l’esprit de cette génération aujourd’hui ?

 Vous savez… c’est la Chine. Nous faisons toujours des films, mais nous les envoyons toujours au bureau de la censure à Pékin… Donc nous faisons en sorte de toujours contourner la censure.

Comment ?

Je travaille toujours à la limite, essayant de garder cet entre-deux qui permet au film de passer.

C’est difficile de ne pas franchir des limites ?

Oui, on peut dire ça. (Elle parle en chinois avec ses producteurs et rit). C’est pour ça que mes films ne sont pas très… populaires voyez-vous ! Vous avez vu le film ?

Oui, oui bien sûr.

Oh ok ! (Elle rit). Et vous l’avez aimé ?

Oui, énormément.

Nous avons eu énormément de soucis avec certains aspects du long métrage. La censure nous a demandé de couper certaines scènes, d’atténuer certaines couleurs, le rouge notamment. On a dû aussi porter plus l’accent sur l’aspect vieux film, pour pouvoir aborder certains sujets moins frontalement. Mais malgré tout, ils nous ont laissé garder la plupart des scènes. L’histoire est un peu compliquée avec ces vieux acteurs qui ont eu une vie si difficile.

Le film est, encore une fois dans votre œuvre, situé à Shanghai. Vous êtes née là-bas, mais qu’est-ce qui vous obsède tant dans cette ville ?

Un des producteurs du film, natif de la ville, est revenu et a vu les vieux bâtiments démolis qu’on peut voir dans le film. Il habitait dans l’un de ces immeubles ! Ca a été très émouvant de voir tout ça et beaucoup de gens ont pleuré.

Vous avez tourné dans Shanghai en décor naturel ?

Non, uniquement pour les plans d’ensemble et les extérieurs. La maison du personnage principal, cette maison presque abandonnée, nous l’avons construite en studio. Nous avons dépensé pas mal d’argent pour faire une maison sur deux étages. C’était très difficile de tourner en extérieur car on avait peu de liberté, on a passé des heures à négocier. Le problème avec ces quartiers en attente de démolition, c’est qu’ils étaient incapables de nous dire quand ils allaient vraiment agir. On était toujours dans l’attente. Peut-être demain, dans 1 semaine, dans 2 ans… Les gens se battaient pour garder leur immeuble. On a réussi tant bien que mal à tourner, avec beaucoup de négociation et un peu d’argent dans quelques poches ! (rires) On en mettait partout, dans les poches de vestes, de pantalons, on a tout fait ! (rires) Nous avons eu beaucoup de chance de tourner. Ça a été très rapide : 35 jours de tournage.

Et pour revenir à ma question : pourquoi cette ville de Shanghai vous obsède tant ?

Tout d’abord je suis née à ici, et je pense que Shanghai est une ville tellement différente des autres villes de Chine. La culture, l’histoire, la façon de penser et d’agir des gens, tout est différent. Cela m’intéresse beaucoup. Je fais la plupart du temps des films à petits budget, donc je m’attache à parler de choses que je connais très bien. Je peux parler de moi, de mon expérience.

 Pourquoi avoir mélangé documentaire et fiction ?

 Pour parler de ces anciens acteurs chinois, j’ai pensé que la fiction avec ces jeunes gens serait parfait pour intéresser plus de gens, donner plus de force. Comme le documentaire donne plus de force à la fiction aussi.

 Vous établissez un parallèle entre les vieilles gloires du cinéma chinois et les changements de la ville en Chine, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

 La ville est en train de changer, je n’ai pas le choix, je dois faire face aux réalités ! Puis c’était plus facile de passer la censure ! (rires)

Et que pensez-vous des changements de la ville ?

Je préfère le vieux Shanghai… parce que la culture était plus vivante. Les maisons dégageaient plus de charme. La ville paraît plus vide maintenant, plus froide. Ça paraît mieux en apparence, mais pour moi c’est juste triste.

On peut bien se rendre compte de cet état d’esprit dans le film, notamment avec son dernier plan.

Oui tout à fait ! Avec les maisons, l’autoroute derrière…

La méta-fiction est très impressionnante dans Please Remember Me, vous construisez le film comme un film des années 30-40 pour parler du besoin de préserver ces œuvres. Pouvez-vous m’en dire plus sur ce sujet ?

Je veux que les nouvelles générations s’informent et voient ces films. Par exemple, il y a une lycéenne qui a vu le film. Quand elle rentrée chez elle, elle s’est mise à regarder les vieux films dont il est question dans Please Remember Me. C’était génial. Si nous n’en parlons pas, qui va le faire ? Personne ne leur parle de la culture plus ancienne. Les gens oublient quelque peu notre cinéma.

Et comment les jeunes réagissent aux vieux films ?

Pratiquement personne ne regarde ces films ! Par exemple, mon actrice principale (Feng Wenjuan ndlr), quand on lui a donné le scénario, elle ne connaissait même pas les acteurs ou les films.

Craignez-vous que ce pan du cinéma chinois tombe dans l’oubli ?

Non, il sera toujours là malgré tout.

Vous croyez ?

Oui, vraiment.

L’esthétique du film est très sensuelle et organique, les sentiments des personnages sont presque palpables. Quelles étaient vos intentions ?

Oui, tout à fait. Vous croyez que si le film était projeté à Paris, le public pourrait ressentir ce que je veux faire passer dans ce film ?

Oui, totalement !

Le film a été diffusé à Bruxelles en janvier, il a été projeté trois fois, les gens ont vraiment aimé. Les européens peuvent voir un peu à travers le film comment vivent les gens à Shanghai.

On a interviewé pas mal de réalisateurs chinois comme Wang Xiaoshuai, Jia Zhang-ke ou Wang Chao et ils sont plutôt pessimistes quant à l’état du cinéma chinois. Partagez-vous ce point de vue ?

 Ils sont très intéressés par tout ce qui touche à la campagne, moi plutôt la ville, les grandes villes. J’essaie juste de réfléchir aux changements rapides de la société et de les retranscrire. Je fais aussi des documentaires.

On demande à chaque artiste qu’on interview de nous donner un film ou une scène qui les a marqués. Pouvez-vous nous donner votre moment de cinéma ?

J’aime beaucoup Kolya le film tchèque de Jan Sverak, tous les films de Truffaut et Kieslowski, notamment La double vide de Véronique.

Propos recueillis à Naha par Jérémy Coifman et Justin Kwedi le 21/04/2018

Remerciements à Aki Kihara, Shizuka Murakami et Momoko Nakamura ainsi qu’à toute l’équipe du festival d’Okinawa.

Please Remember Me de Peng Xiaolian. Chine. 2018.

Présenté au 10eme festival international du film d’Okinawa. Toutes les informations ici.

 

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