Critique de Black and White Photo de Shu Haolun (Festival Shadows)

Posté le 17 novembre 2012 par

Projeté à l’occasion du Festival du cinéma indépendant chinois Shadows, Black and White Photo est le premier long métrage de fiction de Shu Haolun (舒浩仑). Un film réussi sur l’adolescence et les premières amours dans le Shanghai aujourd’hui disparu de la fin des années 80. Par Marc L’Helgoualc’h.

Résumé : Shanghai. 1989. Xiaoli, seize ans, vit dans un vieux quartier avec son grand-père. Admiratif de Robert Bresson, Xiaoli aime photographier Lanmi, sa voisine dont il est secrètement amoureux. Celle-ci travaille dans une usine mais devient bientôt hôtesse dans un hôtel fréquenté par des touristes et des hommes d’affaires étrangers. Dès lors, Lanmi n’aura qu’un seul rêve : quitter la Chine pour vivre aux États-Unis. De son côté, Xiaoli fait la connaissance de Lili, une camarade de classe fascinée par les manifestations étudiantes qui ont lieu à Pékin. Lili demande à Xiaoli de l’accompagner à Pékin pour y participer. Dans cette effervescence politique et sentimentale, Xiaoli passe de l’innocence adolescente à l’âge adulte.

Black and White Photo montre un Shanghai aujourd’hui (presque) disparu. Xiaoli et son grand-père habitent dans un shikumen, ses habitations construites à Shanghai entre 1900 et 1940. Depuis les années 1990, ces quartiers traditionnels sont démolis et remplacés par des gratte-ciels, symboles de l’hypermodernité. C’est d’ailleurs le sujet du premier long métrage de Shu Haolun, le documentaire Nostalgia (2006), dans lequel il revient sur les lieux de son enfance dans une shikumen du centre de Shanghai qu’un promoteur hongkongais s’apprête à détruire. Détail qui ne trompe pas : l’immeuble où a été filmé Black and White Photo a été détruit juste après le tournage. Le film a d’ailleurs pu être tourné à cet endroit puisque ses habitants avaient déjà déménagé. De ce point de vue, ce film a une valeur d’archive et de mémoire sur le passé (pourtant pas si lointain) de Shanghai, mégalopole qui a subi un changement urbain, architectural et économique démentiel en une vingtaine d’années.

Lanmi, jeune chinoise fascinée par le mode de vie occidental.

L’arrière-plan politique est également important même si Black and White Photo n’est pas un film « militant ». Le film aborde les crimes de la Révolution culturelle, la politique répressive et paranoïaque du gouvernement de Deng Xiaoping et, bien sûr, les manifestations de la place Tian’anmen en 1989. La famille de Xiaoli est un condensé de la répression du gouvernement. Son grand-père, ancien artiste-peintre, cherche depuis des dizaines d’années à récupérer ses tableaux, confisqués depuis la Révolution culturelle. Quant au père de Xiaoli, on comprend qu’il a été emprisonné et probablement tué pour une quelconque opposition politique. Xialo connaîtra lui aussi le frisson d’être inquiété par les autorités pour avoir photographié une manifestation d’étudiants. Quand l’art devient engagement et subversion. Shu Haolun rythme son film d’archives radiophoniques et télévisées des manifestations de 1989 et des discours politiques de l’époque.

Dans ce contexte historique et politique, Black and White Photo est surtout un film de passage à l’âge adulte. Un coming of age film, comme on dit outre-Atlantique. Une éducation sentimentale à Shanghai en 1989. Saluons d’ailleurs les jeunes acteurs Ewen Cheng (Xiaoli), Xufei Zhai (Lanmi) et Lili Wang (Lili).

Verdict : Un film émouvant et juste sur le passage à l’âge adulte dans un monde incertain, bouleversé par les événements politiques et une occidentalisation galopante. Une belle reconstitution du Shanghai de la fin des années 80. Hautement recommandable.

 

Marc L’Helgoualc’h.

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