Prière d'extase

VIDEO – Prière d’extase d’Adachi Masao

Posté le 31 octobre 2020 par

Carlotta Films sort un coffret Blu-Ray/DVD consacré à cinq classiques rares du pinku eiga. On poursuit l’exploration du coffret avec Prière d’extase d’Adachi Masao, plongée poétique et dépressive auprès d’une jeune japonaise à la dérive.

Prière d'extase

Prière d’extase est une œuvre que l’on doit à Adachi Masao, figure emblématique du cinéma d’avant-garde japonais des années 60. Il signe le scénario de réussites majeures de Wakamatsu Koji dont il contribue à la dimension politisée, et participe à l’essor de la Nouvelle Vague japonaise en écrivant Le Retour des trois soulards (1968) et Journal d’un voleur de Shinjuku (1968) pour Oshima Nagisa. Adachi est une personnalité engagée qui fera partie de l’Armée rouge japonaise sur laquelle il tournera le documentaire Armée Rouge / FPLP : déclaration de guerre mondiale (1971) et qu’il accompagnera en Israël dans sa mission de libération de la Palestine. Il y séjournera trente ans avant un retour mouvementé au Japon qui passera par la case prison.

Prière d'extase

Adachi a également une carrière de réalisateur où il cherchera aussi à affirmer son propos. Prière d’extase accompagne la dérive d’une jeunesse japonaise plongée dans une profonde dérive existentielle. Yasuko (Sasaki Aki) et ses camarades s’opposent aux carcans de la société en s’imposant une certaine froideur émotionnelle, ainsi qu’en s’affranchissant de l’institution (on ne les voit jamais aller au lycée). Ils sont pourtant pris au piège lorsque les règles strictes qu’ils s’infligent sont mises à mal par la grossesse accidentelle de Yasuko. L’institution les rattrape et ils vont décider d’expérimenter le rapport charnel, d’en ressentir le plaisir et l’oubli dans une fuite en avant destructrice. Adachi exprime cela formellement, notamment en traduisant les états contradictoires de Yasuko. La bande-son est inondée de voix-off anonymes de jeunes filles lisant des lettres de suicide (inspirée de la poétesse Nabusawa Nabuko suicidée à dix-sept ans), ce qui apporte une forme de distanciation qui s’oppose aux tourments physiques concrets de la grossesse ressentis par Yasuko.

Prière d'extase

La noir et blanc clinique et la narration flottante sont l’expression de cette errance sans but. Le monde extérieur apparaît comme abstrait lors des déambulations où l’arrière-plan tokyoïte disparaît dans la brume tandis que les intérieurs exposent des scènes de sexe détachées et sans éclat. Les protagonistes forcent un entrain et un désir absents, partagé entre le besoin et le refus de ressentir. L’adulte (que représente le personnage du professeur) symbolise ce contre quoi lutte ces jeunes gens, mais finalement aussi ce à quoi ils se raccrochent en grands enfants qu’ils sont restés. Cette indécision dans ce qu’ils recherchent amènera l’éclatement du groupe (symbolique dans une séparation en pleine rue où chacun retourne à un cadre conventionnel de la famille ou de l’école). Yasuko poursuit la démarche autodestructrice jusqu’au bout dans un final cathartique mais à l’envoûtante portée mélancolique. La couleur s’invite alors, le montage se fait abstrait et une douce mélopée folk accentue le spleen de cette conclusion. Une œuvre fort intéressante donc mais dont la nature expérimentale demande une vraie implication au spectateur peu rompu au cinéma d’avant-garde japonais de l’époque.

Bonus : Une présentation (8 mn) de Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma japonais qui présente la personnalité singulière qu’est Adachi Masao, les spécificités formelles du film, et les place dans le contexte politique et culturel japonais d’alors. Le petit livre de Dimitri Ianni détaille encore un peu plus le parcours politique sinueux d’Adachi, ainsi que ses influences (notamment littéraires) pour ce film.

Justin Kwedi

Prière d’extase d’Adachi Masao. Japon. 1971. Disponible en coffret Blu-Ray/DVD chez Carlotta le 30/09/2020.

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