Avant Hero (2002) ou Le secret des poignards volants (2004), Zhang Yimou fit sensation dès ses débuts avec Épouses et Concubines qui lui permit de remporter un Lion d’argent à La Mostra de Venise en 1991. Le film est présenté au 24ème Festival International des Cinemas d’Asie de Vesoul, dans le selection Paroles de femmes, de quoi vouloir remonter les aiguilles du temps et se faire une idée neuve de ce qu’on pourrait communément appeler : un chef d’œuvre !
« Que sommes-nous ici ? Des chiens, des chats, des rats ?
Pas des humains, certainement pas. »
Songlian à sa meilleure ennemie Meishan.
Le récit se situe dans la Chine des années 1930, à huit-clos dans le faste d’un Palais traditionnel où co-habitent les femmes et les servantes d’un riche propriétaire : Maître Chen Zuoqian.
Songlian (Gong Li – Adieu ma concubine (aussi édité dans une magnifique édition Blu-Ray que l’on critiquait ici – ndlr), 2046…), est une somptueuse paysanne de 19 ans, instruite mais sans fortune, qui vient d’enterrer son père et se voit contrainte d’épouser Zuoqian pour éviter la misère. Pauvre, elle ne peut prétendre qu’au rang de 4ème épouse, un statut en-dessous de ses ambitions auquel elle essayera de s’accommoder sans jamais y parvenir.
Développée sur quatre saisons, la vie communautaire de la Résidence initie l’héroïne aux coutumes ancestrales qui lui imposent de courber l’échine pour préserver l’équilibre des rapports avec ses co-locataires.
Alors recluse comme ses consœurs dans un appartement individuel, elle doit satisfaire aux exigences de Zuoqian, figure machiste omnipotente à qui il est très dangereux de désobéir. Tenue à sa disposition, elle attend patiemment qu’il décide avec laquelle de ses subordonnées il assouvira ses pulsions nocturnes.
Fondre dans un bain, se faire masser les pieds et se parer des plus jolis atours sont les rituels qui font de l’élue d’un soir une Reine pour la nuit. De la sorte, toutes les faveurs pourraient bien lui être accordées si celle-ci sait s’offrir totalement à son Maître. Ainsi, la plus populaire des mariées dirigera la maison à sa guise tant que ses charmes le lui permettront.
Tandis que les lanternes rouges de la chambre choisie se consument, les concubines délaissées essuient leur jalousie en préparant les mesquineries vengeresses du lendemain. Pourtant, plus elles se haïssent plus leur Maître les garde sous contrôle. Réduites à de vulgaires objets de désir, il ne leur reste plus qu’à se disputer le cœur de Zuoqian pour se sentir exister.
Probablement en avance sur son monde, Songlian subit chaque rite comme une cruelle atteinte à son intégrité. Jetée dans l’arène, où tout du moins, dans le harem, elle participe forcée aux plus viles manipulations, afin de contrer les attaques de ses compétitrices. Mais là où son arrogante jeunesse crée l’animosité de son entourage, elle révèle tantôt son manque d’expérience, tantôt son besoin d’attention. Des faiblesses qui ne manquent pas de profiter à ses plus ingrates rivales (la méchante Meishan – troisième épouse ex-favorite), et Yan’er (soubrette privilégiée et maîtresse de Zuoqian, qui briguait le poste de Songlian avant qu’il ne lui passe sous le nez.
Prise entre deux combats, Songlian livre une guerre des générations contre ses émules tout en engageant un mano a mano avec Zuoqian, fervent défenseur d’une polygamie hédoniste sans gêne ni morale. Ce faisant, elle dénonce une société rétrograde qui ne se soucie guère de l’égalité des sexes. Mais quelque soit la légitimité de sa rébellion, le cloisonnement séculaire est tel que ses idéaux se heurtent à une grande muraille conservatrice. Progressivement épuisée par ses opposants, Songlian mesurera trop tard le pouvoir de ses tortionnaires…
Issu d’un roman de Su Tong, Épouses et concubines est un magnifique témoignage historique filmé à la manière d’un conte incisif. Comme dans Le Sorgho rouge, Zhang Yimou analyse les inégalités sociales et les pratiques inadmissibles de la vieille Chine sans pour autant user du discours solennel de la revendication. En outre, il pose un regard tendre sur les princesses de ce siècle et leur rend hommage à sa façon avec beaucoup de subtilité. Allant crescendo de l’intime à l’universel, il signe sans complaisance une mise en scène sobre et savamment orchestrée.
Alors que l’action se déroule dans une prison dorée, l’auteur se gare intelligemment d’y enfermer le spectateur en variant au maximum ses prises de vues ou en peaufinant ses cadrages. Un décor simple, de beaux costumes et des airs d’Opéra sont les seuls accessoires soulignant le ressenti des actrices. Au centre de ce casting parfait, Gong Li irradie l’écran par son talent et sa grâce. Elle mène une partie d’échec à la fois tragique et jubilatoire, assurément l’un de ses meilleurs rôles et dans l’absolu, un incroyable cadeau pour les fans de septième art…
Dorian Sa.
Épouses et Concubines de Zhang Yimou. Chine. 1991. En salles le 14/06/2017.
Projeté au 24ème Festival International des Cinemas d’Asie (FICA) de Vesoul.