Kinotayo – Entretien avec Hiroki Ryuichi (Side Job)

Posté le 25 novembre 2017 par

Après le succès de Kabukicho Love Hotelgagnant du prix du jury au festival Kinotayo 2015, on était en droit d’attendre beaucoup du nouveau film de Hiroki Ryuichi. C’est avec un sujet assez différent de ses obsessions habituelles que nous revient pourtant le réalisateur de Vibrator. Si Side Job. n’a pas entièrement convaincu la rédaction d’East Aia, la faute à un rythme peut-être trop lent, son sujet, la vie des survivants de Fukushima, coincés dans des habitations éphémères, reste extrêmement intéressant et méritait une rencontre avec réalisateur.  

Le public vous connaît pour quelques particularités : vous avez notamment commencé par réaliser des films érotiques. Comment avez-vous effectué la transition vers un cinéma plus grand public ? 

Le budget des pinku eiga est assez restraint, environ trois millions de yens et le tournage se fait en quatre ou cinq jours, donc tout est assez limité. Je suis passé aux films plus commerciaux pour pouvoir faire autre chose. Dans le pinku, j’avais plus de liberté au niveau des choix des thématiques, mais certains thèmes ne peuvent vraiment être traités que dans les films commerciaux. J’ai toujours l’impression de mélanger pinku eiga et film à grand public dans mon cinéma actuel.

Comment vous est venue l’idée de Side Job. ?

 

Après la catastrophe de 2011, je me suis rendu dans la région du Tohoku pour tourner un peu et j’ai été extrêmement choqué par ce que je voyais. Je ressentais beaucoup d’émotion que je n’arrivais pas à canaliser, c’est pour ça que j’ai pris cinq ans à faire mon film. Il y a eu beaucoup de documentaires et de fictions qui se déroulent à Fukushima, mais rien ne me semblait juste, voilà pourquoi j’ai décidé de faire un film. Je ne voulais pas forcément traiter la renaissance ou la reconstruction de la ville ou des personnes, mais je voulais parler du quotidien des victimes du sinistre.

La catastrophe a eu lieu il y a 6 ans, beaucoup de films ont été faits là-dessus, mais une grande partie choisit un axe métaphorique pour parler de la catastrophe, comme The Long Excuse de Nishikawa Miwa (lire ici) ou le triptyque de Sono SioHimizu, The Land of Hope et Whispering Star. Pourquoi avez-vous choisi de faire un film très terre à terre utilisant les codes du documentaire, dans le traitement du sujet tout comme dans la mise en scène ?

Je ne voulais pas faire un documentaire, car certaines choses présentes dans le film n’auraient pas été possibles dans un film de non-fiction. C’est cependant vrai que je voulais utiliser le style documentaire. C’est une adaptation de mon propre roman que j’avais écrit afin de canaliser les émotions que j’avais ressenties lors de ma visite de ces endroits. Les sentiments que je ressentais pendant l’écriture du roman, tout comme celles ressenties sur place ou pendant le tournage changent sans cesse, donc j’ai peut-être utilisé le style documentaire pour représenter ça. Je voulais surtout montrer comment les habitants vivent sur place, voilà pourquoi j’ai choisi une mise en scène aussi directe.

Vous évoquez plusieurs personnages dans le film, mais décidez de vous focaliser principalement sur le rôle d’une prostituée, se déplaçant de Fukushima à Tokyo pour travailler tous les week-end. Les scènes avec ce personnage, notamment dans la capitale, tranchent énormément avec le reste du film, que vouliez-vous montrer par ce rôle et ces choix ? 

Je voulais montrer l’opposition entre la vie à Tokyo et la vie à Fukushima. Nous qui habitons à Tokyo, nous avons l’impression que ce qui se passe à Fukushima est très lointain, que c’est une histoire qui ne nous touche pas vraiment, mais en réalité, on est très proche d’eux. Ce qui s’est passé là-bas pourrait aussi arriver chez nous. Les transitions Fukushima/Tokyo dans le film sont en quelque sorte des paysages psychologiques du personnage de Miyuki. A Fukushima, elle mène une vie morose et sérieuse, elle est un peu étouffée. Tokyo lui sert à assouvir des désirs qu’elle a malgré tout.

L’actrice principale du film, Takiuchi Kumi, à très peu travaillé avant. Comment avez-vous trouvé cette actrice, et comment s’est passé le travail avec elle ? 

Elle a passé des castings, c’est une actrice qui a beaucoup d’angoisse par rapport à son métier, et je me suis dit que ça pourrait la rapprocher des angoisses du personnage principal, même si elles n’ont pas du tout la même occupation. Pendant le tournage, elle était logée dans une habitation temporaire comme les habitants et vivait avec eux afin de mieux les comprendre. Pour ce qui concerne le métier de prostituée, elle a rencontré des femmes qui menaient cette activité, elle a même fait cette enquête de son propre chef. En tant qu’actrice, elle avait des questionnements sur son métier, notamment sur les scènes de nu, et je voulais jouer sur cette gène pour la rapprocher du personnage de Miyuki.

Question un peu anecdotique, j’ai remarqué que pendant les scènes de sexe, il y a avait des mosaïques de censure. J’ai cru avoir lu récemment que ce n’était plus obligatoire dans les films érotiques ou pornographiques japonais, était-ce nécessaire pour votre film de censurer cette scène ? 

Il y a encore des mosaïques dans le cinéma japonais pour les scènes de sexe, ce n’est plus obligatoire dans des scènes de douche ou de bain, mais on ne peut toujours pas montrer de sexe. Mais c’est vrai que le floutage donne l’impression qu’ils font vraiment l’amour et cet effet peut parfois être intéressant.

Avez-vous suivi des procédures spécifiques pour entrer dans les zones sinistrés pendant le tournage ? 

On a eu beaucoup de soutien des habitants sur place, par exemple des pêcheurs qui nous ont amené en bateau très près de la centrale alors que normalement c’est illégal. On a vraiment eu beaucoup d’aides de la part des locaux.

Avant d’élargir le sujet, on se rend compte au début du film que le titre japonais (彼女の人生は間違いじゃない) est beaucoup plus long que Side Job., on peut donc supposer que la traduction est un peu étrange. Quel est le vrai titre du film ? 

Effectivement, le titre japonais est complètement différent, on pourrait le traduire comme « sa vie n’est pas fautive », mais je ne parle pas de Miyuki, mais la vie de chacun. Je me pose toujours cette question : « est-ce que mes personnages sont fautifs ou non ? ». Le titre anglais Side Job. évoque bien sûr son travail à Tokyo, mais il représente aussi l’endroit, l’autre endroit où elle travaille.

L’été dernier, tout Shinjuku était recouvert d’affiches du film Wolf Girl and Black Prince. Je ne savais absolument pas que vous étiez le réalisateur de cette adaptation de manga Shojo. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet et comment s’est passé le travail sur ce film à portée très populaire ? 

Ma façon de travailler ne change pas selon les projets, je me pose toujours les mêmes questions sur comment filmer mes personnages, surtout féminins, tenter de les comprendre… Ce qui change c’est surtout le budget et la façon dont le film est distribué. Il y a beaucoup d’adaptations de Shojo en ce moment, c’est une partie de la culture japonaise et je ne fais pas vraiment de différence avec mes autres projets. Par contre, je me demande comment les étrangers voient ce phénomène, et j’espère que faire ce film n’a pas trop touché ma réputation !

Justement, en France, on a une vision très négatives des adaptations de manga, beaucoup de réalisateurs en interview se plaignent de cette mode et disent qu’elle affecte beaucoup la créativité des metteurs en scène et empêche l’émergence de nouveaux auteurs. Que pensez-vous de l’état du cinéma japonais et avez vous-vu par exemple un film japonais récent qui vous a beaucoup plu ?

J’ai vu Tokeru à Kinotayo et il m’a beaucoup plu, bien sûr c’est un film tourné par une très jeune réalisatrice, et je me suis vraiment dit que je ne pourrais plus jamais faire de films pareils. C’est vrai qu’il y a actuellement beaucoup de projets similaires avec les mêmes acteurs et réalisateurs mais il y a d’autres films à côté. Le souci c’est que ces films ne sont pas montrés dans les cinémas japonais, et j’aimerais vraiment que ça change. Le problème vient plus de la distribution et de l’exposition qu’ont les petits films, mais c’est pareil aux Etats-Unis par exemple.

Nous demandons à chaque cinéaste que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi. Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

C’est la dernière scène du Dernier Tango à Paris où Marlon Brando marche seul. A ce moment, je pense que le personnage, la ville, l’histoire, tout est en parfaite harmonie. J’aime aussi la dernière scène de A Bout de Souffle où on voit Jean-Paul Belmondo marcher seul. Ces films français tournés en décor naturel me plaisent beaucoup, et c’est peut-être pour ça que je tiens autant à tourner en décors naturels dès que possible.

Propos recueillis par Elias Campos à Paris le 13/11/2017.

Photos : DR Kinotayo.

Traduction : Megumi Kobayashi.

Remerciements : Megumi Kobayashi, Paul Mattiuzzo.

Side Job. de Hiroki Ryuichi. Japon. 2017. 

Présenté à la 12ème édition du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo. Plus d’informations ici.

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