Véritable phénomène au Japon de la fin des années 80 aux années 90, X Japan fait l’objet d’un documentaire retraçant la carrière du groupe, survolant leur âge d’or et les difficultés rencontrées par les membres. À découvrir le jeudi 6 juillet lors d’une projection exceptionnelle au Club de l’étoile en présence de Yoshiki.
Les années X
Dès la fin des années 70 et tout au long des années 80, un mouvement va s’emparer de Sunset Strip, à Hollywood: le glam metal. Mötley Crüe, Ratt, Poison, W.A.S.P.… autant de groupes nés dans la frénésie de ce qu’était devenu le Rock n’ Roll Circus au cours des années 80 (voir à ce sujet l’excellent documentaire The Decline of Western Civilization part II: The Metal Years de Penelope Spheeris). Il n’a pas fallu attendre trop longtemps avant que cette spirale de maquillage et de laque pour les cheveux sur fond de grosses guitares déferle sur le Japon. Dès le début des eighties, deux amis d’enfance, Yoshiki et Toshi, décident de former un groupe, nommé X, qui après une succession de membres passagers, fige son premier « classic line up » en 1987, et donnera naissance à une poignée d’albums qui marqueront l’Histoire du rock japonais.
X est un tournant dans la culture japonaise, figurant à l’avant-garde de la première vague de groupes Visual Kei, ce genre musical fourre-tout qui met l’accent sur le look extravagant de ses membres. Du glam rock japonais, en somme. C’est à qui aura les cheveux les plus longs, et le groupe le plus haut en couleurs. Dans une société japonaise très introvertie mais qui sait depuis longtemps faire des films totalement graphiques, c’est au tour de la musique populaire de choquer les rétines (« Crime of Visual Shock » étant le slogan du groupe). Si le Japon avait déjà adopté Ziggy Stardust, il leur restait encore à créer des véritables icônes glam.
Influencé dès le plus jeune âge par Kiss, Yoshiki, leader/compositeur/batteur/pianiste du groupe, associé à Toshi (chant), hide (guitare lead), Pata (guitare rythmique) et Taiji (basse), montent un groupe dans la tradition du classic rock et du heavy metal. Pour faire simple, on pourrait cataloguer X comme un mélange de Mötley Crüe, Guns N’ Roses, Queen, aux accents symphoniques et speed metal. Le groupe s’en sort bien. Très bien même. Ils délaissent les clubs pour remplir le Tokyo Dome et vendent des albums par millions. Après 3 LP avec Taiji, celui-ci est viré, remplacé par Heath. Yoshiki se retrouve alors seul maître à bord du bateau X, ce qui ne freine pas la popularité du groupe (ils vendront encore pas mal de copies des deux albums suivants, et rempliront le Tokyo Dome chaque année), mais amène un tournant compliqué en interne, qui finira par la dissolution du groupe à la fin de l’année 1997. Dix ans plus tard, le groupe se reforme (sans hide, décédé en 1998), et reprend là où il s’était arrêté, avec la volonté de partir à la conquête de l’Ouest.
Imprimer la légende
Le documentaire biographique, particulièrement au cinéma, est toujours un exercice périlleux. Plus ramassés que les bios papier, ils demandent toujours un angle d’attaque fort afin d’éviter de sombrer dans la généralité. Quelle est donc l’idée de Stephen Kijak, réalisateur qui s’était déjà fait la main sur des docus consacrés aux Rolling Stones et aux Backstreet Boys, pour présenter un angle neuf sur un groupe dont les fans connaissent déjà l’histoire ? Premièrement, la coopération du groupe, qui se prête aux interviews filmées et ont par la suite fait amplement la promotion du documentaire. Mais c’est peut-être aussi là qu’il faut se rendre à l’évidence : We Are X a plus en commun avec l’autobiographie, et donc la version que les membres du groupe veulent donner de leur histoire, que du travail d’historien musical, qui offrirait une vision transversale des choses. Vitaminé, coloré, à l’image des membres, le montage joue également la carte de l’emphase pour raconter le récit de la chute d’un groupe et d’une ascension pour récupérer le trône qui leur appartenait.
Centré sur Yoshiki, We Are X choisit d’illustrer le statut d’artiste sensible, torturé, aux problèmes de santé récurrents, plutôt que de se pencher sur l’image du businessman avisé, en contrôle total de son image. Et dans ce docu, le portrait des membres du groupe depuis 30 ans n’a pas changé. Toshi est dépeint comme le frère-ennemi (parce que chaque grand groupe se construit sur la dualité entre son frontman et l’autre force créative. Demandez à Mick Jagger/Keith Richards, Robert Plant/Jimmy Page, Steven Tyler/Joe Perry ou Axl Rose/Slash ce qu’ils en pensent), hide est la pile électrique un peu bizarre, Taiji le rockeur bad boy, Pata l’alcoolique zen, et Heath… toujours effacé. Le choix de Kijak de se focaliser sur Yoshiki montre l’emprise totale de l’artiste sur son groupe, mais fait également l’impasse sur ce qui faisait réellement la grandeur d’X à ses débuts. On pourrait croire que Yoshiki possède tout. Compositeur de talent, pianiste et batteur virtuose, il manque pourtant depuis à la musique d’X Japan quelques couleurs. Car avant que Yoshiki ne fasse son Chinese Democracy, au cours des années Art of Life et Dahlia, X était une force à trois moteurs. Les apports musicaux d’hide et Taiji étaient également parties intégrantes de l’identité du groupe, insufflant la touche rock que le groupe a perdu une fois parti dans son orientation Symphonique teinté de Metal Industriel. Taiji était la force rebelle aux lignes de basse groovy, et hide apportait son énergie sur scène comme en studio. Offrir à Yoshiki l’opportunité de raconter son histoire, c’est aussi lui offrir celle de nous cacher la raison du renvoi de Taiji, comme le montre cette scène où le batteur est plutôt gêné lorsque Kijak lui pose la question. We Are X est donc la propre éloge du groupe (le documentaire s’attarde longuement sur l’influence d’X Japan sur le reste de la scène japonaise, mais ne demande jamais au groupe de parler de leurs propres influences, ce qui aurait peut-être été plus intéressant) et peine à montrer ces moments où le groupe perd l’équilibre, et se perd dans ses propres erreurs.
On pourra par exemple regretter que le documentaire survole un peu vite la période où Yoshiki est seigneur en son royaume, et construit ses pyramides avec Art of Life et Dahlia. Il existe de longues scènes de studio trouvables sur Youtube, ou dans la série de vidéos Visual Shock, où l’on peut voir le perfectionnisme de Yoshiki, passant de longs moments sur le mixage de ce dernier album, pendant que les autres membres vont et viennent, sans trop savoir quoi faire. Cela n’empêche cependant pas Kijak de capturer quelques belles scènes de conversation récentes entre Yoshiki et Toshi, permettant au spectateur de se faire une idée plus concrète de la relation compliquée et douce-amère entre les deux membres.
Même si le film n’aborde pas tous les projets parallèles de Yoshiki (Yoshiki Classical, Violet U.K., Globe, S.K.I.N.…), il ne s’arrête pas uniquement à son travail avec X Japan, et montre que le plan de conquête de la star s’étendait également au média des comics, avec Blood Red Dragon, développé en collaboration avec Stan Lee, qui fait une apparition dans le documentaire. Kijak cherche à montrer l’importance de la star dans la musique japonaise contemporaine, chose faite par la simple mention du travail de composition pour la cérémonie de célébration de l’Empereur et de l’Impératrice du Japon, effectuée par Yoshiki.
De la difficulté d’être X
Le documentaire commence comme un challenge. A la veille de leur concert au Madison Square Garden en 2014. Comment ce groupe, revenu de loin, et n’ayant jamais conquis l’Occident, allait-il engager ce virage ? C’est à ce moment que le film se montre véritablement intéressant, car il touche aux préjugés et à la discrimination que subit la musique asiatique dans nos contrées. C’est là que surgit le doute, mais aussi l’ambition de Yoshiki. L’artiste a toujours envisagé la musique comme un langage universel, et les compositions d’X Japan s’ancrent dans un héritage et des influences occidentales, entre heavy metal et ballades imprégnées de musique classique. Dès le premier album, Vanishing Vision, les paroles mélangent le japonais et l’anglais. Pour se débarrasser des préjugés, il ne reste donc plus qu’à laisser parler la musique. A ce titre, il est bien dommage de voir que le film survole tout ce qui touche à la réunion de X Japan et au World Tour qui a suivi en 2011. Car à l’époque le groupe avait réellement pour projet de s’exporter, et avait même un temps annoncé que leur prochain album serait chanté en anglais, avec des reprises anglicisées de leurs chansons phares. Depuis, Yoshiki s’est ravisé, comme s’il avait pris conscience que sa fanbase internationale était avant tout constituée d’amateurs de J-rock. A ce titre, We Are X déploie une belle vitrine d’intervenants, qui représentent le réseau de Yoshiki dans son plan de conquête : Gene Simmons, Marylin Manson, Stan Lee, George Martin, Wes Borland et Richard Fortus. Malheureusement, ils sont tous plutôt là pour chanter les louanges du groupe que pour apporter un regard véritablement pertinent sur la musique japonaise.
Yoshiki utilise la musique comme une manière d’exorciser ses démons, de plonger dans ses douleurs pour en faire ressortir l’art. Il faut dire que l’histoire du groupe est riche en drames : suicide du père de Yoshiki lorsqu’il était enfant, décès accidentel d’hide, Toshi endoctriné dans une secte qui mènera à la dissolution du groupe et au silence entre lui et Yoshiki pendant une décennie, et plus récemment le suicide de Taiji après des déboires et un passage en prison. Yoshiki aborde ainsi le lien qui l’unit à son public, la mélancolie qui a su toucher ses fans. Kijak n’oublie pas de montrer leur importance dans le phénomène X Japan, au détour de plans de foules, cosplayers déguisés en membres du groupe, et scènes de cohue lors de l’apparition des membres en public. Pour ceux qui en doutent, par moment on n’est pas loin de A Hard Day’s Night des Beatles. C’est là finalement que se retrouve toute l’idée du projet. Initier un nouveau public à la musique du groupe, montrer son importance indéniable, tout en offrant aux fans un film qui leur laisse voir un peu plus leurs idoles. Car la musique d’X Japan revêt un côté messianique, et quiconque a assisté à l’un de leurs concerts, au cours desquels les fans lèvent les bras pour clamer « We Are X » ne pourra dire le contraire.
Anel Dragic.
We Are X de Stephen Kijak. Japon-USA-G.-B.. 2016. En salles le 06/07/2017.