Présent lors de la 9ème édition de l’Okinawa International Movie Festival pour présider le jury de la Creator’s Factory (lire ici), Fruit Chan a rencontré la presse pour nous parler de sa filmographie, de ses débuts dans le cinéma indépendant avec Made in Hong Kong à ses projets plus commerciaux comme l’imminent The Invincible Dragon. En introduction, nous avons demandé à Jean-Pierre Dionnet de nous présenter le cinéaste, dont il a produit le beau Durian Durian en 2000. Interviews !
Fruit Chan par Jean-Pierre Dionnet (producteur de Durian Durian) :
« Il était et il reste un metteur en scène complètement à part dans le cinéma de Hong Kong. »
« J’ai rencontré Fruit Chan dans l’un de ces bars où venaient tous les acteurs et les réalisateurs de Hong Kong, je crois que c’était celui de Benny Chan. C’était avant la rétrocession et on y croisait tous les grands : Tsui Hark, John Woo, Michelle Yeoh, Jackie Chan… Et au milieu, un peu isolé, il y avait Fruit Chan. Ce sont ces grands metteurs en scène très connus qui m’ont dit que je devais aller le voir et qu’il était très intéressant. On a fait connaissance comme ça. C’est à ce moment-là que j’ai découvert Made In Hong Kong. J’ai trouvé que c’était un cinéma très différent de ce qui se faisait. J’ai vu ses autres films et on s’est retrouvé un jour dans un café. Il m’a parlé d’un de ses projets. C’était une époque où il y avait beaucoup de prostituées à Hong Kong (les Chinois ne croyaient pas au sida, ils pensaient que ce n’était que pour les étrangers). Beaucoup de jeunes Chinoises venaient se prostituer à Hong Kong pour se faire un pécule, puis rentraient chez elles acheter une maison pour leurs parents. C’était l’idée de départ. Le durian, ce fruit étrange, est venu après. Je n’avais jamais goûté à cette chose : ça sent très mauvais, c’est épouvantable ! Je lui ai demandé combien coûtait le film et vu qu’il prenait des acteurs amateurs et tournait sans autorisation, il avait besoin de 500 000 dollars. Je pensais qu’on pouvait les mettre et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé à produire ce film de Fruit Chan !
Il ne tournait pas comme les autres. Il avait un scénario assez vague, assez peu écrit. Il aimait bien avoir des acteurs pour partie confirmés, pour partie amateurs et les laisser un peu improviser. Il tournait dans la rue, comme ça venait… Le film s’est fait en un mois ou deux, un peu comme dans un rêve. A ma grande surprise, le film a été sélectionné à Venise. Il y a avait peu de films chinois à Venise. J’ai accompagné le film en compétition avec Fruit Chan, ma femme et l’attaché de presse, qui était marocain, et on nous a présentés à la presse comme la délation chinoise ! (rires). Je me rappelle qu’il a fait quelques interviews, mais il n’aime pas trop parler de ses films, il préfère les laisser parler pour lui. Il n’a pas de théorie préalable à ses films et pensait que le résultat était ouvert. Il voulait cependant montrer que Hong Kong, ce n’était pas que des flingues au ralenti, mais que c’était assez convivial… Il jouait sur la magie du tournage. Il disait qu’il y avait des films qui ne se sont pas du tout tournés comme il les avait prévus ! Il part avec une idée, puis ça change en court de route : telle actrice prend de l’importance, l’histoire dévie, etc. Il ne savait pas si c’étaient des drames ou des comédies : il n’avait pas de théorie là-dessus ! Il essayait au pays de l’artifice, Hong Kong, de faire des films réalistes car il estimait que Hong Kong était un lieu magique et particulier. Il suffisait de le montrer, avec une absence de recherche volontaire (il n’aimait pas que les acteurs puissent savoir où était la caméra). Il était assez peu directif et les acteurs étaient très à l’aise avec lui, surtout les débutants. Il ne leur faisait jamais de reproches. S’ils voulaient changer des choses, il le leur permettait. D’où l’absence de style, qui est pour moi un style très fort. Il était et il reste un metteur en scène complètement à part dans le cinéma de Hong Kong. Tous les metteurs en scène semblaient en gros parler du même monde, et étaient tous fascinés par les mêmes metteurs en scène, européens et américains, mais pas Fruit Chan. Il parlait assez peu de ses goûts, mais voulait faire un cinéma autre. Ce qu’il a fait et continue de faire.»
Propos recueillis à Paris le 25/04/2017 par Victor lopez.
Interview de Fruit Chan
« Je n’ai jamais voulu être réalisateur »
Les débuts
« J’ai décidé de travailler dans l’industrie du cinéma quand j’étais au lycée. Je passais beaucoup de temps dans les cinémas, un peu comme le gamin de Cinema Paradiso, et je me disais : c’est ça ma vie ! Mais pour être honnête, je n’ai jamais voulu être réalisateur. Rien que le fait de travailler pour cette industrie me rendait très heureux. J’ai fait une école de scénariste puis j’ai commencé à travailler. Peu à peu, j’ai monté les échelons et cinq ans plus tard, j’étais assistant-réalisateur. Mais ça ne me plaisait pas trop. En cinq ans de métier, j’avais vu beaucoup de gens passer d’assistant-réalisateur à réalisateur, et échouer complètement avec leur premier film. Il fallait alors revenir en arrière au poste de second-assistant-réalisateur. Bon, certains réussissaient aussi et leur destin était plus lumineux. En fait, je suis resté au sein de cette industrie pendant 10 ans. Aujourd’hui, grâce à la technologie, on fait des films bien plus facilement à Hong Kong. Mais à cette époque, les choses étaient différentes. C’était quand même un âge d’or car on pouvait vous proposer de réaliser un film. Après, on pouvait ne pas aimer les acteurs ou l’histoire, mais on pouvait le faire. Ce qui était difficile, c’était de faire un film personnel. Mon rêve n’était donc pas de devenir réalisateur.»
Made In Hong Kong
« Quand 1997 (année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine – ndr) approchait, je me souviens que tout le monde à Hong Kong s’en moquait. Personne ne faisait de film là-dessus. De mon côté, j’avais déjà échoué dans le cinéma mainstream. J’avais fait deux films qui n’avaient pas marché : une histoire de fantômes et une histoire d’amour. Des échecs complets ! Je ne voulais plus faire de films comme ça, qui n’avaient rien à voir avec mes histoires personnelles. C’est pourquoi j’ai pensé à ce film, que l’on ne pourrait plus sortir aujourd’hui. Je me suis retrouvé de nouveau assistant-réalisateur, mais je réfléchissais en même temps à quelque chose à raconter. Je me suis dit qu’il fallait faire un film pour 1997. J’ai donc commencé à écrire. L’été 1996, j’ai commencé à faire Made In Hong Kong, qui m’a pris 9 mois. Le film a été sélectionné en festival et ça m’a ouvert les yeux. Je suis revenu à Hong Kong et j’avais l’impression d’avoir beaucoup gagné en maturité. J’ai réfléchi à la manière de faire d’autres films, à l’avenir que je voyais. A cette époque, les jeunes Hongkongais n’étaient pas très impliqués politiquement. Mais la réaction partout dans le monde a été très positive sur Made in Hong Kong, de la Corée au Japon. C’est ce qui m’a fait changer et grandir de manière instantanée.»
The Midnight After
« A Hong Kong, certains ont dit que c’était un film commercial alors que d’autres, non ! Mais le box-office a été assez bon à Hong Kong. On peut donc faire des films commerciaux sans trop de difficulté, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Car si on ne vise pas le marché chinois, il est impossible d’entrer dans ses frais. On se retrouve finalement à devoir renoncer à son salaire. Pour ce film, quand j’ai été choisi comme réalisateur, j’ai décidé d’y ajouter mon point de vue. Si l’on regarde le film en surface, tout semble très calme, mais au-delà de ça, je voulais parler de ce qui était en train de se passer à Hong Kong. On peut faire passer ces idées avec humour. C’était il y a quelques années, mais maintenant, c’est plus difficile.»
Le cinéma de Hong Kong
« La situation est un peu compliquée car, aujourd’hui, les coproductions avec la Chine sont considérées comme des films de Hong Kong, mais ce n’est pas vraiment du cinéma de Hong Kong. Si un film ne peut pas sortir en Chine, alors, c’est du vrai cinéma hongkongais ! Les coproductions, ce sont seulement à moitié des films hongkongais. A cause de cela, on ne peut par exemple plus faire de film de fantômes à Hong Kong (la censure chinoise interdit les films de fantômes sous prétexte qu’ils feraient la promotion de fausses croyances et de superstitions – ndlr), ou de films qui touchent à la sexualité. Beaucoup de sujets ne sont pas permis en Chine et si on réalise ces films, ils ne peuvent pas y sortir. On est donc obligé de s’y plier. On ne fait donc que des polars et des comédies romantiques ! Par ailleurs, toucher un public important et avoir un succès au box-office n’est pas facile, à moins d’être Stephen Chow ! Et comme ces films ne sont pas vus comme étant vraiment des films hongkongais par les habitants, ils n’ont pas non plus facilement du succès à Hong Kong. C’est surtout vrai pour les plus jeunes, qui n’aiment pas regarder des coproductions. C’est pourquoi ils apportent leur soutien aux véritables productions locales, de Hong Kong. »
L’évolution de son cinéma : de l’underground au mainstream ?
« Si faire du cinéma indépendant me permettait de survivre, je ne ferais pas de film pour les studios. Mais Hong Kong est trop petit et notre cinéma s’exporte mal. Les films ne sont pas facilement rentables. Cela fait maintenant 10 ans que j’ai arrêté de faire des films personnels. Il faut vendre le film, le sortir, trouver des moyens de récupérer l’investissement… C’est compliqué à Hong Kong. En fait, je viens du cinéma mainstream. J’ai commencé comme assistant-réalisateur pour beaucoup de productions très commerciales. Mais avec les films commerciaux, c’est aussi une lutte. Il faut faire ses preuves au box-office. Si vous ne faites pas un succès, c’est très compliqué de faire un film ensuite ! Mon dernier film n’a pas très bien marché en Chine. J’ai donc fait The Invincible Dragon en visant un marché international : c’est un film que je peux envoyer aux Etats-Unis. Du coup, j’entends beaucoup de critiques qui se demandent pourquoi Fruit Chan fait ce genre de film commercial. (rires) Mais en un sens, c’est plus facile de faire un film personnel. On suit juste son idée. On se fiche de la manière dont peut réagir le public, s’il va rire ou pas. Mais économiquement, c’est très compliqué ! Et c’est très dur aussi dans le cinéma mainstream. Il suffit d’un film pour être à terre, d’un échec pour disparaître ! »
Propos recueillis par Victor Lopez à Naha le 22/04/2017.
Photos de Elvire Rémand.
Remerciements : Jean-Pierre Dionnet, Momoko Nakamura, Aki Kihara et toute l’équipe du festival d’Okinawa.
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