2015 restera à coup sûr une année importante dans la filmographie de Sono Sion. Avec pas moins de cinq réalisations, le metteur en scène prouve à la fois sa passion inébranlable pour son médium, mais parvient également à prolonger sa filmographie en la menant dans des directions inattendues. Là où de nombreux stakhanovistes japonais tournent déjà en rond au bout de trente ans de métier, Sono Sion n’en finit pas de nous surprendre. L’Étrange Festival présente cette années deux de ses films, chacun dans un registre très différent, comme pour souligner le caractère insaisissable du bonhomme. Intéressons nous ici à Love & Peace, une oeuvre aux antipodes de l’autre film présenté, Tag.
Punk à tortue
Comment faire un film anti-establishment qui prendrait la forme la plus inoffensive qui soit ? Voilà la question que semble poser Love & Peace. Il y a de quoi se demander si l’ancien punk aurait renié sa radicalité pour verser dans une morale pacifiste plutôt hippie. Le film a tout d’une trêve de Noël, comme pour rappeler que derrière le réalisateur turbulent se cache encore une âme d’enfant, capable de s’émerveiller des artifices du cinéma.
Difficile de parler du film sans évoquer son contenu. Il est donc fortement conseillé de le voir avant de continuer la lecture.
Le cinéma japonais n’est pas avare en films improbables et Sono Sion mélange sans complexe l’histoire d’un salaryman mal dans sa peau qui devient une rockstar, le kaiju eiga et une storyline sur le Père Noël. Le charme de Love & Peace se trouve dans sa légèreté et sa simplicité. Sono Sion ne fait pas dans la nuance (pas qu’il ne sache pas, loin de là, mais ce n’est pas ici ce qui l’intéresse). Le réalisateur choisit une approche frontale et grand public, pour faire passer au plus grand nombre des idées qui laisseraient une partie du public sur le carreau s’il abordait le sujet avec l’approche radicale qu’on lui connaît. Il faut reconnaître quelques clichés (le salaryman introverti qui devient punk puis bascule rapidement dans la mégalomanie, et se met donc à faire de la soupe J-rock), mais il y a dans cette approche (faussement) naïve et (véritablement) sincère un parti pris d’aller à contre-courant d’une production cinématographique qui se prend décidément bien au sérieux ces temps-ci.
Well… c’est Nowël
Le caractère imprévisible mais jamais gratuit du récit nous fait basculer de la comédie au merveilleux, s’approchant de Babe 2 : un cochon dans la ville (l’un des films de chevet de Sono Sion) et des Muppets, plus que des kaiju destructeurs. Sans pâtir du mélange des genres, le film se tient grâce à sa sensibilité constante. Et pourtant, sur le papier, ce n’était pas gagné. Imaginez un peu si l’on vous disait que vous seriez touché par une tortue en plastique aux yeux immenses qui passe son temps à gazouiller. Oui, hein ? Le réalisateur n’en perd pas non plus son identité, restant dans les thèmes qui lui sont chers, que ce soit en dépeignant des personnages brimés ou en évoquant la place de l’amour.
Pour entrer dans le jeu de Sono, il faut inévitablement laisser son cynisme au vestiaire, retrouver son âme d’enfant, et accepter que le réalisateur nous enchante. Le film pourrait bien être le Hook de la carrière de son réalisateur (et c’est un fan de Hook qui vous parle). Il s’impose immédiatement comme l’un des sommets du kaiju kawaii, n’en déplaise aux amateurs de destruction gloumoutesque massive.
Mais à l’instar du film de Spielberg, Love & Peace n’oublie jamais d’être un film entièrement personnel… et punk. Parce que finalement qu’est-ce qu’un acte punk ? Sono a déjà fait savoir qu’il faisait des films transgressifs pour aller à contre-courant, mais que si cela devenait la norme, il se mettrait à faire de gentils films. On y est peut-être, mais lui n’a pas perdu son intégrité en changeant de registre.
Anel Dragic.
Love & Peace de Sono Sion, présenté à L’Étrange Festival 2015 (Forum des Images de Paris).