À l’occasion de la 20ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul a été projeté le film indien Qissa d’Anup Singh qui sortira en salles françaises. East Asia ne pouvait pas louper l’occasion de s’entretenir avec le cinéaste concernant l’un des plus beaux films de cette édition.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ainsi que votre parcours ?
Mon nom est Anup Singh, je suis né dans l’est de l’Afrique. À l’âge de 14 ans, j’ai dû quitter le pays à cause de la terreur qui y régnait et nous avons pris le bateau pour l’Inde. Nous y sommes restés pendant 8 ans jusqu’à ce que mes parents partent en Grande-Bretagne. J’ai rejoint la Film and Television Institute of India qui est située près de Bombay. Quand mes parents étaient heureux d’être bien installés à Londres, je suis revenu finir mes études en 1986. J’ai travaillé ensuite avec mes professeurs qui étaient aussi réalisateurs et possédaient une certaine tradition dans la réalisation. Ils étaient fiers d’être les étudiants à l’époque du grand réalisateur Ritwik Ghatak. J’ai rejoint cette institution pour les mêmes raisons, le réalisateur était déjà mort depuis 8 ans et ces enseignants ont perpétré cette tradition. Nous avons fait de nombreux films ensemble en tant que scénariste, assistant réalisateur, etc. J’ai beaucoup appris. J’ai ensuite préparé mon premier long métrage, The Name of a River en 2002. La même année, j’ai commencé à rédiger le script de Qissa. Mais il nous fallu 10 ans pour trouver l’argent et réaliser le film en 2012.
D’où vous est venue l’idée du film ?
Quand je suis parti d’Afrique, je perdais ma maison, mes amis et mes parents étaient terrifiés par l’avenir qui les attendait. Pendant les 3 jours de la traversée, je me sentais terriblement seul et triste dans ma cabine. Un jour, l’équipage a diffusé un film dont je ne me souviens pas le nom mais surtout de l’expérience de l’avoir vu avec ce ciel d’Afrique au-dessus de ma tête. Aussi longtemps que je me souviendrais de ce cinema dans le cosmos, je me sentirais toujours chez moi. Le cinéma n’est pas qu’en moi, il appartient au monde, il interagit avec le cosmos. Cette expérience durant mon voyage a eu un impact très fort sur l’écriture de Qissa de nombreuses années après. Un autre évènement m’a profondément marqué. C’est celui de mon grand-père réfugié quand l’Inde est devenu pakistanaise. A cette date (Partition des Indes en 1947) il y eut 10 millions de réfugiés et beaucoup ont dit qu’il y avait eu 5 millions de tués pendant cette période. Il était complètement dévasté par la constitution de 1947, perdant sa maison, sa terre, son pays. Mais le plus dur, c’était sa perte d’identité. Il ne savait plus qui il était. En venant en Afrique, il est devenu très violent avec sa famille car il ne savait pas comment exprimé sa colère autrement. Le personnage du père dans Qissa correspond à la personnalité de mon grand-père à cette époque et celui de la femme déguisé en homme, à ce que j’avais ressenti en allant en Inde. Je voulais rassembler ces deux expériences différentes dans Qissa et voir laquelle allait gagner.
Pendant ces 10 années de recherches d’investissement, est-ce que le script a évolué ?
Durant les cinq premières années, il a beaucoup évolué. J’ai rencontré de nombreux réfugiés et 60 ans après la constitution de 1947, les personnes âgés m’ont raconté leur vécu. Durant cette période, beaucoup de religieux ont été attaqués par l’autre communauté comme montré dans le début du film. Pour sauver leur honneur, les femmes du village se suicidaient. Un vieil homme me racontait que sa fille de 16 ans s’était également suicidé. Il m’a dit qu’il rêvait encore du fantôme de sa fille qui attendait que son père le rejoigne. Cette histoire m’a bouleversé et j’ai décidé de l’inclure dans mon film
Pourquoi était-ce si important pour vous de garder le Pendjabi comme langage ? Avez-vous eu des difficultés par rapport à ce choix dans le financement de Qissa ?
J’ai toujours voulu réaliser Qissa en Pendjabi pour une très simple raison. Je suis un réalisateur. Je crois vraiment en l’image et au son. Je ne peux pas voir une image du Penjabe (les acteurs, les costumes, etc.) sans un son Penjabe. Cela n’a pas de sens. Chaque langage a sa musicalité et pour moi cette musicalité fait partie intégrante du film. Ce n’est pas un film commercial, je n’ai pas pu trouver de producteur panjabe qui sont experts en la matière. J’ai recherché un producteur à Bombay qui a répondu qu’ils aimaient beaucoup le scénario mais qu’il fallait réaliser le film en hindi et le tourner avec une star de Bombay. Ce n’était pas possible. Je me suis alors tourné vers la National Film Corporation Developement. Ils ont toujours soutenu le cinéma alternatif. Même pour mon premier film, ils m’ont soutenu. Ils ont validé une subvention pour Qissa mais cela ne suffisait pas. J’ai été chanceux à cette époque car j’avais un autre projet présenté au festival de Rotterdam. C’est à cette occasion que j’ai rencontré les producteurs allemands et hollandais. Ils étaient venus pour ce projet et c’est autour d’une table que je leur ai également présenté le script de Qissa qui me tenait à cœur. Ils ont tout de suite dit oui. Ils ont commencé à chercher des investissements dans leur pays.
Comment avez-vous proposé le scénario à Irrfan Khan ? Etait-ce difficile de travailler avec cet acteur reconnu ?
La première fois que je lui ai proposé le scénario, il m’a dit qu’il ne pouvait pas le faire car le personnage du père était trop sombre. Pendant deux ans, nous avons continué à rechercher des financements, et j’ai reproposé à Irrfan le rôle. Je lui ai parlé du chanteur italien Pavarotti, mentionnant le fait que quand il chantait, son visage témoignait d’une grande violence alors que sa voix était si puissante et magnifique. Son âme ne reflète pas son visage. J’ai demandé à Irrfan Khan de jouer comme cela le rôle du père qui est violent à l’exterieur mais rempli d’amour à l’intérieur. Il a finalement accepté et fait que le rôle soit intéressant pour lui.
C’est évidemment une star internationale. Il possède une certaine musicalité dans son jeu d’acteurs. Quand on le regarde jouer avec attention, on y décèle une certaine musique dans son corps. Ce n’est pas théâtrale. La seule chose que j’avais à faire était de lui faire entendre la bonne musique. Je lui présentait la scène avec sa musique. Il la jouait par la suite. C’est la raison pour laquelle je souhaitais Irrfan Khan dans ce rôle.
Comment avez-vous recruté et dirigé l’actrice principale de Qissa ?
C’est une Bengali, elle ne parle pas le Penjabi. Mon premier film se passait en Bengali , j’ai une grande affection pour ses habitants. Elle est venue à une audition. Je ne la connaissais pas. En 5 minutes, j’ai su que c’était la bonne personne pour incarner le rôle. Quand elle jouait, elle n’exprimait pas le besoin d’en rajouter, elle avait déjà en elle une forme d’introspection. Je pense que les gens apprennent, évoluent, qu’il existe des nuances et pas juste une scène ou l’actrice doit être triste puis déprimé, etc. C’est ce que Tilotama Shome a montré. Elle pouvait donner plusieurs aspects de la solitude, de la colère, de l’amour. C’était un cadeau pour moi.
L’homosexualité a été dépénalisée en Inde l’année dernière. Pensez-vous que le film arrive à temps pour rouvrir le débat sur question de l’identité.
A cette date, Qissa était déjà fini. Le film n’a pas de référence par rapport à cette loi. Cependant, Qissa parle de frontières et de changements. Par exemple quand le père élève sa fille comme un homme, il modifie son âme. Je pense que n’importe qui n’a pas d’identité propre. Palestinien, homme, femme, Indien, gay, si je vous demande honnêtement qui vous êtes, vous seriez susceptibles de me répondre que vous êtes un homme mais qu’à l’intérieur il y une partie, même infime, de femme. Une femme vous répondrait la même chose. Mais nous ne voulons pas de personnes avec des identités multiples. Nous voulons que les gens soient une seule chose. C’est facile de définir. Mon but dans Qissa est d’interroger sur les raisons de délimiter des frontières dans l’identité. Ce sont toutes ces frontières entre pays, la vie et la mort, qui ont crée la violence du monde d’aujourd’hui. Nous aimons mettre les choses dans des cases car nous avons une réponse immédiate.
Que pensez-vous de la nouvelle génération du cinéma indépendant indien ? Vous sentez-vous proches de ces réalisateurs ?
L’ancienne génération n’a jamais vraiment eu le soutien du cinéma commercial. La plupart d’entre eux étaient en dehors de l’industrie. La nouvelle vague a réussi à susciter un intérêt du cinéma commercial pour le cinéma indépendant. Je trouve très intéressant que les temps aient changé ainsi que les idées rebelles des réalisateurs aient changé également. Tout le monde semble avoir trouvé un compromis et c’est très bonne évolution.
Quelles sont vos influences cinématographiques ?
Ritrek katak, réalisateur Bengali, est ma plus grande influence. Il y a également Mizoguchi et un autre qui pourrait vous surprendre : Jean Renoir. Pour moi, il a été très important pour réaliser Qissa.
On demande à chaque réalisateur de nous citer une scène, un film qui les a marqué ou inspiré, quel serait votre moment de cinéma?
C’est une question très facile (rires). Il y a un film réalisé par Ritwik Ghatak. Je le cite car je veux que tout le monde aille voir ces films (rires). Le film s’appelle Titash, the name of a river. Il y a une séquence dans le film quand une jeune mariée est dans un bateau la nuit. Cette magnifique femme est à l’intérieur du bateau, on voit son visage et doucement son visage est couvert par une partie du bateau. C’est l’un des plus beaux moments de cinéma que j’ai vu. Premièrement, qu’est ce qu’un bateau ? Et quelle est la relation entre l’eau, le bateau et la femme ? Quelle est l’idée du voyage et de la protection. Toutes ces choses apparaissent en même temps en une seule image. C’est le pouvoir du cinéaste de suggérer toutes ces choses.
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai déjà un scénario et des producteurs internationaux. Nous commencerons le tournage en janvier. Le film parle de poison et de musique.
Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs ?
A toutes les personnes aimant le cinéma, s’il vous plaît allez voir les films de Ritwik Ghatak !
Propos recueillis, photo et retranscription par Julien Thialon lors de la 20ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Veoul.
Merci à Hélène Kessous et à toute l’équipe du FICA sans qui l’entretien n’aurait été possible.
Lire notre critique de Quisa ici !
LE FICA de Vesoul 2014 sur East Asia :
Édito preview : d’un festival à l’autre
Entretien : Martine Thérouanne, directrice du festival
Entretien : Brillante Mendoza pour Sapi
Cinéma philippin : rencontre avec Eugene Domingo (actrice) et Joji Alonson (productrice)
Critique : Qissa d’Anup Singh (Visages des Cinémas d’Asie Contemporains)
Entretien : Anup Singh, réalisateur de Quissa
Critique : Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin (Avoir 20 ans)
Entretien : Atiq Rahimi réalisateur de Syngué Sabour (Carte Blanche de nos 20 ans)
Critique : Vertiges de Bùi Thac Chuyên (Francophonies d’Asie, le Vietnam)
Critique : L’Hirondelle d’or de King Hu (La Carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza (Regard sur le cinéma philippin)
Critique : Like Someone In Love d’Abbas Kiarostami (La carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi (Avoir 20 ans)
Critique : Poetry de Lee Chang-Dong (La carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Chungking Express de Wong Kar-Wai (La carte blanche de nos 20 ans)