a touch of Sin, Jia Zhang-ke

Une perspective chinoise : A Touch of Sin, l’envers du miracle économique

Posté le 13 décembre 2013 par

A Touch of Sin a été salué par toute l’équipe East Asia comme LE film de l’année 2013. Avec raison. Mais au-delà du choc cinématographique, digne d’un Takeshi Kitano, comment le film de Jia Zhang-ke s’inscrit-il dans l’évolution économique et culturelle de la Chine ?

Quand la Chine s’éveillera d’Alain Peyrefitte, prédisait en 1973 l’accession de la Chine au premier rang économique mondial. De la Chine de Henry Kissinger, publié en 2011, faisait le tableau sans concession de cette extraordinaire transformation, mettant en perspective deux mille ans d’histoire et expliquant le prix terrible payé par le peuple chinois lors des crises successives, à commencer par la Révolution Culturelle, délibérément déclenchées par Mao afin de provoquer les changements profonds qu’il voulait amener dans la société chinoise traditionnelle.

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Ce que dit Kissinger avec sa vision de diplomate, Jung Chan le racontait déjà dans Wild Swans en 1991. Trois générations de femmes, survivant au travers de l’histoire mouvementée de la Chine : la grand-mère, concubine d’un seigneur de la guerre, les parents, communistes de la première heure, la petite-fille, exilée à Londres, relatant la vie de ses parents et grands-parents.

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Trois générations sacrifiées au Grand Bond en avant. L’ouvrage est toujours interdit  de publication en Chine.

Mais le résultat est là. En une génération, les hommes d’affaires chinois ont fait fortune, faisant main basse sur une bonne partie des richesses de la planète, qu’il s’agisse de terres en Afrique, de sociétés ou d’immobilier en Europe, avec l’audace, l’optimisme, la rapidité de décision et la suprême confiance en soi des entrepreneurs ayant réussi à partir de rien.

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Les plus gros fonds financiers sont chinois, les Jeux olympiques de Pékin en 2008 ont éclipsé en munificence les précédents, les cours de chinois mandarin se multiplient, la Chine continue à bénéficier d’une croissance soutenue et maîtrisée, au contraire des économies occidentales déprimées, et étend tranquillement sa domination politique et économique sur toute la zone Asie. Même le Japon redoute de s’opposer ouvertement aux incursions de plus en plus fréquentes des navires chinois en mer de Chine orientale, traditionnellement sous contrôle japonais. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

Alors, la Chine, superpuissance d’aujourd’hui, et maître du monde de demain ? Peut-être. Mais les choses ne sont pas si simples. Et c’est précisément ce que met en lumière le film de Jia Zhang-ke.

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Parce que les quatre histoires décrites dans A Touch of Sin mettent en exergue la violence dans la société actuelle. À cause de cet effet de loupe, le spectateur pourrait croire que la Chine est peuplée de sociopathes. Mais bien qu’inspirées de faits réels, ces histoires ne représentent que quatre « dérapages » sur un milliard d’habitants. Négligeable, en termes statistiques.

Cependant, au travers de la peinture de ces quatre faits divers « incroyablement violents », de l’aveu même du cinéaste, transparaissent deux aspects.

Tout d’abord, un profond mépris de la vie humaine, déjà explicite dans la réponse de Mao à la menace nucléaire russe : « Si les impérialistes déclenchent une guerre nucléaire contre nous, nous perdrons peut-être plus de trois cent millions d’hommes. Et alors ? La guerre, c’est la guerre. Les années passeront et nous nous mettrons au travail, engendrant plus de bébés que jamais encore. » (Déclaration de Mao à Kroutchev, 1956).

Ce « Et alors ? », tirant un trait  sur une population supérieure à celle des États-Unis, est terrible. Non, pas terrible : inimaginable. En tout cas pour un occidental.

San’er, dans l’introduction glaçante du film, abat ses trois jeunes agresseurs sans battre un cil. Les passants qui voient passer Xiao Yu, ensanglantée de la tête aux pieds et brandissant un couteau, ne s’émeuvent pas le moins du monde.  En Chine, la vie humaine n’a pas de valeur.

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Ensuite, une inégalité sociale criante et qui se creuse de plus en plus. Si la Chine compte plus de trois cent milliardaires, le contraste est énorme entre la minorité capitaliste des nouveaux riches, les campagnes arriérées et misérables, et les appartements urbains minuscules et sommaires, à la limite de la salubrité. Les mineurs sans le sou du Shanxi, après avoir avalé debout leur soupe de nouilles dans le local mal chauffé, viennent saluer leur patron, qui se déplace en jet privé et en Maserati intérieur cuir ; la mère de Xiao Yu fait des soupes pour les ouvriers des chantiers d’un barrage en Chine Centrale, et envoie sa fille à Canton pour qu’elle ne meure pas de faim ; l’hôtesse d’accueil que Xiao Hui rencontre dans la boite de nuit de luxe de Dongguan où il travaille  se prostitue pour nourrir sa fille de trois ans.

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Il n’y a pas vraiment de pays qui soit à même de rivaliser avec la Chine en tant que puissance économique et politique à l’heure actuelle. Ni les Etats-Unis, ni la Russie, ni l’Inde ou n’importe lequel des autres pays du BRIC.

Mais le vrai défi de la Chine est intérieur. Pour arriver à poursuivre sa formidable croissance, le pays a besoin d’une nouvelle génération d’hommes d’affaires, éduqués et capables de comprendre les enjeux internationaux. Mais les jeunes chinois éduqués aux US, au Canada ou en Europe en rapportent non seulement des méthodes, mais aussi des idées considérées longtemps par le gouvernement chinois comme subversives : la liberté d’expression, la démocratie, la libre entreprise… Le massacre de Tiananmen en 1989 n’était, du point de vue chinois, qu’une simple opération de police intérieure.

La Chine est assise sur une poudrière. Et c’est tout l’enjeu du gouvernement de transformer la « dictature éclairée » du Parti en un système permettant l’éclosion d’une économie moderne, sans pour autant céder à la corruption qui accompagne inévitablement le capitalisme sauvage ; ce qui ne peut se faire sans une profonde transformation des mentalités, des structures et des modes de fonctionnement.  Un monde ayant trouvé un équilibre, un monde où la folie meurtrière d’un Dahai, d’un San’er, d’une Xiao Yu, poussés à bout par la corruption, l’injustice, la déshumanisation, l’abus de pouvoir, et le suicide des jeunes idéalistes comme Xiao Hui, ne soient pas les seules réponses possibles à des situations insoutenables.

Aiko.

A Touch of Sin de Jia Zhang-ke. Chine. 2013. En salles le 11/12/2013.

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