Our sunhi

Festival FFCP – Our Sunhi de Hong Sang-soo : l’art de la répétition

Posté le 29 novembre 2013 par

Un homme et une femme, un plan fixe de 10 minutes (hop, un petit zoom !), des discussions inlassables, des bouteilles de soju et des cigarettes. Revoilà Hong Sang-soo dans son nouveau film, Our Sunhi, un petit bijou dans lequel l’art de la répétition et de la variation atteint des sommets.

Synopsis : Il faut toujours commencer par le scénario du film. Laissons Paris-Match s’en charger : « Diplômée en cinéma, Sunhi rend visite à l’un de ses professeurs, Choi, en vue d’obtenir une lettre de recommandation lui permettant d’aller étudier aux États-Unis. Ce jour-là, elle revoit deux hommes de son passé : son ex-petit ami Munsu et Jaehak, un réalisateur diplômé de la même école qu’elle. Pendant le temps qu’ils passent ensemble, Sunhi reçoit leurs différents conseils sur la vie ». Voilà pour l’histoire du film. Passionnant, n’est-ce pas ? Mais il y a l’art et la manière. Hong Sang-soo a la manière de faire de cette histoire banale et déjà-vue un film très bien construit et jouissif/répulsif selon qu’on aime ou pas le réalisateur. En effet, les contempteurs de Hong Sang-soo vont sans doute haïr ce film. Et les amateurs aimer. Car Our Sunhi est un concentré très maîtrisé des thèmes chers au réalisateur sud-coréen.

On trouve donc dans ce film les amours contrariées de jeunes gens, évidemment réalisateurs de cinéma ou professeurs à l’université. Des grands adolescents un peu romantiques, un peu branleurs, héritiers des hérauts de la Nouvelle Vague française, petits bourgeois plaintifs et beau parleurs. Du Paris des années 60 des Truffaut et Eustache au Séoul contemporain de Hang Sang-soo, il n’y a qu’un pas. Tout ceci peut irriter le spectateur. C’est fort compréhensible. Mais là où la plupart des réalisateurs français actuels, héritiers de la Nouvelle Vague, se plantent lamentablement dans le médiocre et l’ennui, Hong Sang-soo réussit à être drôle, touchant et pertinent. Son point fort est son talent de dialoguiste. Comme chez Eustache, les dialogues (qui virent parfois à un échange de monologues) sont solides. Avec le temps, les personnages de Hong Sang-soo semblent plus légers et cyniques que dans ses premiers films… ce qui ne cache pas un sens du tragique chez ces personnages en éternel questionnement sur le sens de la vie et l’essence de l’amour.

Les femmes, l’amour, l’alcool… Comment en vouloir à Hong Sang-soo de toujours évoquer les mêmes sujets quand il le fait avec talent ? Le reproche-t-on aux écrivains ou aux peintres ? L’intérêt de Hong Sang-soo est que l’on peut voir ses films indépendamment mais qu’ils s’inscrivent dans une œuvre cohérente, une comédie humaine. Les noms des personnages changent mais leurs problèmes existentiels demeurent. Tous ses personnages sont comme des doubles et fondent une grande famille. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des acteurs récurrents. Jung Yoo-mi (Sunhi) jouait déjà dans Les Femmes de mes amis, Oki’s Movie et In Another Country ; Kim Sang-joong (le professeur Choi) dans Matins calmes à Séoul ; et Lee Sun-kyun (l’ex-amant Mansu) dans Night and Day, Oki’s Movie et Haewon et les hommes. Our Sunhi voit l’arrivée d’un nouvel acteur : Jung Jae-young dans le rôle du cinéaste Jaehak – le personnage le plus blasé du film, alternant jurons, mutisme et cigarettes. Gageons qu’on le retrouvera bien vite dans un prochain film de Hong Sang-soo.

Our_Sunhi

Our Sunhi se démarque des autres œuvres de du réalisateur par sa structure classique héritée des pièces de théâtre en cinq actes. Le film commence par une séquence d’exposition dans laquelle le réalisateur présente Sunhi et son but : obtenir une lettre de recommandation de son professeur de cinéma. S’ensuivent trois actes dans lesquels chacun des trois hommes (ex-amant, professeur et ami cinéaste) passe un moment avec Sunhi dans une séance de drague existentialiste et éthylique. Le film se termine logiquement par un cinquième acte qui tente de réunir les quatre personnages. Le film étant basé sur le comique de répétition, le spectateur pressent la fin du film dès le début du troisième acte. L’humour des situations et des dialogues évite au film de tomber dans l’ennui malgré son côté prévisible.

La façon de filmer de Hong Sang-soo est également systématique. Les plans se répètent sans cesse, souvent dans les mêmes décors. Le réalisateur n’a jamais été aussi économe, avec un grand usage de plans fixes, dépassant parfois les dix minutes (sans oublier le traditionnel zoom dont on se demande parfois l’intérêt). Cette propension aux plans fixes renforce le côté théâtral de Our Sunhi. Du marivaudage coréen où l’on badine avec l’amour en se soûlant au soju.

Film d’une simplicité déconcertante, Our Sunhi est à placer entre une partition d’Erik Satie et les œuvres complètes de Pierre de Régnier. Assurément un des meilleurs films de Hong Sang-soo.

Marc L’Helgoualc’h.

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