Black Movie : entretien avec Kobayashi Masahiro, réalisateur de Japan’s Tragedy

Posté le 27 janvier 2013 par

D’une intense sobriété, Japan’s Tragedy, le dernier film de Kobayashi émeut et bouleverse. Le regard plein de tristesse et de résolution de l’immense Nakadai Tatsuya, qui porte le film avec une solidité inébranlable surtout reste en mémoire longtemps après la projection. Le constat est sans appel sur le destin du Japon, voire du monde, et une tristesse infinie transparaît dans chaque recoin du noir et blanc fixe du film. Ce désespoir transparaît jusqu’aux propos de Kobayashi lui-même, que nous avons eu la chance de rencontrer longuement pendant le Black Movie de Genève pour lui parler du film. Heureusement, la tristesse est contrebalancée par une gentillesse infinie et une envie de partager son expérience avec ses spectateurs. Propos recueillis par Victor Lopez.

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Lors d’une interview effectuée à la sortie de votre précédent film, Haru’s Journey (lire ici), vous avez déclaré que Nakadai Tatsuya vous avait dit qu’il fallait vous dépêcher de faire un autre film avec lui avant qu’il ne meurt. Est-ce que Japan’s Tragedy a été en partie écrit pour lui en réponse à cette déclaration ?

J’ai passé beaucoup de temps à réaliser Haru’s Journey, j’ai du me motiver pour Japan’s Tragedy. J’ai commencé à avoir des problèmes de santé. Je pensais que je ne ferai plus de films. Nakadai m’a passé un coup de téléphone pour me dire que lui voulait faire un film avec moi. Mais je n’avais plus très envie de tourner des films. J’ai donc écrit un scénario de telle sorte à ce que Nakadai refuse (rires). Tout de suite après lui avoir envoyé, il m’a rappelé pour me dire qu’il était très intéressé par le scénario. Il y avait beaucoup de choses très complexes dans le film, et cela n’a pas toujours été facile de le réaliser. Le plus dur était de réunir le budget. Comme Haru’s Journey a bien marché au Japon, je suis allé voir la même boîte de production, mais elle a refusé. Finalement, j’ai mis mon propre argent avec une subvention de l’état.

Quel était le budget du film ?

Environ 10 millions de yens. Tout a été tourné en studio, cela demandait beaucoup d’argent. J’ai toujours voulu tourner des films en studio, c’est une longue tradition dans le cinéma japonais.

Japan's Tragedy

Le film est effectivement très complexe et de nombreuses thématiques s’y croisent. Comment les avez-vous orchestré afin qu’elles forment un tout ?

En 2010, il y a eu une histoire au Japon où des Japonais touchaient la retraite de leurs parents alors qu’ils étaient morts. C’est à ce moment que je me suis intéressé à la subtilisation de l’argent des retraites. J’ai vu dans un documentaire cette histoire qui a fait scandale. Cette personne s’est fait arrêtée et emprisonnée. Pour camoufler la mort de son père, il avait camouflé le cadavre de son père sous les tatamis, et il avait commencé à pourrir. J’ai essayé de me mettre à la place de cette personne en me demandant la nécessité de telles pratiques. D’un point de vue du sens commun, c’est quelqu’un d’anormal. À partir de ce point de vue, j’ai commencé à creuser cette thématique. En parallèle s’est rajouté les évènements du 11 mars. Après le tsunami, cela m’a renforcé dans l’idée qu’un futur optimiste n’est pas envisageable. On s’enfonce dans les ténèbres et je me suis servi de ce côté dramatique dans mon film.

Pourquoi avoir choisi de tourner le film en plans fixes ?

J’ai tourné Japan’s Tragedy avec une caméra numérique. Jusqu’à présent, je ne tournais qu’en 35 mm. C’était ma première fois, donc c’était également une manière de changer mes habitudes de travail. Je ne suis pas complètement familier de cette technique, cela me permet d’apprendre beaucoup de choses, par exemple au niveau des coupes que l’on retrouve dans certains clips à la télévision sur MTV. Le numérique, c’est une nouvelle façon de travailler. Aujourd’hui, les modèles de caméra sont de plus en plus petits, il est facile d’avoir une certaine mobilité avec ce matériel très petit, compact et performant. Je me suis dit que c’était sans doute une bonne idée que de prendre ce type de caméra et de la laisser immobile pour voir ce qu’il pouvait en ressortir.

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L’idée du plan fixe n’était donc pas présente au scénario ?

Non, quand j’ai écrit le scénario, je n’y ai pas trop pensé. De toute manière, je n’avais pas envisagé encore le numérique pendant le scénario.

Et qu’en est-il de l’unité de lieu et la théâtralisation du récit,étaient-elles déjà présentes dans l’écriture du scénario ?

Je n’avais pas spécialement pensé à une mise en scène théâtrale. Nakadai a l’habitude de jouer au théâtre. Cela a dû se faire naturellement et spontanément.

Tout le film est en plan fixe sauf le deuxième plan où il y a un double mouvement de caméra, pourquoi ?

J’avais d’autres scènes en réserve mais que je n’aimais pas du tout. Seul ce raccord m’a semblé intéressant et est resté, comme une alternative à montrer les personnages de face. C’était aussi une autre manière de faire avancer l’histoire.

Avec le noir et blanc et les plans fixes, qui correspondent à l’idée que le père ne veut plus bouger, on a l’impression que l’une des thématiques du film est que le Japon est figé. Est-ce que c’est une thématique que vous vouliez transparaître dans Japan’s Tragedy ?

Je pense que le Japon s’immobilise de plus en plus même si ce n’est pas ce qui me paraît le plus important dans mon film.

Gebo et l’ombre de Manuel de Oliveira est aussi filmé en plan fixe, l’avez-vous vu ?

Amour

Non, mais quand j’étais en Inde, j’ai vu Amour de Haneke et j’ai trouvé beaucoup de similitudes avec mes films. J’étais très surpris en le voyant. Je n’étais pas le seul à penser cela. Même si Haneke vient d’un pays différent, nous avons fait le même constat. C’est très curieux qu’avec ces parcours différents, on arrive à un socle commun. Jusqu’à maintenant, j’avais tourné beaucoup de films en hommage à d’autres réalisateurs que j’admirais. Avec Japan’s Tragedy, je voulais avoir mon propre style. En le réalisant, je me suis rendu compte qu’il n’y aurait pas que ma touche personnelle mais que mes antécédents cinématographiques reprendront forcément le dessus.

Est-ce qu’il y a eu beaucoup de répétition avant le tournage ?

Pour des raisons financières, tout le staff était présent. S’il n’y avait eu que moi pour financer le projet, je n’y serai pas arrivé. Le tournage a commencé le 15 octobre 2011, la décision des instances pour l’autorisation des subventions est arrivé le 1 octobre, nous n’avons eu que deux semaines pour nous préparer. Nakadai avait bloqué son emploi du temps mais les autres n’étaient pas forcément engagés par ces soucis administratifs, ce qui faussait le planning initial. Pour ce genre de film à petits budgets, il n’y a pas beaucoup de répétition ni trop de journées de tournage. Il fallait s’organiser.

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Comment avez-vous dirigé les acteurs ? Avez-vous donné beaucoup d’instructions à Nakadai pour son jeu ou l’avez-vous laisser libre de son interprétation du personnage ?

Le premier jour, Nakadai s’est rapproché de l’autre acteur, Terajima Shinobu. Ils ont surtout mis au point des détails sur la façon de marcher, comment parler, la diction, etc.  Les deux personnages étaient nés. Ce que j’aime beaucoup avec Nakadai, c’est que nous avons une grande proximité et il nous a fallut qu’une seule journée pour nous entendre sur la direction du personnage, alors qu’avec d’autres cela prend plus de temps. Nakadai arrive à comprendre intuitivement le scénario. C’est un monument du cinéma japonais, il a ce sixième sens qui épargne beaucoup de travail.

C’est d’ailleurs le seul personnage du film qui a le droit aux gros plans alors que le fils sort souvent du champ. Etait-ce un choix volontaire de mise en scène avant tout centrée sur le père ?

Le fait que le père soit en premier plan était décidé à l’avance. Pour le personnage du fils, j’avais dit à l’acteur qu’on entendrait que sa voix. Finalement, quand on a regardé toutes les prises, on s’est aperçus que le fils apparaissait beaucoup à l’écran, il y a une part de hasard là-dedans.

Comment le titre est apparu et est-ce qu’il y un rapport avec un film de 1953 du même nom ?

Nihon no higeki

Je connais le film de 1953, mais son histoire est l’inverse de celle de Japan’s Tragedy. Le sujet et le rapport à l’histoire n’est pas le même et je ne pense pas qu’il m’a influencé. C’est une histoire d’après-guerre alors qu’ici il s’agit d’une histoire après-catastrophe. Mais, bon, est-ce que c’est vraiment un hasard ?

Sauf erreur, on ne sait pas vraiment où se situe la maison du film. Où est-ce et pourquoi ne pas le mentionner dans le film ?

J’avais en tête un endroit de Tokyo que j’ai reproduit. Mais finalement, il n’y a pas de lieu précis.

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Est-ce que vous avez vu d’autres films tournés après Fukushima comme Odayaka de Nobuteru Uchida ou Land of Hope de Sono Sion ?

L’actrice dans Odayaka, Sugiro Kiki, joue très bien, nous sommes très proches. Comme c’est une amie qui a apporté des fonds financiers pour mes films, je ne peux pas trop me prononcer objectivement. Je pense que le fait d’avoir traité le sujet de l’après-Fukushima est une sorte de facilité mais que cela doit être tout de même traité. Ce sont des choses qui seront transmises plus tard. Lui donner une forme est quelque chose de délicat à mettre en œuvre. Mais ces films ne s’adressent pas forcement aux Japonais. C’est plus une façon de transmettre notre ressenti au monde.

Y a-t-il des cinéastes japonais dont vous vous sentez proches ?

Avec le temps, je constate que beaucoup de cinéastes travaillent avec la télévision qui détient les gros budgets. Avec la crise du cinéma, je me demande souvent pourquoi untel a fait ce film, qui semble très éloigné du cinéma qu’il faisait au début et très peu personnel. Je ne comprends pas trop cette évolution.

Comment voyez-vous l’évolution du cinéma japonais ?

J’ai un point de vue pessimiste. Faire des films par passion est en train de disparaître. De plus, que l’on tombe dans le milieu de la télévision ou celui des films indépendants, il y a toujours un risque de se tromper, de mal faire. Je me demande ce que l’on peut vraiment faire, et je ne suis pas rassuré.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

Dans Les 400 coups de Truffaut, la dernière scène sur la plage. Jean-Pierre Léo a  une présence exceptionnelle et on sent le lien très fort qu’il y a entre l’acteur et le réalisateur. Il y a aussi la partie interrogatoire avant qui m’a beaucoup plus. On voit également cette confiance entre l’acteur et le réalisateur. Je trouve qu’il y a peu de films qui montrent aussi bien cette relation.

Un dernier mot pour les lecteurs ?

Pour les spectateurs qui regarderont mon film au Black Movie, c’est une autre manière de voir le Japon. Pour les autres, je souhaiterai savoir ce qu’ils pensent de mon film.

Traduction : Lucien Salmon.

Propos recueillis à Genève lors du Black Movie le 24/01/2013 par Victor Lopez (interview) et Julien Thialon (photos et retranscription).

Japan’s Tragedy  de Kobayashi Masahiro est projeté dans le cadre du Festival Black Movie à Genève du 17 au 28 Janvier 2013.

Le lien vers la fiche du film ici !

Un gargantuesque merci à toute l’équipe du  Black Movie, et particulièrement à Melissa Girardet et Antoine Bal, sans qui rien de tout cela ne serait possible !

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