Le Maître, La Maîtresse et L’Esclave (Sahib Bibi Aur Ghulam) d’Abrar Alvi (DVD)

Posté le 20 octobre 2012 par

Nostalgie ! C’est ce qu’évoque ce conte « archéologique ». Avec une once de romance, Sahib Bibi Aur Ghulam restitue grandeur et décadence à l’ère des Zamindars. Zou ! Nous voici expédiés à l’âge des pierres antiques. Le Bengale féodal prend des allures de paléolithique peuplé de spécimens en voie d’extinction. Ce sont ainsi les derniers jours d’une aristocratie indienne, indolente, qui nous sont narrés. Le 19ème siècle réapparaît grâce aux vestiges d’un havelî (petit palais) et aux souvenirs d’un architecte. Nul besoin de longues fouilles au scalpel ou de carbone 14 pour faire parler le grès. Un flash-back nous permet de briser les couloirs du temps et de redécouvrir le mode de vie, les croyances et comportements passés. Un somptueux récit où la graphie des ombres et lumières laisse présumer, par sa sensibilité artistique, la présence d’un maître de la manivelle. Guru Dutt est assurément en embuscade même si au générique, son scénariste-dialoguiste siège au poste de réalisateur ! Par Marjolaine Gout.

Signé Abrar Alvi, Sahib Bibi Aur Ghulam regorge de thématiques et de la griffe « made by Guru Dutt ». Ces empreintes transparaissent à l’écran et clairement dans les séquences musicales. Il se murmure même que ce dernier serait le réalisateur de cette œuvre. Secret d’outre-tombe ? Peu importe, il reste indéniable que Guru Dutt a apposé son style en influant sur Abrar Alvi ou en dirigeant ce long-métrage depuis les fondations jusqu’aux combles. Ce film élégiaque porte, certes, les scarifications du maître, mais aussi la patte de Bimal Mitra, auteur de ce classique de la littérature bengali, et bien sûr la prose du féal Alvi.

Un architecte (Guru Dutt) erre au milieu des ruines d’un palais qu’il a jadis connu. Il se souvient des années de fastes et de scandales alors qu’il débarquait, fraîchement instruit, de son village. Il y découvre deux femmes de milieu différent. La première est emmurée au sein d’une prison dorée tandis que la seconde papillonne et travaille dans la fabrique de sindoor (vermillon) de ses aïeuls.

Quelques saisons auparavant, Satyajit Ray réalisait Jalsaghar (1958). Si la décadence féodale propre au Bengale reste commune à ces deux œuvres, Sahib Bibi Aur Ghulam s’en distancie en misant sur deux femmes. Meena Kumari campe le rôle de la femme esclave, cloîtrée et rejetée par un mari ne se complaisant que dans les plaisirs de la nuit. Selon les préceptes ancestraux dictés par la tradition et la religion, n’ayant pour unique statut que celui d’épouse, celle-ci tente de combler les désirs de son époux afin d’exister. A l’inverse, Waheeda Rehman joue un personnage indépendant. Ces figures de femmes diamétralement opposées incarnent ici le passé et le futur.

Sahib Bibi Aur Ghulam se dévoile ainsi en un étonnant flash-back, s’ouvrant et se fermant sur les ruines de l’havelî ; celles-ci illustrent la fin d’une époque. Un film inclassable et vibrant grâce à la performance de Meena Kumari, et à découvrir pour une séquence musicale sans pareille. La mise en scène de Saakiya aaj mujhe neend subjugue par un jeu de lumière. Une courtisane y est éclairée tandis que le reste des danseuses se découpent telles des silhouettes d’ombre. Le directeur de la photographie, V.K. Murthy, nous démontre une nouvelle fois son aptitude incomparable à illuminer des plans avec maestria ! Un film admirable permettant de méditer sur le sort des femmes.

Marjolaine Gout.

Verdict :

Le Maître, La Maîtresse et L’Esclave d’Abrar Alvi, disponible en DVD dans le coffret Guru Dutt, une légende de Bollywood, par Carlotta, depuis le 27 septembre 2012

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