Profitons de la sortie DVD chez Wild Side Vidéo de son dernier film, I Wish (nos vœux secrets), pour écrire sur Goichi, Ryoonosuke et d’autres enfants qui tentent de trouver leur place dans l’œuvre de Kore-Eda Hirokazu. Par Fabien Alloin.
À quelle hauteur d’enfant ?
Dans Nobody Knows (2004) deux sœurs et deux frères abandonnés par leur mère continuent de vivre sans elle et passent la plupart de leur temps dans l’appartement familial ou sur la route qui les emmène au parc et au supermarché. Le cinéaste ne les quitte jamais et ne laisse aucun adulte les aider. Incapables de se débrouiller seuls, les enfants se mélangent aux ordures ménagères qui s’accumulent sur le sol, et passée l’illusion de liberté – jeux-vidéo et bonbons – la réalité vient les rattraper. Dans Nobody Knows, le monde est de la taille d’un appartement et le temps passe au rythme où poussent les cheveux de plus en plus longs des enfants. Entre gosses, ils se serrent les coudes et entre frères et sœurs, ils s’aiment suffisamment pour tout faire pour rester ensemble. Si au final cet amour ne suffit pas et si Nobody Knows reste aujourd’hui l’œuvre la plus désabusée de Kore-Eda Hirokazu, l’intimité entre ces enfants sauve le film. Le cinéaste n’est pas tendre avec ses jeunes personnages mais aussi petits qu’ils soient, ils résistent. Ils continuent de faire à manger et de brosser leurs dents, ils continuent de chercher de l’argent pour payer leur nourriture car garder une routine, alimenter un quotidien est désormais leur seule manière de se sentir « normaux ». Tout s’écroule autour d’eux, aucun voisin ne sait ce qui se passe réellement derrière la porte de leur appartement et malgré cela, tous les quatre, ils résistent.
Dans le dernier film de Kore-Eda Hirokazu, I Wish (2012), deux frères vengent leurs aînés de Nobody Knows. Séparés par le divorce de leurs parents, Goichi et Ryoonosuke font tout pour vivre à nouveau ensemble et sac à dos sur les épaules, bandes de potes autour d’eux, ils partent à l’aventure. Ce qu’ils recherchent est un miracle que promet une légende de cour d’école : là où se croisent deux trains à grande vitesse, chaque souhait effectué se réalisera. Alors que les quatre enfants abandonnés de Nobody Knows étaient pris au piège d’une réalité sans imaginaire beaucoup trop forte pour eux, ceux de I Wish ont le monde entier comme terrain de jeu. Tous les clichés du genre – de ET à Tom Sawyer – y passent et pour la première fois chez Kore-Eda Hirokazu, il est donné à des enfants la chance d’être plus forts que les adultes. Alors que Nobody Knows – de la même manière qu’Allemagne année zéro (1948) de Roberto Rossellini ou L’enfance d’Ivan (1962) d’Andreï Tarkovski – demandait beaucoup trop à ses gosses, I Wish leur permet tout. Ils sèchent l’école, fuguent, mangent ce qu’ils veulent, dorment où ils le peuvent et quand l’aventure se terminera, ils rentreront chez eux un peu plus grands. Les enfants d’I Wish passent leur temps à courir de peur de ne pas avoir le temps de tout voir tandis que ceux de Nobody Knows, cloués au sol, semblent bien loin.
Avec I Wish, Kore-Eda Hirokazu filme à hauteur d’enfant le conte initiatique que Nobody Knows ne pouvait être. Malgré la présence d’un volcan qui répand pendant tout le film ses cendres sur les personnages, malgré les traces de malaise ici et là – la cellule familiale est, comme souvent chez Kore-Eda Hirokazu, en danger – le dernier film du cinéaste est inoffensif. Tous les adultes se sont mis d’accord pour que ces enfants vivent cette aventure et, des professeurs aux grands-parents, tous sont de mèche et rien ne peut arriver aux petits. Si les limites de Nobody Knows pouvaient venir de l’acharnement avec lequel le cinéaste assommait ses jeunes personnages, le devenir de ces derniers dans I Wish est tellement certain qu’il est facile de se désintéresser de leur sort. Rien ne leur arrivera car comme cela a été promis dès les premiers plans, rien ne peut leur arriver. Certaines saynètes font sourire, d’autres émeuvent, la mise en scène du miracle est admirablement pensée mais le road-trip acidulé de la bande d’amis d’I Wish appelle clairement de jeunes spectateurs : les enfants de Nobody Knows et les autres. Les plus grands, depuis Still Walking (2008), attendent toujours.
Fabien Alloin
I Wish (nos vœux secrets) sera disponible dès le 5 octobre 2012 chez Wild Side Vidéo.
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