En ce mois de novembre, The Jokers propose trois nouveaux films du grand Masumura Yasuzo en combo Blu-ray/DVD, parmi lesquels Jeune fille sous le ciel bleu, sa deuxième œuvre sortie sur les écrans nippons en 1957. On y retrouve une Wakao Ayako solaire dans ce beau récit d’émancipation.

À la mort de sa grand-mère qui l’a élevée, Yuko apprend qu’elle est une enfant adultérine cachée depuis sa naissance par son père. Celui-ci décide de la reprendre, mais échoue à la faire accepter par sa famille légitime. Traitée comme une domestique, Yuko s’enfuit et part à la recherche de sa mère biologique qu’elle n’a jamais connue.
Alors que Masumura Yasuzo, ayant étudié auprès des maîtres transalpins dans les années 50, trouve une source à son style en Italie, Jeune fille sous le ciel bleu, film de commande de la Daiei, lorgne plutôt du côté de la comédie de mœurs hollywoodienne. L’attitude pêchue de ses jeunes protagonistes, à commencer par Yuko, interprétée par Wakao Ayako, qui recherche l’affirmation de soi à travers son histoire familiale difficile, son jeune demi-frère et ses deux prétendants potentiels, n’est pas sans rappeler la drôlerie légère et élégante d’œuvres des grands auteurs américains de la même période.
En l’intégrant dans ce Japon de la société de consommation, alors en pleine reconstruction d’après-guerre, et avec comme horizon le ciel bleu, vision d’espoir tel que déclamée par le jeune professeur de lycée de Yuko, Jeune fille sous le ciel bleu devient rapidement dans son déroulé un récit porteur d’enchantement du quotidien et de foi en l’avenir. Jamais Yuko ne cède face à l’adversité, notamment sa belle-mère acariâtre ; son sourire est là pour alimenter sa répartie et sa jeunesse se ressent jusque dans les allées et venues des péripéties dans Tokyo et à la campagne. Nous sommes face à une héroïne d’une force morale conséquente que Wakao porte parfaitement naturellement, et avec elle presque l’entièreté du film, du haut de ses 24 ans et déjà de nombreuses années dans des rôles en tous genres. Citons notamment des comédies musicales commerciales, peu vues en dehors du Japon, qui ne détonnent pas avec ce film de Masumura, tout comme la vivacité du genre musical a pu lui servir pour interpréter Yuko de manière aussi dynamique.

La principale qualité intrinsèque de Jeune fille sous le ciel bleu réside dans l’intelligence de son propos. On aurait pu craindre un focus trop important sur l’illustration du miracle économique japonais comme, finalement, cela est souvent le cas chez Ozu. Bien au contraire, Masumura (par l’intermédiaire de son scénariste Shirasaka Yoshio qui adapte un roman à succès de Genji Keita, alors faiseur de bestsellers en séries) fait de Yuko un vecteur d’une double émancipation, celle d’une femme, et celle d’une femme jeune. Il le fait manière tout à fait subtile, en la confrontant à son père, pourtant de prime abord sympathique et jovial. Le récit essaie en effet assez vite de trouver un croque-mitaine idéal en la personne de la belle-mère, avant de redistribuer les responsabilités de chacun des personnages. Véritable centre de son propre système solaire, Yuko va et vient dans ce Japon en plein bouleversement économique et sociétal – l’apparition dans une gare par laquelle arrive Yuko à Tokyo d’un homme gay rejoignant une amie avec des attributs vestimentaires marqués semble tout à fait avant-gardiste en 1957 – et ses réactions permettent aux personnages qu’elle fréquente, la famille de son père, la gouvernante, sa propre mère, son professeur ou le chéri de sa sœur d’évoluer eux-mêmes de manière marquée, le tout dans un positivisme à toute épreuve.
Jeune fille sous le ciel bleu, qui jouit d’une écriture d’excellente facture et des moyens techniques de haute volée des studios japonais d’alors, s’avère une franche réussite. Un film un peu oublié lorsqu’on évoque Masumura, puisqu’on l’admire pour son côté iconoclaste dans des œuvres déviantes telles que La Bête aveugle ou Tatouage, mais qui a toujours fait preuve d’une immense maîtrise de tous les aspects de la mise en scène, quel que soit le registre abordé.
BONUS
Analyse du film par Clément Rauger (16 min). Le spécialiste du cinéma japonais balaye le contexte de la production de films de ce genre dans les années 1950 et notamment la production littéraire de Genji. Il livre une analyse rigoureuse de ce que représente Jeune fille sous le ciel bleu dans le cinéma japonais des années 1950 et dans la carrière de son réalisateur, et à quel point il essaye d’innover à l’intérieur, tout en apportant des éléments concrets à propos de l’expérience de Wakao Ayako et du scénariste Shirasaka Yoshio.
Maxime Bauer.
Jeune fille sous le ciel bleu de Masumura Yasuzo. Japon. 1957. Disponible en combo Blu-ray/DVD chez The Jokers le 25/11/2025.




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