Entretien avec Watanabe Ayumu pour La Chance sourit à Madame Nikuko (en salles le 08/06/2022)

Posté le 11 juin 2022 par

Nous avons eu la chance de nous entretenir avec le réalisateur Watanabe Ayumu à l’occasion de la sortie de son dernier film La Chance sourit à Madame Nikuko. Il montre encore une facette de son talent après les questionnements métaphysiques des Enfants de la mer pour nous cueillir avec un récit drôle et attachant d’une relation mère/fille.

Grâce à votre travail à la télévision et ensuite au cinéma, vous avez eu l’habitude de travailler sur et d’adapter des matériaux très différents. Quel est votre démarche en général, est-ce que vous vous recherchez la forme et le ton les plus adaptés possibles au matériau de départ ou est-ce que vous essayez aussi d’intégrer une touche personnelle ? Est-ce que cela diffère selon que ce soit pour une série ou pour un film de cinéma, ou sur ce film en particulier ?

Je n’ai pas au départ de direction précise. Ce qui m’importe, c’est de rester le plus fidèle au matériau sur lequel je vais travailler. Après avoir fait cette analyse, je dois insuffler le résultat de cette recherche sur le film ou la série dans sa forme animée. Je n’ai pas a priori de touche personnelle que je souhaiterai appliquer à tous les projets sur lesquels je travaille. Dans ce processus d’adaptation, j’ai tendance à privilégier, plutôt que l’originalité, les éléments qui peuvent se trouver dans l’œuvre initiale, qui peuvent être traités mais qui s’y trouvent de manière sous-jacente, en pointillé, sans être explicitement mis en avant. Je cherche aussi à tirer parti des interstices qu’offre la forme de l’animation. En définitive, l’un des principes du travail d’adaptation, c’est d’être en mesure d’opérer une forme de recomposition à l’égard de l’œuvre qu’on adapte. Même si à l’avenir j’ai le projet de signer des projets plus personnels, pour La Chance sourit à Madame Nikuko, la volonté était de se plonger dans le texte original, en découvrir de la façon la plus profonde les enjeux et ne rien laisser de côté dans l’adaptation.

 

Justement qu’est-ce qui vous a paru sur ce film le plus intéressant à recomposer, à revisiter avec le support de l’animation ?

Ce qui était intéressant concernait tout d’abord la présence physique de Nikuko, sa manière de se mouvoir. D’autres part, nous avons essayé de compléter des éléments du roman, notamment la fin de l’histoire telle qu’elle est présentée dans le film, il y a une cohérence sans doute supérieure à ce qui est en jeu dans le roman.

On ressent une attention visuelle très particulière chez vous pour mettre en corrélation l’environnement physique et intime des personnages. C’était le cas les déambulations urbaines de la série Après la pluie, le côté psychédélique des Enfants de la mer et là, la campagne étrange et très bienveillante de La Chance sourit à Madame Nikuko.

Je suis très heureux d’entendre ces annotations, effectivement en tant que réalisateur ce sont des éléments gratifiants. Je vous en suis très reconnaissant.

Le livre de Kanako Nishi a remporté un grand succès au Japon. Est-ce qu’il existait du coup une source visuelle, au niveau des couvertures, de certaines illustrations par exemple pour le design des personnages auxquelles était attaché le public et que vous avez repris et adaptées pour le film, ou alors êtes-vous parti de zéro ?

Bien sûr, dans le roman il y avait des détails, des descriptions pouvant servir d’éléments de référence pour un travail graphique mais pas d’illustrations en tant que telles donc nous avons dû partir quasiment de zéro. C’est un travail difficile mais très gratifiant. Pour les personnages, c’est le directeur d’animation Konishi Kenichi qui les a conçus. Nous avions travaillé ensemble sur Les Enfants de la mer et je voulais qu’il soit plus libre sur ce projet en termes de ligne visuelle.

Oui comme il ne s’agissait pas d’une adaptation de manga, il n’y avait pas de référence, vous étiez plus libre.

Oui je voulais aller dans le sens du style qui correspondait le mieux aux affiliations propres de M. Konishi, et donc la conception des personnages est un travail original du Studio 4 °C.

C’est assez rare de voir des héroïnes rondes dans le cinéma d’animation japonais (voire cinéma tout court). Vous réussissez à exprimer la manière dont ce physique distingue Madame Nikuko des autres, mais toujours de façon bienveillante en l’associant à son exubérance, sa gentillesse. Est-ce que cela a été difficile de trouver l’équilibre juste pour ne pas faire tomber le spectateur dans la moquerie justement à cause de ce physique ?

C’est effectivement l’un des éléments les plus importants pour faire tenir ce récit en tant qu’œuvre. C’est essentiel de montrer que ce qui peut apparaître comme de la laideur d’un point de vue extérieur n’a pas à être considéré comme une forme d’entrave, une perte de liberté. La question essentielle est de savoir comment le ressent l’intéressée en fait. En l’occurrence, le fait que Nikuko soit imperméable aux moqueries, aux mauvaises intentions, ce n’est pas seulement que ça ne la touche pas, c’est qu’elle n’arrive pas à concevoir qu’on puisse être mal intentionné. Et donc du coup elle n’est pas blessée par tout ce qui peut lui arriver. Ce n’est pas nécessaire d’affirmer un message comme celui-ci de manière verbale, d’expliciter cette intention et il vaut mieux la faire flotter durant toute l’histoire. C’est un des points sur lesquels j’ai consacré le plus de mon énergie, où je me suis donné le plus de mal et j’espère que le spectateur parviendra à ressentir que Nikuko n’est tout simplement pas malheureuse.

Dans le film, on ressent justement une différence narrative et formelle entre le cadre de la ville (au début et dans les flashbacks à la fin) et la campagne. On a l’impression que cette gentillesse et excentricité de Madame Nikuko l’expose aux mauvaises rencontres dans la ville alors qu’elle s’épanouit complètement dans la campagne où on l’accepte sans la juger. On le voit avec le jeune garçon faisant des grimaces, et avec Kikurin, dont on découvre la facette excentrique à la fin aussi. C’est quelque chose que vous avez voulu souligner ?

C’est un point intéressant que vous soulevez là effectivement. En même temps, c’est délicat de parler d’équilibre entre ces deux espaces, ce n’était pas mon intention d’en dénigrer un par rapport à l’autre. Mais cet élément de distance par rapport à la grande ville de Tokyo est présent dans le roman sous différentes formes dont certaines n’ont pas été incluses dans le film. Mais effectivement, des personnes originaires de province qui sont parties à Tokyo puis sont revenues dans leur région, on en trouve pas mal au Japon. Le point essentiel à mes yeux est de savoir si l’on a un endroit de ce type dans lequel retourner, certains en ont, d’autres pas. Loin de toute forme de comparaison, ce que j’interroge dans le film c’est si ces deux personnages vont pouvoir trouver un lieu qui soit le leur. C’est ça l’enjeu sous-jacent du film, si le spectateur le comprend, c’est ce qui donnera une force à l’enchaînement dramatique des évènements tel que vous le décrivez dans votre question.

Le livre s’inspire du voyage de l’autrice dans la préfecture de Miyagi (ports de Ishinomaki et Onogawa) et vous avez fait un mélange de l’esthétique de plusieurs régions portuaires japonaises typiques dans le film. J’ai beaucoup pensé aux films adolescents des années 80 du réalisateur Nobuhiko Obayashi qui se situait dans sa ville natale d’Onomichi. C’est également une cité portuaire dans laquelle il dépeint des récits initiatiques d’adolescentes avec des éléments surréalistes. J’ai ressenti beaucoup de parallèles entre votre film et son Chizuko’s Younger Sister (Futari) sorti en 1991, notamment la scène de compétition sportive.

Obayashi Nobuhiko fait sans doute partie de mes trois réalisateurs japonais favoris et en particulier sa trilogie d’Onomichi. Il y a le film Chizuko’s Younger Sister dont vous avez parlé mais surtout pour moi Tenkôsei (1982) et Sabishinbô (1985). Obayashi a réalisé des films beaucoup plus aventureux mais je trouve ceux-là incroyables. Je n’ai pas du tout l’intention de réaliser des hommages conscients aux travaux qui m’ont profondément marqué et c’est toujours difficile de constater les limites de mon talent (rires). Mais j’essaie de le prendre autrement et de considérer que ces éléments sont devenus une part de moi, c’est donc normal qu’ils ressurgissent dans mon travail.

Vous mettez un soin particulier à la nourriture dans le film, la texture appétissante des aliments, le côté convivial de la préparation et des repas partagés. Je pense à la préparation du pain perdu entre Kikurin et sa mère, les dégustations de viande au restaurant. Était-ce déjà présent dans le livre ? Est-ce que justement vous cherchez à dire que la saveur du repas est indissociable de cette connexion, cette dimension chaleureuse entre les individus ?

Bien sûr dans la sensation d’être vivant, le repas est un des moments les plus heureux que l’on puisse avoir. C’est clair que pour le personnage de Nikuko, les instants où elle s’épanouit le plus sont ceux où elle mange. Dans le roman, il n’y a qu’une scène de repas, celle où Kikurin rentre à la maison et prépare les pâtes. Tout ce qui concerne le pain perdu est un de nos ajouts pour le film. J’ai voulu décrire le quotidien de ces personnages au travers de tâches ordinaires, les achats, le ménage et à cet égard les repas constituent l’élément le plus concluant. Une de nos références était le film Kramer contre Kramer où dans le cadre d’un récit de divorce, le père et le fils préparent dans un premier temps de façon maladroite le pain perdu et à la fin alors qu’ils vont être confrontés au jugement sur la garde, ils refont du pain perdu ensemble de façon très naturelle et complice. Il y a quelque chose en sous-texte qui décrit l’évolution de leur relation et c’est quelque chose que je cherchais à atteindre aussi sur mon film. L’attention que Nikuko donne aux repas est indissociable de celle qu’elle accorde à sa fille. Les vrais liens que l’on peut tisser entre individus sont rattachés aux moments heureux, aussi discrets et ordinaires qu’un repas, cela se répercute au sein de diverses scènes de ce genre dans le film.

Nous demandons toujours aux réalisateurs de nous dépeindre un moment de cinéma qui les a marqué. Quel serait le vôtre ?

Dans la continuité de ce que je viens de vous dire, je dirai la scène du pain perdu dans Kramer contre Kramer.

Propos recueillis par Justin Kwedi à Paris le 13/05/2022.

Traduction : Ilan Nguyên.

Remerciements : Rachel Bouillon et toute l’équipe d’Eurozoom.

Imprimer


Laissez un commentaire


*