Eurozoom sort en salles cette semaine L’Œuf de l’ange d’Oshii Mamoru, véritable manifeste esthétique et thématique du réalisateur qui signe là une fascinante œuvre libre et expérimentale.

À l’aube d’un second déluge, prédisant l’arrivée d’une espèce supérieure à l’homme, une petite fille trouve un œuf qu’elle garde. Elle rencontre un jeune homme qui la suit, curieux de savoir ce que contient cet œuf.
Oshii Mamoru avait atteint les limites des possibilités à imposer un style personnel dans le cadre d’une production commerciale avec le film Lamu: Beautiful Dreamer (1984), au ton fort éloigné de l’humour hystérique du manga de Takahashi Rumiko – dont il était devenu un atout majeur en étant le principal réalisateur de la série télévisée. Parallèlement, un autre futur pilier de l’animation japonaise s’apprête à prendre son indépendance du carcan des franchises avec un Miyazaki Hayao en pleine préparation de l’adaptation de son manga Nausicaä de la vallée du vent (1984). Sollicité pour réaliser le nouveau film dédié au gentleman cambrioleur Lupin, 3 ans après la réussite du Château de Cagliostro (1979), il décline donc l’offre mais recommande Oshii Mamoru pour le poste.

Au début des années 80, durant la production de la série Nils Holgersson, Oshii s’était lié d’amitié avec l’illustrateur Amano Yoshitaka, future star du milieu otaku grâce à son travail sur les jeux vidéo Final Fantasy pour l’éditeur Square Enix, ainsi que les dessins conçus pour les romans de Kikuchi Hideyuki consacrés au personnage de Vampire Hunder D. Oshii s’associe donc avec Amano pour concevoir cette aventure de Lupin III, mais la proposition du duo est bien trop expérimentale pour les producteurs, qui se tourneront vers le vétéran Suzuki Seijun (lequel signera là son premier film d’animation) pour finalement réaliser Edgar de la Cambriole : Le Complot du clan Fuma (1985), troisième long-métrage de la franchise.

Oshii et Amano ne se découragent pas et développent alors le projet comme une production originale, qui va se trouver un financement chez l’éditeur Tokuma Shoten, déjà mécène des premières années du studio Ghibli. Dans une réalité suspendue et à la temporalité incertaine, nous suivons les déambulations d’une petite fille protégeant jalousement un œuf en sa possession, tandis qu’un mystérieux garçon l’observe et la suit, curieux du contenu de cet œuf. L’ambiance est étrange à souhait, oscillant entre atmosphère post-apocalyptique dans l’immensité de ces espaces désertiques, tonalité biblique quant à la cause de cette quasi-absence de vie (châtiment sur le point de se reproduire avec un nouveau déluge, la hauteur de vue omnisciente de la dernière scène), et une possibilité de transhumanisme avec l’arrivée imminente d’un vaisseau extraterrestre.

La narration est pratiquement muette, le récit minimaliste, Oshii enchaînant les somptueux tableaux contemplatifs qui magnifient le style singulier d’Amano Yoshitaka. Ce dernier a développé dans les décors et le chara-design de ses personnages une imagerie très originale aux inspirations picturales européennes (l’Art Nouveau d’Alfons Mucha) et japonaises avec l’ukiyo-e. L’alliance de ces influences tire parfois les films vers des sous-genre très identifiables, comme le western, le récit post-apocalyptique ou le fantastique gothique sur les deux adaptations de Kikuchi Hideyuki, Vampire Hunter D : Chasseur de vampires (1985) et Vampire Hunter D: Bloodlust (2000). Oshii signe une œuvre bien plus inclassable, libérée de toute contrainte narrative pour nous plonger dans une rêverie éthérée, dans des moments suspendus envoûtants.

L’interprétation des évènements est suggérée par la seule image et laissée libre au spectateur – la vraie nature du poursuivant et du poursuivi dans le rapport des deux personnages, l’espace mental autour du motif de l’œuf dans nombre de décors. Les émotions sont dictées par des compositions de plans jouant sur des images fixes étirées jusqu’au vertige, de lents mouvements de caméra accompagnant l’avancée minimaliste des silhouettes des deux protagonistes dans des environnements désolés et inquiétants. Les ruptures de ton oniriques déploient des visions sidérantes (l’éveil et la poursuite finale) dans lesquelles le style d’un Oshii émancipé s’affirme de façon radicale – et régurgité de façon plus « accessible » par la suite, notamment dans Ghost in the Shell (1995).

Le film témoigne vraiment de l’âge d’or d’une certaine animation japonaise aventureuse durant les années 80, même si le film sera malheureusement un échec commercial. Oshii restera sur le carreau sans être employé durant deux ans après cela, mais c’est bien la personnalité exprimée sur L’Œuf de l’ange qui impressionnera le milieu et l’amènera à être engagé pour les grandes réussites à venir, notamment autour de l’univers Patlabor.
Justin Kwedi.
L’Œuf de l’ange d’Oshii Mamoru. Japon. 1985. En salles le 03/12/2025.




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