ETRANGE FESTIVAL 2025 – Kazakh Scary Tales d’Adilkhan Yerzhanov

Posté le 23 septembre 2025 par

Le dernier projet  d’Adilkhan Yerzhanov présenté lors de L’Étrange Festival n’est pas un troisième film à proprement parler, c’est la compilation des trois premiers épisodes d’une série de dix épisodes, Kazakh Scary Tales, exploration du folklore de son pays, qui sera diffusée au Kazakhstan sur la plateforme de streaming Freedom Media et dont le lancement est prévu pour la mi-octobre. C’est un récit policier sur un enquêteur acharné qui essaye de découvrir les origines de phénomènes mystérieux qui se déroulent à Karatas, la ville où se déroule la majorité des films du réalisateur, luttant à la fois contre le surnaturel et la pesanteur des institutions, épaulé par une médium et un médecin légiste.

Dès la première scène pré-générique, on constate pourquoi cette série sera interdite au moins de dix-huit ans au Kazakhstan ; dès ce moment les images sont étonnamment gores pour les normes du cinéaste, et même quand on ne voit pas tout, ce qui est suggéré est souvent absolument terrible. Le titre nous vend une série horrifique, et il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Pourtant, on est indéniablement chez Yerzhanov, et plus précisément à Karatas, avec ses archaïsmes, sa bureaucratie kafkaïenne, ses traditions étranges… C’est à la fois un vrai récit d’enquête, avec des enjeux de vie ou de mort, et un récit absurde où la police de la ville est finalement aussi problématique que fantaisiste.

Bien entendu, on retrouve des visages connus, Anna Starchenko, dans le rôle de la medium, campant ici un des personnages point de vue mais aussi un protagoniste au passé trouble, aussi mystérieuse que charismatique en gothique à capuche ; le montage du générique initial nous annonce par prolepse des choses étonnantes quant à son personnage, qui renforcent encore l’envie d’en savoir plus. Mais on a aussi le plaisir de revoir Dinara Baktybaeva, l’héroïne de La Tendre indifférence du monde et de A Dark, Dark Man, qu’on n’avait plus croisée chez le cinéaste depuis Atbai’s Fight, dans le rôle de l’épouse du protagoniste, dans une relation tendue, traitée entre le drame et la comédie absurde, qu’elle interprète avec la délicatesse qu’on lui connait. Le héros lui-même est un acteur pour l’instant moins connu chez nous, Kuantay Abdimadi, déjà rencontré dans Steppenwolf, et une des têtes d’affiches du réjouissant Mountain Onion de Eldar Shibanov, l’un des films kazakhs à avoir bien marché en festivals ces dernières années. Il incarne ici l’enquêteur, jouant d’un charisme quelque part entre Song Kang-ho et Chow Yun-fat, à la fois convainquant lors de ses prises de décisions, un peu décalé lors de ses interactions sociales et désinvolte face à la pression de la réalité. Au cours du film, on a l’occasion de le voir évoluer de policier hard-boiled classique (long imperméable, conflit avec sa hiérarchie) en héros à la Buffy, tout paré de cuir et de phrases choc, mélangeant le sérieux de la situation avec la facétie de ses échanges avec le médecin légiste.

Même en tenant compte de sa nécessaire incomplétude, puisque le film ne couvre que moins d’un tiers du récit prévu, en ne confrontant directement le héros qu’à une seule des figures folkloriques des contes Kazakhs, on constate que le cinéaste utilise, comme le veut la tradition, la forme du récit horrifique pour parler de questions réelles, de la corruption et de la façon dont l’argent permet de croire effacer ses fautes aux questions des relations entre hommes et femmes. Comme au Japon, le revenant féminin joue sur l’idée que la femme, bridée dans sa vie, peut devenir un monstre de rancœur si elle entre mal dans l’au-delà. La scène de confrontation de la créature et le traitement du personnage responsable de la situation sont assez spectaculaires, pour une scène arrivant si tôt dans la saison, et offrent un climax satisfaisant au film.

Si Steppenwolf nous avait entrainé dans une veine plus nihiliste, que Cadet nous avait offert quelques scènes où le sang est bien visible à l’écran, cette fois-ci nous assistons à quelques véritables scènes d’horreur, et la bande annonce suffit à se rendre compte que même les enfants ne sont pas à l’abri de la violence du récit, non seulement dans ce qu’on raconte mais aussi dans ce qu’on voit directement à l’écran, comme en témoigne l’entrée en propos dans une maternité. Pour autant, c’est aussi l’une des création les plus drôles de Yerzhanov depuis un bout de temps, avec une présence de l’absurde comparable à un film comme Yellow Cat. Le traitement des fantômes lui permet aussi de travailler sa fibre poétique, avec des silhouettes et des figures maquillées aussi esthétiquement évocatrices qu’effrayantes, dans les paysages hantés de la steppe.

Si on prend le film en tant qu’œuvre indépendante, on reste nécessairement un peu sur sa faim, on voudrait rester à Karatas pour connaitre les réponses aux questions que met en place la fin du récit. Mais, si on se rappelle qu’il s’agit en fait d’un bout à bout du début d’une série, c’est surtout une incroyable bande annonce qui laisse impatient de découvrir la suite. Pour son deuxième détour par la série télévisée, Yerzhanov, maintenant habitué à l’exercice, a bien compris comment pousser son spectateur à venir réclamer la suite de l’histoire. On ne peut qu’espérer que le projet intéressera un diffuseur en France.

Florent Dichy.

Kazakh Scary Tales d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2025. Projeté à l’Étrange Festival 2025.