Grâce à l’éditeur Roboto Films, il est désormais possible de se plonger dans l’univers de Kamen Rider, figure incontournable de la culture populaire nippone et du tokusatsu. Un genre pourvoyeur d’une incroyable quantité de séries et films qui, s’il est même arrivé jusqu’aux petits écrans français avec le succès que l’on connaît, réserve encore de belles surprises à découvrir pour l’amateur de culture ciné et télévisuelle nippone.
Kamen Rider. Un nom qui, en dehors du Japon où il est devenu, à l’instar de Godzilla ou Doraemon, une icône de la culture cinématographique, ne dira pas forcément grand chose au grand public. Kamen Rider, c’est un héros issu du genre tokusatsu et qui, dans une série éponyme ayant fait les beaux jours de la chaîne MBS d’avril 1971 à février 1973, affrontait des monstres au volant de sa moto. Il faut brièvement rappeler de quoi il retourne lorsque l’on évoque le terme tokusatsu.
D’un point de vue linguistique, le mot tokusatsu est une contraction de tokushu satsuei, signifiant effets spéciaux, et dont l’utilisation s’est massivement développée après le succès de Godzilla en 1954. Ce terme s’est rapidement retrouvé associé à un genre bien particulier, celui des super-héros masqués en costume. La première série tokusatsu fait officiellement son apparition en 1958 sous les traits de Moonlight Mask, produite par le studio Senkosha. Les portes vers le succès étaient grande ouvertes, et c’est toute une palanquée de super-héros qui vont débarquer dans les foyers nippons, avec notamment des séries comme Ultraman, Jetman sans oublier Bioman, cette dernière ayant été diffusée en France, preuve que le tokusatsu, sans être directement présenté comme tel, a bel et bien connu du succès à l’étranger. Parmi ces super-héros, celui qui a aujourd’hui les honneurs d’une remise en lumière, c’est Kamen Rider.
Au printemps 1970, la situation de la chaîne MBS n’est pas au beau fixe. La tranche horaire de l’access prime time est dominée par la chaîne TBS, et MBS ne sait plus quoi proposer pour se maintenir à flot. Les dirigeants de la chaîne vont donc faire appel à deux producteurs de la mythique Toei, Hirayama Toru et Watanabe Yoshinori pour trouver LE concept qui permettra à la chaîne de redresser la pente. Ils partent aussitôt sur un concept de super héros à la Moonlight Mask, justement, en tentant d’insuffler de la modernité à un genre qui, s’il n’est complètement mort, commence à sérieusement tomber en désuétude. La production est lancée et elle connaîtra des hauts et des bas. Entre des coûts de production qui diminuent les ambitions des créateurs, et des choix de direction artistiques et scénaristiques qui se font fréquemment retoquer (masque trop effrayant, origines du héros fréquemment modifiées…), la création du héros ne se fait pas sous de clémentes auspices. Mais en 1971, Kamen Rider débarque sur les écrans et immédiatement, c’est un carton d’audience, permettant à la chaîne d’enfin renouer avec le succès.
Le script du pilote est d’une simplicité désarmante. Hongo Takeshi est un jeune homme sportif, doublé d’un scientifique hors pair, autant à l’aise dans les laboratoires que sur les pistes d’athlétisme. Mais un jour, par un effroyable coup du destin, il est confronté à une bande de motards qui le poursuivent et finissent par le mener à leur base. Mais tout cela n’était qu’un traquenard et Hongo est fait prisonnier par une organisation criminelle, Shocker, qui veut faire de lui une arme redoutable. Soumis à des expériences visant à le déshumaniser, il parvient à s’échapper. Il découvre alors qu’il est maintenant doté du pouvoir de se transformer en Kamen Rider grâce à la force du vent et à sa super ceinture, et entreprend de défaire Shocker qui a régulièrement de bien sombres projets pour le Japon (et la Terre en général). Au volant de sa célèbre moto, il sillonne le Japon et affronte tous les monstres venus menacer les humains, pendant les 98 épisodes que compte la série de l’ère Showa.
Voilà les germes de la mythologie Kamen Rider qui, si elle a connu un petit moment de pause à l’orée des années 2000, n’a jamais cessé divertir le public japonais, des années 1970 à aujourd’hui, avec dernièrement Kamen Rider Black Sun en 2022 par exemple.
Il peut être compliqué, ou du moins fastidieux de se plonger dans l’intégralité de Kamen Rider, tant celui-ci s’avère protéiforme et ayant développé au fil des années une sorte d’univers télévisuel au sein duquel le personnage principal apparaît sous des aspects différents, interprété également par des comédiens divers et variés. Qui plus est, Kamen Rider est une série qui a évolué avec son public et son temps, abordant aussi sous des aspects divertissants une multitude de sujets sérieux, avec plus ou moins de talent. C’est pour cette raison que le coffret édité par Roboto Films se montre indispensable, puisqu’il offre une sélection de films (n’excédant pas les 25 ou 45min) qui permettent de se faire une idée assez précise de ce à quoi ressemble cet univers.
A travers ces 8 films, il est intéressant de constater l’évolution du mythe Kamen Rider, rien que sur l’ère Showa, ou comment un super-héros peut être mis en scène de moult manières, sans jamais trahir son ADN original. Le résumé des origines du personnage n’est pas superflu car la sélection faite ici est assez éclectique et chaque film trouve sa place dans la chronologie de diffusion des épisodes, et regarder le premier film, c’est se plonger in media res dans l’univers du personnage. Par la suite, on peut découvrir Kamen Rider V3 (Kamen Rider vs les mutants de Destron), Kamen Rider et les sept riders venus lui prêter main fort (Les huit riders contre le roi galactique), Kamen Rider super -1 (héros d’une nouvelle série Kamen) et enfin le Kamen Rider black (Mission urgente à Onigashima et Horreur au manoir du col du diable) à la tonalité sombre plus prononcée.
On est face à un concept qui n’a, a priori, qu’un seul objectif : divertir son public, principalement les enfants qui voient en Kamen Rider un héros courageux défendant les humains tout au long des épisodes. Chaque épisode ressemble au suivant, avec un méchant qui ourdit un plan pour asservir l’humanité (dans Kamen Rider Vs Shocker, le méchant veut s’approprier un dispositif gravitationnel pour dominer le monde), menaçant de facto les plus faibles (souvent des enfants d’ailleurs). Intervient alors le héros sur sa moto et face aux monstres servant de sbires au chef des méchants, il prend la pose et déclare le célèbre cri « Henshin!« , se transforme en Kamen Rider et s’en va régler leurs comptes aux fourbes vilains. Une formule simple, certains diront simpliste, mais dont l’universalité du propos est pour beaucoup dans le succès de la série.
Le format sériel télévisuel de 24 minutes (dont deux pour les génériques de début et de fin) ne permettant évidement pas de développer des lignes narratives trop alambiquées ; chaque épisode avance pied au plancher sans laisser au spectateur le temps de s’ennuyer. Et si le personnage principal ne dévie jamais de sa ligne de conduite héroïque, les scénaristes redoublent d’originalité lorsqu’il s’agit de lui créer des ennemis originaux. Les grand vilains prennent la forme d’un avatar de Dracula dans Kamen Rider Vs Shocker, d’un sorte de C3PO minimaliste (ou cheap, selon le degré d’indulgence) dans Les huit riders contre le roi galactique ou même d’une gigantesque statue de pierre dans Kamen contre King Dark. Les Maîtres du mal s’entourent généralement d’un aréopage de sbires appelés kaijin, sortes de croisement d’humains et de monstres à tendance vaguement animale, aux noms souvent en rapport avec l’espèce concernée. Chaque épisode a d’ailleurs droit à son reveal shot, généralement un plan panoramique latéral avec sa caméra qui passe d’un monstre à l’autre qui crie leur nom à tour de rôle. Et lorsque Kamen Rider défait un ennemi, il explose, marque de fabrique incontournable du Kamen rider universe.
Un constat doit être fait, rien que sur les films de l’ère Showa, et l’on parle ici de la qualité de la mise en scène des épisodes. Même si l’on reconnaîtra que, budget oblige, la plupart des affrontements ont lieu dans des carrières désertes, force est de constater que chaque film se donne les moyens dans sa mise en scène d’en mettre plein les yeux au spectateur.
Si les interprètes sous le masque ont défilé d’un épisode à l’autre au fil des itérations, ils sont aussi très impliqués dans les scènes de combat, nombreuses au demeurant et superbement chorégraphiées, qui achèvent de les rendre crédibles et impressionnantes. Ces scènes osent parfois des idées complètement folles, à l’image d’une séquence dans Kamen Riders contre l’ambassadeur infernal, au cours de laquelle les méchants débarquent à cheval pour capturer le héros. S’ensuit une de chasse à courre au lasso qui s’achève sur les pentes du mont Fuji.
Un autre point fort de la série, c’est le choix fait par les scénaristes et la production de délocaliser au maximum l’action à travers le Japon. C’est peut-être un détail, mais la série de MBS est diffusée dans tout l’archipel, et quoi de plus naturel que de montrer un super héros parcourant le pays pour défendre ses habitants, au lieu de le faire quadriller uniquement les quartiers de Tokyo. On passe ici d’Hokkaido aux forêts de la campagne japonaise, sans oublier les atolls du Pacifique, et la mise en scène n’oublie jamais de faire de ses décors un lieu à part entière qui aura son importance dans le récit.
On peut constater en regardant les films proposés qu’une évolution dans la production s’est manifestement produite, et ce dès le cinquième métrage proposé (Le roi galactique). Si les précédents films n’avaient rien de honteux concernant la facture technique, lorsque commence Les huit riders…, le bond est flagrant. De somptueux plans de l’espace laissent place à une magnifique maquette de station orbitale au sein de laquelle un drame va se jouer. L’influence des blockbusters américains se fait clairement sentir, et la production se donne les moyens de rivaliser sur le plan technique sans avoir à en rougir. Certes, le côté bricolé de certains décors saute d’autant plus violemment aux yeux par la suite (la cabine de pilotage dudit vaisseau est beaucoup moins impressionnante), mais l’aspect spectaculaire et divertissant du résultat final n’en est que plus jouissif. Même remarque avec le film suivant Kamen Rider super-1 et son grand méchant qui veut mettre la main sur un gigantesque vaisseau en forme de dragon. Si celui-ci ci n’est pas aussi impressionnant que prévu, à partir de cet épisode, la production va mettre un point d’honneur à multiplier les explosions et les effets pyrotechniques, jusqu’alors réservés aux morts des sbires. Des excès qui commençaient déjà à se faire sentir dans le film Kamen Rider Vs Destron, dans lequel se multipliaient les explosions monumentales dans son climax. Dans Super-1, ce n’est ni plus ni moins que tout une vallée qui est rasée à la roquette et au lance-flamme. Les grands méchants ne font maintenant pas que dire qu’il vont détruire le monde, il le font violemment comprendre.
D’ailleurs, si la série Kamen Rider se positionne avant tout comme une œuvre de divertissement, elle n’oublie jamais d’aborder des thèmes sociétaux et humains plus sérieux, souvent représentés par les méchants. Le tokusatsu originel Godzilla avait d’déjà à l’époque fait de son monstre une allégorie monstrueuse des conséquences du nucléaire, sans pour autant renier son statut de kaiju-eiga. Kamen Rider aborde tout au long de son parcours des thèmes comme les nouvelles technologies qui, si elles tombent dans de mauvaise mains, peuvent faire courir l’humanité à sa perte. La pollution et l’écologie sont aussi des thèmes récurrents dans la série, avec des écosystèmes que la malveillance finit par détruire (les îles du Pacifique détruites à la dynamite dans Destron) ou bien encore les manipulations scientifiques hors de contrôle avec les Kaijin qui n’en sont pas moins des humains victimes de manipulations génétiques croisées avec des animaux. Dans un registre plus récent, Kamen Rider Black Sun aborde de manière étonnamment sombre et désenchantée le racisme et l’intolérance sur le sol nippon.
En conclusion, Roboto films propose une excellente porte d’entrée au cinéphile curieux de se (re)plonger dans l’univers du tokusatsu, aussi riche, divertissant que foncièrement engagé et plus que jamais ancré dans les réalités de son époque.
BONUS
Présentations de Fabien Mauro : le coffret contient 8 films et chacun a droit à une présentation du spécialiste du cinéma japonais. Non content de replacer le film dans son contexte historique et dans la chronologie/mythologie Kamen, Fabien Mauro revient sur la production de chaque film dans les moindres détails, avec une tonne d’anecdotes tout le temps passionnantes, et très souvent hilarantes (celle sur l’usage incontrôlé de la dynamite en milieu naturel protégé vaut le détour). Sont abordés également des aspects plus techniques comme des analyses de scénario ou de mise en scène. On notera qu’il est fortement conseillé de regarder ces modules vidéo après les films, tant l’analyse qu’en fait Fabien Mauro se montre beaucoup plus pertinente et claire a posteriori.
Dans le coffret, on trouve également un livret intitulé Kamen Rider : Au-delà du masque écrit par Nicolas Jeantet, revenant de manière tout aussi précise, passionnante et ludique sur la création de l’univers Kamen Rider, ainsi que sur chaque épisode. Le livre se pose en parfait complément des modules de Fabien Mauro, enrichi de nombreuses photos d’exploitation et d’affiches d’époque.
Pour les fans absolus du Rider, Roboto Films a inclut un marque page, un jeu de cartes postales et un poster, le tout à l’effigie du super-héros à tête de sauterelle.
Un coffret généreux, complet et incontournable, en somme.
Romain Leclercq
Coffret Kamen Rider – Les films Showa. Japon. 1972-1988. Disponible chez Roboto Films